Jeanine Smolec-Rivais : Carole Coache, comment définissez-vous votre travail ? Diriez-vous que c'est de la tapisserie ?
Carole Coache : Non, c'est ce que l'on appelle du patchwork américain. Et c'est considéré comme un art textile.
J.S-R. : N'est-ce pas plutôt de l'artisanat d'art ?
C.C. : Oui, effectivement ! Je ne sais jamais trop où me mettre ? Mais je fais aussi de la peinture et pour moi, cette création équivaut à la peinture, parce que je suis passionnée de tissus.
A l'origine, j'étais potière. J'étais donc aussi dans un monde de matière et à cheval entre l'artisanat et une expression artistique.
J.S-R. : Comment vous inscrivez-vous dans le monde de l'Art singulier ?
C.C. : Parce que je fais des peintures qui sont issues des peintures traditionnelles, mais que je vais vers des expressions qui ne le sont pas. Il y a des assemblages, des matériaux. Je crois que c'est plutôt dans la démarche, parce que les peintures que je conçois sont pour mettre au mur. Dans ce sens-là, je m'inscris un peu comme les peintres. Ce n'est pas facile, parce qu'effectivement, je suis toujours en porte-à-faux. Dans un salon d'Artisanat d'Art je ne suis pas à l'aise, parce que je ne fais pas du tout de séries. Chez les peintres, les gens me boudent en disant que c'est de l'Artisanat. Je suis finalement un peu métissée. A Banne, je me sens bien, parce que le festival me permet de partager ma passion –parce que pour moi, ce travail textile est une véritable passion-. Et puis, j'ai aussi des objets un peu insolites. Et j'ai des projets qui vont évoluer dans un sens encore plus singulier.
J.S-R. : Puisque vous dites que c'est du patchwork, quelles sont les règles esthétiques qui s'y rapportent ?
C.C. : C'est comme en peinture ! C'est une écriture. Avant tout, le patchwork américain est de la géométrie. C'est un langage assez universel, parce que cet art textile populaire se retrouve dans le monde entier. Avec des symboles identiques. Bien sûr, j'ai appris à travailler. Mais j'ai aussi mon feeling. Pour moi, c'est vraiment totalement de la création. Je ressens ce que je fais. Et je le ressens au millimètre près. C'est-à-dire que, lorsque je fais un carré, je ressens s'il doit mesurer cinq centimètres de côté ou s'il doit n'en faire que trois. C'est une perception intérieure.
J.S-R. : En même temps, le colorisme joue un rôle primordial.
C.C. : Absolument !
J.S-R. : Si je regarde le tableau qui est derrière vous, je retrouve de multiples petits fils à certains angles de noir et de blanc. Pourquoi laissez-vous ces fils apparents ?
C.C. : C'est un choix personnel ; une espèce de feeling. Cela a aussi une utilité, parce que dans le patchwork, il y a trois épaisseurs : celle que l'on appelle "le top" où j'ai cousu toutes les pièces ensemble : si vous regardez derrière, il y a plein de coutures apparentes. Ensuite, vient un "molleton" et enfin une "doublure". Pour maintenir ensemble les trois épaisseurs, on utilise souvent le matelassage qui est fait de dessins paraissant en relief. Cela sert bien sûr à consolider l'ouvrage. Et les petits nœuds servent aussi à ce maintien des trois épaisseurs ensemble.
J.S-R. : Quand vous dessinez vos arabesques autour de l'ouvrage, vous travaillez à partir d'un calque ?
C.C. : Oui. Je me sers d'un patron, ou de pochoirs. Mais il y a, bien sûr, une manière de les dessiner et de les reporter. Tout cela, c'est de la technique.
Par exemple, pour celui qui est très coloré, je me suis inspirée d'une œuvre de Paul Klee. C'est une minuscule aquarelle. Ailleurs, c'est de la soie peinte : là, j'ai peint toutes mes soies pour obtenir les couleurs que je voulais.
J.S-R. : Ces morceaux que vous assemblez portent-ils un nom ? Comme pour les mosaïques de Ravenne, par exemple, où les petits morceaux s'appellent des tesselles.
C.C. : Dans le patchwork, c'est la géométrie qui prime, nous l'avons dit tout à l'heure. Si les morceaux ne sont pas symétriques, on appelle la réalisation "du Crazy", du "patchwork fou" ! Tout cela implique une passion, un contact, un choix, une démarche.
J.S-R. : Y a-t-il maintenant d'autres thèmes que vous auriez aimé traiter et que nous n'avons pas abordés ? Des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ?
C.C. : Tous mes patchworks ont des titres. Ces titres sont liés à tout un univers de poésie. L'un s'intitule "Les corbeaux dansent avec les fées". J'ai des contes, des histoires qui vont avec les patchworks. Ce travail me demande infiniment de temps et le résultat est pour moi comme "un tissage de temps". Dedans, il y a des histoires que le visiteur peut "entendre" ou pas, ce qui fait toute la poésie de l'œuvre. Ce ne sont pas simplement des images.
J.S-R. : Quel est le rapport entre le titre et le tableau ?
C.C. : Le titre est imaginaire. Mais il part d'un vers que j'ai entendu dans une poésie. Souvent, je pars d'une promenade… Par exemple, un jour, je suis allée voir une manifestation dans un lieu qui s'appelle "Le Belvédère des Lichens". Ce nom m'a beaucoup touchée, et j'ai décidé de réaliser un patchwork portant ce titre. Je ne l'ai pas encore commencé, mais je sais comment il va être. Déjà, je suis en train de m'inspirer de tous les lichens que je vois. Et je vais m'y mettre !
ENTRETIEN REALISE DANS LA SALLE DE L'ART ACTUEL DE BANNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.