Jeanine Smolec-Rivais : Marie-Sol Camus, il me semble que vous avez deux thèmes dans les œuvres que vous présentez : la ville et la danse ?
Marie-Sol Camus : Ce n'est pas tout à fait cela : ce sont des travaux un peu plus anciens, qui portaient sur le corps humain. Des animaux et le corps humain. Et puis, là, ce sont des voyages. Comme j'ai voyagé cette année en Espagne, c'est un hommage à Goya et à Picasso parce que je suis passée dans leurs villes natales. Je suis toujours impressionnée par leurs œuvres. Sinon, mon travail est toujours à peu près le même, à base de pâte à papier et de collages. J'aime aussi le côté un peu riche avec des dorures, ce côté un peu oriental, ou religieux des enluminures anciennes.
J.S-R. : Tous vos tableaux sont dans un demi-relief ?
M-S. C. : Oui. Peut-être reviendrai-je un jour à la sculpture, pourquoi pas ? Il y en a un peu dans mes personnages.
J.S-R. : L'idée de sculpture vient du découpage.
M-S. C. : Aussi, oui. Et sur le grillage, cela devient léger. Il y a aussi la transparence du grillage qui peut être mis sur n'importe quel support.
Les éléments sont placés de telle sorte qu'un petit chemin serpente entre eux : et si on tourne le tableau, cela revient au même. Donc, on peut changer à l'infini la place des éléments, il y aura toujours ce petit cheminement.
J.S-R. : Revenons à vos villes…
M-S. C. : Ce sont des villages d'Espagne qui m'ont inspirée.
J.S-R. : L'un d'eux n'est pas conçu comme les autres ; mais pour la plupart, on a l'impression d'une masse qui vous serait apparue d'un seul coup ?
M-S. C. : Ce n'est pas tout à fait "une masse". D'ailleurs, beaucoup de mes tableaux, à part la perspective, sont à partir d'une spirale. Même avec les personnages, vous devez sentir la spirale que je travaille beaucoup. C'est un peu comme la vie : personne n'a un chemin tout droit ! Dans chaque œuvre, il faut chercher la spirale ou le labyrinthe. On cherche sa voie. On se cherche.
J.S-R. : Parlez-nous donc de la conception de vos villages, puisque ils donnent tous l'impression que vous les avez vus de haut. Surtout celle de Picasso, c'est une ville, mais une ville vue d'en haut.
M-S. C. : C'est construit, bien sûr, mais il n'y a pas vraiment une grande architecture.
Pour celle que vous évoquez, il y a un côté un peu naïf. On la voit parfois d'en haut, d'autres fois de face. Je casse un peu les perspectives, mais on suit un chemin, il y a un mouvement.
Pour le tableau du haut, c'est une perspective. Je suis allée à Cordoue, j'ai visité la meseta. Elle est grandiose, il y a des perspectives merveilleuses.
En ce moment, j'aime aussi beaucoup jouer avec les damiers.
J.S-R. : Une quatrième ville me semble beaucoup plus fantasmagorique…
M-S. C. : Oui. C'est la fête à l'envers. Un grand carnaval. A la fête à l'envers, chacun fait ce qu'il veut.
J.S-R. : Ce tableau-là donne, de loin, l'impression d'un vitrail.
M-S. C. : Oui. C'est une autre technique. Là, je travaillais à base de trichloréthylène ; ce que je fais beaucoup moins maintenant, parce que c'est un peu dangereux. Au lieu de peindre, je retire la peinture avec le trichlo. C'est une autre technique sur des papiers de revues de couleurs. Je garde la couleur. Et au lieu d'apporter de la peinture, j'en retire. Mais avec ce papier au-dessous, il y a des contraintes aussi, il est impossible de faire ce que l'on veut. C'est ce qui est intéressant.
J.S-R. : Parlons de vos trois personnages ?
M-S. C. : C'est une œuvre de l'an dernier. Le thème, au festival de Banne était la fête aux copains. Mais là encore, je suis partie d'une spirale.
J.S-R. : Je dirai presque que tous trois sont dans un œuf !
M-S. C. : Oui, ce pourrait être une naissance.
J.S-R. : Quand je vous ai dit que le second thème de votre présentation pouvait être la danse, vous m'avez répondu "Pas tout à fait".
