ENTRETIEN DE JEAN-LUC BOURDILA, FONDATEUR ET PRESIDENT DU FESTIVAL

AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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La Terre à Toto 2013
La Terre à Toto 2013

Jeanine Smolec-Rivais : Jean-Luc Bourdila, bilan du festival numéro cinq ?

Jean-Luc Bourdila : Satisfaisant. Satisfaisant pour plusieurs raisons : la première, c'est notre cinquième année, nous avons donc tenu cinq ans. Ce qui, depuis deux ans maintenant, relève d'une bonne volonté tant de la part des artistes présents que des soutiens politiques financiers et de notre organisation. Parce qu'il est vrai que, depuis deux ans, la récession est passée par là. C'était une note négative pour commencer, mais nous existons toujours, et nous pensons encore exister en 2014. Donc, le bilan est satisfaisant, puisque tout le monde nous a donné des signes de bonne volonté, et de réelle intention de continuer.

Deuxièmement, satisfaction de relations avec les artistes qui sont, de plus en plus, impliqués dans le Grand Baz'Art. Par la qualité, le choix, le soin de leurs œuvres, la présentation. Ils se sentent ici chez eux, et donnent le meilleur d'eux-mêmes, à titre artistique et à titre humain. Et, je le dis en toute modestie, je pense que l'ambiance qui règne contribue largement à l'évènement qu'est le Grand Baz'Art.

Troisième point de satisfaction : le public est certainement un public spécialisé, mais c'est un public attentif, curieux. J'ai rencontré des gens qui venaient pour la troisième fois ; qui, au départ, étaient totalement béotiens ; qui découvraient l'Art singulier ; qui étaient surpris ; et qui, aujourd'hui, ont acheté pour la première fois, une petite œuvre. Je pense que c'est aussi une forme de pari gagné, que des gens qui ne s'intéressaient pas spécialement à l'art commencent à s'y intéresser par un art marginal. Cela signifie que cet art marginal a des qualités qui peuvent toucher un grand public, un public tout à fait populaire, au sens positif et remarquable du terme.

Enfin, dernier point de satisfaction, c'est l'équipe de bénévoles, de plus en plus soudée, de plus en plus dynamique, de plus en plus heureuse d'être ici, et de plus en plus efficace. Je ne dis pas cela en terme de rentabilité ou de gestion de temps, mais dans le constat, par exemple, que d'habitude, nous mettions deux jours et demi pour monter la salle, et que cette année, nous avons mis une journée un quart ! Ce qui montre que, désormais, l'équipe est rôdée, efficace, chacun sait ce qu'il a à faire. Et tous ces gens que nous appelons "Le clan des Bézuviens", sont des fidèles. Puisque, aujourd'hui, il est impossible de garantir aux artistes ni le public ni les ventes, notre objectif était qu'au moins, ils passent un bon weekend parmi les gens qui les accueillaient, et entre eux.

 

Un moment du vernissage
Un moment du vernissage

J.S-R. : En plus, ce qui ne gâte rien, j'ai trouvé que c'était le meilleur festival des cinq ! Il y avait toujours la même diversité, mais il n'y avait plus de hiatus quant à la qualité des œuvres. Tous les artistes qui étaient présents sont très créatifs, très imaginatifs, et cela m'a été un plaisir de côtoyer pendant trois jours, tous ces gens-là !

J-L. B. : Merci pour nous ! Merci pour eux ! Cela rejoint ce que je disais tout à l'heure, c'est-à-dire que les artistes s'impliquent vraiment ! Nous les avons pris au sérieux. Ils ont pris leur travail et leur présence au sérieux. Je pense que l'on peut être sérieux tout en étant joyeux et détendu. Qu'au début, ils venaient avec leurs œuvres telles qu'elles étaient ; mais que, face à notre côté strict et exigeant, ils se sont responsabilisés. Ce qui explique peut-être que vous ayez vu un cinquième Grand Baz'Art meilleur que les précédents. Je suis satisfait des quatre précédents, parce qu'il y avait déjà de très grands artistes.

