Jeanine Smolec-Rivais : Michel Philippon, quelle est votre définition de votre travail ?
Michel Philippon : Une définition ? Je n'ai pas de définition ! J'utilise tous les matériaux qui me tombent sous la main. J'ai acquis, à partir de l'âge de quinze ans, à peu près toutes les techniques possibles, du graphisme en passant par la céramique, par la bijouterie, la peinture, la sculpture. Je prends, comme je l'ai dit, toutes sortes de matériaux, et je laisse aller mon imagination. Elle travaille avec le matériel que j'ai choisi : le fer, le verre, le bois… Peinture, sculpture, gravure, dessin… Je pratique tout cela en même temps.
J.S-R. : Je vois bien, sur le panneau mural, le côté récupérateur de votre travail. Mais sur ceux que l'on pourrait appeler "des rectangles réguliers", j'ai l'impression de retrouver Matisse, Picasso et Cocteau…
M.P. : Ah Ah ! Oui, bien sûr. Mais nous en sommes tous là !
J.S-R. : Oui, mais là, c'est de la copie sans vergogne, dirons-nous !
M.P. : Nous les avons tous supportés ! Donc, nous les avons tous en tête, nous les avons tous plus ou moins repris, étudiés, scrutés, donc cela ressort obligatoirement.
J.S-R. : N'est-ce pas un paradoxe d'avoir sur vos récupérations d'objets réels, des têtes que vous êtes "obligé" d'inventer ; et d'autres où vous avez en tête, une culture du début du XXe siècle ?
M.P. : Non, pas du tout ! Pour moi, c'est naturel. Je passe de l'un à l'autre sans problème. Je passe graphiquement de l'un à l'autre. Si vous regardez bien, vous verrez que c'est toujours le même type de geste, la même graphologie, en quelque sorte, donc cela ne me pose pas de problème. D'autant que j'ai appris aussi bien à faire de la calligraphie que la lettre bâton, -au tire-ligne ou au compas-, par exemple ; que des choses beaucoup plus enlevées, beaucoup plus aléatoires. Tout cela ressort dans tous les matériaux. Et en fait, le matériau aussi crée la forme, le graphisme et le volume. En somme, le matériau dirige aussi.
J.S-R. : Quand vous dites "j'ai appris", vous voulez dire que vous êtes allé dans des écoles d'art, ou vous êtes autodidacte ?
M.P. : Oui, j'ai appris. Non, non, j'avais quinze ans quand je suis allé pendant deux années chez Penningen. Ensuite, j'ai fait Corvisart qui est une école de dessin et d'art graphique. Ensuite, j'ai fait un peu les métiers d'art et puis je me suis arrêté faute de moyens. Et j'ai commencé à perdre mon temps à gagner ma vie !
J.S-R. : Moi je n'appelle pas cela perdre mon temps, je l'appelle me donner de la liberté !
M.P. : Pas pour moi ! La famille aidant, j'ai choisi un travail dans la culture, qui m'a permis de continuer à côtoyer le monde plastique et artistique au travers du théâtre, du cinéma, des services culturels et des centres culturels que j'ai gérés. A soixante ans pile, j'ai arrêté ce petit jeu et j'ai commencé réellement à travailler pour moi, c'est-à-dire à pratiquer mon art.
J.S-R. : Je remarque la récurrence de ce que j'appellerai la colombe, dans vos œuvres. Même si, sur l'un de vos tableau, elle ressemble plutôt à une poule !
M.P. : Oui. En fait, ce sont des oiseaux. Pas une colombe en particulier, sauf quand elle est affublée d'un petit rameau d'olivier. Souvent, c'est un oiseau bleu, purement et simplement.
Celui où j'ai mis un oiseau rouge, représente un homme qui empêche deux dames de voyager, puisque le titre du tableau est "Voyages, voyages". Elles voudraient bien partir, mais l'homme s'y oppose. Et cet homme est symbolisé par un oiseau, rouge lui aussi.
J.S-R. : Pour en revenir aux couleurs, vos tableaux "géométriques" sont très colorés, vos autres œuvres sont dans des couleurs très pâles, très douces…
M.P. : Là, c'est le matériau qui gère la couleur ; alors que sur la toile, c'est moi qui la gère. En termes de couleur et de graphisme. D'ailleurs, vous remarquerez que toutes mes couleurs sont cernées. De noir.
J.S-R. : Ou de bleu.
M.P. : A partir de là, mon "style" est surtout un style graphique : le trait, ce qui est important. Et à partir du trait, se créent les volumes, les couleurs.
ENTRETIEN REALISE A BANNE DANS LES ECURIES, AU FESTIVAL BANN'ART ART SINGULIER ART D'AUJOURD'HUI 2012.