M-S. C. : Oui, pas tout à fait, parce que c'est surtout un travail sur le corps humain. Sur le mouvement, plutôt. La danse, peut-être ? Plutôt la pantomime.
J.S-R. : Vous avez finalement une gamme très restreinte de couleurs. Ne parlons pas de ceux qui sont mordorés. Mais pour vos villes, vous semblez n'avoir que des bruns, quelques touches de rouges mêlés. Presque tout est donc conçu dans des bruns ?
M-S. C. : C'est possible, oui. Mais cela s'éclaircit, j'en viendrai peut-être à ne faire que du blanc, aussi ? N'avoir qu'ombre et lumière. Je pense que cela deviendra plus clair.
J.S-R. : Je ne comprends pas quelle serait l'application ? Si tout ce travail était blanc, qu'est-ce que cela impliquerait ?
M-S. C. : Il n'y aurait que les ombres et les lumières qui donneraient les nuances.
J.S-R. : Tout ce qui est devant nous serait en blanc, des nuances de blancs ?
M-S. C. : Oui. Des nuances de blancs, peut-être. Quoi qu'il en soit, mon travail s'éclaircit. Il devient de plus en plus clair.
J.S-R. : Ces frises, dont vous me dites qu'elles sont réversibles, comment les "utilisez-vous" ? Est-ce pour les placer autour d'un tableau, pour ajouter à quelque chose ?
M-S. C. : Non, c'est pour les voir ensemble. Je ne voulais pas trop en mettre ici, parce qu'après, le spectateur ne voit plus rien. Mais on peut les avoir ensemble. J'aurai toujours ces mêmes chemins. On peut aussi n'en avoir qu'un seul que l'on mettra dans n'importe quel sens. On peut le changer tous les jours, etc.
J.S-R. : Vous ne lui donnez donc pas d'autre signification que d'être une frise ?
M-S. C. : Non. Une frise. Quand on regarde, il y a beaucoup de détails. Chaque fois, on voit un animal que l'on n'avait pas vu, un animal que peut se changer en une espèce de tête… Il y a beaucoup de choses, beaucoup d'éléments différents, des coquillages…
J.S-R. : Ce qui est surtout impressionnant dans l'ensemble de votre travail, c'est cette espèce de granité que vous avez mis dessus, et que vous…
M-S. C. : C'est cette pâte à papier.
J.S-R. : Mais la pâte à papier donnerait des plis, des rayures… alors que l'on a nettement la sensation d'un granité.
M-S. C. : Oui. La pâte est granuleuse, et ce qui est intéressant c'est de ne pas trop la lisser. Il y a une contrainte, que je peux pas forcément parvenir à contourner. Alors, je laisse la matière agir à son gré. Je mélange la pâte à papier avec de la colle à papier fine, et l'ensemble devient dur comme du bois. Puis je colle l'ensemble devant une feuille de papier de soie. Le grillage est pris entre les deux.
J.S-R. : Et qu'ajoute la feuille de papier de soie ?
M-S. C. : Elle raidit dans l'autre sens en séchant. Parce que, sinon, la pâte à papier tirerait trop le grillage, et le papier de soie retient l'ensemble. Et cela ajoute à la solidité.
J.S-R. : En somme, vous créez cette composition, et vous la laissez sécher telle quelle ? Parce que je vois qu'entre vos trois personnages, il n'y a pas de points de contacts.
M-S. C. : Voilà !
J.S-R. : Vous pouvez donc les avoir faits séparément ?
M-S. C. : Non, non ! Ils sont conçus ensemble sur ce papier de soie –le vrai papier de soie qui est indéchirable !- que je découpe au cutter autour des personnages.
J.S-R. : Une fois que c'est installé, vous ne pouvez plus rien désinstaller ? Vous n'avez donc pas droit à l'erreur ?
M-S. C. : Non !
J.S-R. : Y a-t-il maintenant d'autres thèmes que vous auriez aimé traiter et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?
M-S. C. : Nous pourrions aussi parler des petites broches en papier que je réalise, et qui sont très légères à porter. Elles sont amusantes à faire. Ce sont de petits clins d'œil et les femmes aiment bien les porter.
ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DU CHATEAU DE BANNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.