 

J.S-R. : Oui, et nous en avions déjà longuement parlé. Mais ce qui m'a frappée cette année, c'est l'unité dans la qualité.

J-L. B. : Eh bien, encore merci. Mais peut-être, nous-mêmes, avons-nous progressé ? Peut-être mon œil s'est-il aguerri ? Et puis, j'ai toujours dit que nous étions dans une période exploratoire de cinq ans. Pour essayer de trouver une image, nous avions expérimenté beaucoup de choses ; et peut-être cette année étions-nous plus proches de l'esprit que nous voulions atteindre, et sommes-nous désormais sur la bonne voie ?

 

J.S-R. : Je dois dire aussi qu'il y a toute cette convivialité qui est certes due à l'encadrement qui assure le quotidien et avec qui nous sommes peu à peu en train de devenir des amis. Mais, en même temps, il y a la convivialité entre les artistes. J'ai assisté récemment dans un autre festival, à des heurts entre artistes, et je veux croire que ce serait impossible ici.

J-L. B. : C'est malgré tout toujours possible. Mais, au-delà de la qualité du travail d'un artiste, j'attache beaucoup d'importance à la qualité de son relationnel. Comme je le disais tout à l'heure, la seule chose que l'on peut garantir aux artistes, c'est qu'ils passent un bon moment. Donc, dans le choix des artistes, il ya aussi leur valeur humaine, leur capacité de relation sociale. Leur faculté de communiquer avec les autres, et de s'intégrer à un groupe. Ce qui fait que certains grands artistes ne seront peut-être jamais invités au Grand Baz'Art parce qu'ici il n'y a pas de querelles d'ego, chacun accepte de partager l'espace avec les autres.

 

Jean-Luc Bourdila avec ses invités : Dion Hitchings (Américain), Oana Amãricãi. De dos, Marc Rhomer, vidéaste du festival
Jean-Luc Bourdila avec ses invités : Dion Hitchings (Américain), Oana Amãricãi. De dos, Marc Rhomer, vidéaste du festival

J.S-R. : Il y avait, par ailleurs, une nouveauté en deux facettes : les Roumains et les Américains. Qu'est-ce qui vous a poussé à les amener ici en deux groupes importants ?

J-L. B. : La raison est simple : elle faisait partie de la liste des expérimentations que nous voulions faire dans ces cinq ans, c'est-à-dire organiser une, voire deux expositions à l'intérieur-même du festival. Pour la Roumanie, cela s'est fait un peu par hasard, par l'intermédiaire de Karianne qui était notre voisine, qui est partie habiter à Bucarest et qui m'a à maintes reprises invité à venir chez elle. Comme j'avais très envie de visiter le "Cimetière joyeux" de Sãpânta, l'été dernier, au mois d'août, je me suis lancé, presque de façon irréfléchie. Je suis allé visiter deux expositions auxquelles participait Karianne, et le jour de mon arrivée, j'ai rencontré Oana Amãricãi qui a eu un coup de cœur pour l'Art singulier que, jusque-là, elle ne connaissait pas du tout. De fil en aiguille, notre relation s'est renforcée, et je lui ai proposé de chercher des artistes que nous pourrions exposer au Grand Baz'Art. Elle est arrivée avec une sélection d'artistes que j'ai trouvée très originale, très personnelle, très éclectique ; et surtout de qualité.

Quant à Dion Hitchings, cela faisait deux ans que nous étions en contact. Il a failli venir l'an dernier, mais il y a aussi un aspect financier non négligeable. Il m'a donc demandé le temps de s'organiser pour 2013, et nous étions très heureux de l'accueillir lui aussi. En plus de lui, six artistes américains étaient représentés. Je trouve que cela faisait deux belles expos originales, très différentes, celle de "Romania Hors-les-normes" un peu plus éclectique ; et celle de Dion Hitchings, "Frenchtown's outsiders", très folk art, très outsider, très américaine et qui donnait une image de ce qu'est le Folk Art aux Etats-Unis. Nous sommes très satisfaits de ces deux expositions qui constituaient un plus pour le Grand Baz'Art. Et je pense que nous allons garder cette idée d'expositions soit thématiques, soit d'un pays, à l'intérieur du festival.

 

J.S-R. : Par ailleurs, pour tous ces artistes qui ne sont jamais sortis de Roumanie, ce devait être un grand plaisir de se dire qu'ils exposaient en France ?

J-L. B. : Oui. Il y a une très grande relation amicale entre la France et la Roumanie. Les Roumains considèrent la France comme un très grand pays de culture, et ils sont toujours très heureux que des Français s'intéressent à eux. Pour certains, cette invitation était totalement inattendue. C'était pour eux une reconnaissance de leur talent, de leur expression ; et nous avons ressenti de leur part un grand enthousiasme. D'ailleurs, pour 2014, Oana a déjà reçu des demandes d'artistes très intéressants, qui prendraient beaucoup plus d'espace que le Grand Baz'Art ne peut leur en accorder. Parce qu'il n'est pas question de transformer la manifestation en festival franco-roumain, ou de supprimer pour eux d'autres facettes qui seraient intéressantes à explorer. Mais cette initiative a été un vrai succès de la part des artistes, du public, et des autres artistes qui étaient très curieux de trouver des gens qu'ils ne connaissaient absolument pas, même sur Facebook, par exemple.

 

Oeuvre de Christophe Ronel, invité d'honneur 2013
Oeuvre de Christophe Ronel, invité d'honneur 2013

J.S-R. : Cette année, votre invité d'honneur était Christophe Ronel. J'ai trouvé qu'il avait bien joué le jeu ; et son travail est d'une qualité absolument remarquable !

J-L. B. : Voilà, vous avez tout dit ! Je l'ai invité d'abord pour sa qualité de travail exceptionnelle. Et parce que c'est vraiment quelqu'un de très sympathique. De très ouvert. Il était à la fois intrigué et curieux de se trouver avec des artistes plus "Singuliers" que lui, et différents. Je crois qu'il est reparti ravi ! Lui et sa femme avaient un peu de mal à quitter le festival. Je pense –bien sûr, son niveau de reconnaissance va bien au-delà d'un festival hors-les-normes- qu'il a beaucoup apprécié d'être parmi nous ? Il n'est pas vraiment un artiste "Singulier", il est proche de la Figuration libre ; mais il a une caractéristique que l'on trouve chez tous les grands artistes, c'est que l'on reconnaît immédiatement un tableau de Christophe Ronel ! Il a une grande personnalité en terme de visuel ; et sa façon d'aborder ses tableaux qui ne sont en fait que des récits de voyages, est tout à fait originale. Il a une façon tout à fait singulière de rendre compte de ce qu'il a vu. Il digère, il laisse macérer, il rend compte des rencontres qu'il a faites, en les projetant sur la toile. Le spectateur a vraiment l'impression d'un voyage à la fois spirituel, un peu initiatique, figuratif. J'ai écrit dans le catalogue que, parfois, en regardant ses toiles de loin, il me fait penser –en tout à fait différent, bien sûr- à Augustin Lesage !

 

J.S-R. : Il est beaucoup moins géométrique, tout de même ! Il y a chez lui un foisonnement qui n'existe pas chez Lesage !

J-L. B. : Certes ! Mais la comparaison me vient du fait que ce sont, en somme, deux artistes "inspirés" !

 

J.S-R. : Pour conclure, y a-t-il d'autres sujets que vous voudriez évoquer et auxquels je n'ai pas pensé ?

J-L. B. : Non. Si ce n'est que je ne suis pas un homme politique et que je ne fais pas de politique ; mais que je voudrais remercier très sincèrement les hommes politiques qui, depuis cinq ans nous soutiennent financièrement ; et sans qui cette manifestation ne pourrait pas exister. Et je voudrais de nouveau remercier chacun des membres du Clan des Bézuviens qui prennent sur leur temps de vacances, sur leurs congés, sur leurs loisirs pour venir travailler, monter des planches, visser des panneaux, servir à table, faire la vaisselle… des choses en somme qui ne sont pas forcément gratifiantes mais qu'ils sont heureux de faire pour le bien-être des artistes. Ils sont heureux de partager ces moments avec eux. Et merci bien sûr aux artistes et aux gens comme vous, qui font que le Grand Baz'Art a acquis plus de notoriété.

 

Sapanta, cimetière hyper-célèbre, où Jean-Luc Bourdila est allé "en pélerinage"
Sapanta, cimetière hyper-célèbre, où Jean-Luc Bourdila est allé "en pélerinage"

J.S-R. : Eh bien, rendez-vous en 2014 ?

J-L. B. : Oui, bien sûr. Mais j'ai une question : nous avons changé le format du catalogue, qu'en pensez-vous ?

 

J.S-R. : Je préfère le nouveau format. Un reproche, cependant, vous n'avez toujours pas appris l'alphabet ! Les artistes ne sont toujours pas par ordre alphabétique, et c'est vraiment un problème lorsque l'on cherche une page précise !

J-L. B. : Non, ils ne le seront jamais parce que j'essaie de les assembler soit par similitude de travail, soit par harmonies de couleurs sur une page par rapport aux photos d'œuvres qu'ils m'ont envoyées.

 

J.S-R. : Peut-être est-ce dû au fait que les textes –dont le mien- étaient un peu longs, mais j'ai trouvé que l'ensemble était trop serré : Trois artistes par double page, c'est beaucoup !

J-L. B. : La réponse est simple, c'est une question de budget ! Nous disposions d'un budget/catalogue ; et nous voulions cette année consacrer plus de place aux textes pour que les gens n'aient pas qu'un album d'images. Qu'ils aient aussi matière à lire, voire à contredire ce qui peut être écrit. Il a donc fallu resserrer les artistes à trois sur une double page. C'est un tiers de moins que d'habitude. C'est dommage, mais par les temps qui courent, estimons-nous heureux de pouvoir continuer dans des conditions acceptables. A un moment donné, il faut faire des choix. Et je pense qu'avoir des textes donne un rythme au catalogue…

 

J.S-R. : Oui, il est fastidieux de passer d'un artiste à l'autre sans interruption. En plus, les textes sont intéressants dans l'histoire de l'Art singulier. Tous apportent un nouvel éclairage, un peu de nostalgie, un peu de crainte que cet art singulier que nous aimons, ne soit en train de perdre sa marginalité, et de basculer dans l'officialité. Je crois que presque tous ont dit la même chose !

J-L. B. : Parce que, tous sont amoureux de l'Art singulier ; et craignent, en effet, –et vous depuis plus longtemps que les autres, parce que vous y êtes totalement immergée- sa disparition ! Je ne suis pas un intégriste de l'Art singulier, mais je pense qu'il est grand temps de signifier ce qu'il était vraiment. J'ai essayé, à travers ce catalogue, de propager un peu cette forme d'interrogation ; et d'apporter une petite pierre à la prise de conscience qu'il faut avoir pour protéger cet Art singulier. Finalement, nous sommes au XXIe siècle : peut-être faut-il considérer qu'il a vécu jusqu'à la fin du XXe ; et nous dire que, désormais, il faut chercher autre chose ? Je ne sais pas. Mais je pense qu'il est grand temps, au moins, de s'interroger. A travers les textes du catalogue, nous avons essayé d'inciter les gens à réfléchir à cette question.

 

ENTRETIEN REALISE A BEZU-SAINT-ELOI, LE 19 MAI 2013.

 

VOIR AUSSI ENTRETIEN DE JEANINE RIVAIS AVEC MIHAI DOCEA PRESENT AU GRAND BAZ'ART A BEZU