Jeanine Smolec-Rivais : Karine Krinicki, sculptures d'Art-Récup' ?
Karine Krynicki : Oui.
J.S-R. : Récup' avec traces du temps ? Ou Récup' indifféremment ancienne ou neuve ?
K.K. : Oh non ! Pas neuve ! Patinée ! En fait, j'ai commencé la sculpture avec de la ferraille, et c'est le temps, la patine qui m'intéressaient dans les matériaux et les objets que je créais. La patine rouillée, surtout.
J.S-R. : Sur certaines de vos œuvres, le corps du personnage est fait de boîtes de conserves très nettement rouillées mélangées avec d'autres matériaux qui, eux, sont flambant neufs ; sur d'autres, vous avez complètement caché le matériau d'origine, comme votre chien ou votre lapin. Si le passage du temps est si important, pourquoi le cachez-vous parfois ?
K.K. : Pour le chien bleu, par exemple, c'est du papier sur une structure entièrement en métal : Une mâchoire de frein pour le dos, ce qui lui donne cette courbure… Là, c'était plus l'expression qui m'intéressait. C'est un chien qui porte sur son dos toute la misère du monde ! Un peu famélique ! Et en papier. En ce moment, je suis en train d'évoluer vers un travail du matériau. C'est du papier Récup', mais qui me permet d'aborder le modelage. Et d'aller encore plus loin sur les formes.
J.S-R. : Vous parlez d'aborder le modelage ? Vous voulez en venir à la céramique ?
K.K. : Non. Du modelage en papier. Je ne connais pas du tout la terre. Peut-être essaierai-je un jour, mais pour le moment, c'est le papier qui m'importe. Et c'est un travail différent de la ferraille : la ferraille est un amusement total ; tandis que dans le papier il y a un côté zen à travailler les œuvres. Même si, du coup, elles me prennent beaucoup plus de temps, je suis dans une autre atmosphère, quand je travaille le papier.
Quant au lapin, c'est de la toile de jute que j'ai récupérée. Il y a un embauchoir, qui est un objet ancien…
J.S-R. : Pour écarter les chaussures ?
K.K. : Oui. Et il y a du papier sur les pattes. En effet, j'ai de plus en plus envie de mélanger les matériaux, même si les vieux objets m'attirent beaucoup. C'est souvent l'objet qui me fait penser à une forme que je vais retravailler. Finalement, il y a peu de matériaux neufs. Ou alors, il y a ce personnage, c'est de l'alu, mais ce sont de vieux gobelets qui ont donc aussi une histoire.
J.S-R. : Je voudrais revenir à votre chien, parce que je ne suis pas sûre d'avoir bien compris ce que vous m'avez expliqué ! Vous m'avez parlé de la structure métallique sous-jacente, et dit qu'ensuite vous remodelez. Vous voulez dire que vous retravaillez le papier ?
K.K. : Oui.
J.S-R. : Mais il ne se craquèle jamais ?
K.K. : En fait, il y a des dizaines de couches et quand on le soulève, il est lourd, à cause de cette structure métallique et l'épaisseur du papier. Ce qui m'intéresse c'est de presque arriver à un "effet bois". Et au niveau du toucher, on a une impression de bois. J'ai une sorte de petit sphinx qui produit le même effet. Il a une tête de poupée, une pièce métallique pour tenir la tête, et il a un poids, également, à cause du métal. Je mets beaucoup de temps à installer les couches de papier !
J.S-R. : Je voudrais en venir à celle qui m'a beaucoup amusée hier : "Les polichinelles dans le tiroir". Ce titre reproduit une expression populaire vulgaire ; et "elle" a l'air, la pauvre, d'avoir beaucoup de polichinelles dans son tiroir !
K.K. : Oui ! Il était amusant de reprendre cette expression qui, en général est employée au singulier ; et là, de l'employer au pluriel !
Je suis partie de pièces qui sont basiquement des charnières de placards ; et l'ensemble m'a fait penser à une tribu. Je suis partie sur l'idée de faire la mère. C'est du papier sur un vieux moulin à café…
J.S-R. : Là, on dirait vraiment du métal ! Il en a la patine, la rouille…
K.K. : Le papier me permet aussi le recours à la peinture ; ce qui me manquait avec le travail en ferraille. Du coup, je retrouve le plaisir parce que je crée depuis très peu de temps, à peine trois ans…
J.S-R. : Oui, j'aurais pu vous le demander !
K.K. : Il n'est pas trop tard pour en parler ! Par contre, j'ai toujours dessiné, j'ai toujours peint ; et c'est maintenant ce qui vient.
J.S-R. : En fait, vous ne vous contentez pas de deux dimensions, il vous faut les trois.
K.K. : Oui, peut-être ?
J.S-R. : Dans une autre œuvre que vous présentez, le cep de vigne se reconnaît très bien, mais il est difficile d'identifier les autres éléments que vous avez conjugués !
K.K. : Oui, c'est un assemblage de différentes parties d'éléments : une chaîne de tronçonneuse, toutes sortes d'objets récupérés, et il est vrai que parfois je les transforme ! D'où la difficulté de les reconnaître. Mais chaque fois que j'ai créé un personnage, je suis ravie que le visiteur y voie autre chose.
J.S-R. : Les autres sont pratiquement tous métalliques. Cela signifie-t-il que finalement, votre Récup' se situe essentiellement sur le métal ?
K.K. : Disons que oui, encore maintenant ; parce que depuis quelques mois je commence tout juste à travailler d'autres matériaux. Et puis, comme je vous l'ai dit, c'est devenu une récréation ; donc je vais, par exemple, travailler longtemps sur du papier ; et puis tout à coup, je ressens l'appel du poste à souder !
J.S-R. : Ailleurs, je vois ce qui me semble être une famille. Vous avez parlé tout à l'heure de la mère et sa triste position, et je la trouve bien à plaindre ! Ce grand personnage est-il en train de tendre les mains vers quelqu'un ?
K.K. : C'est "La femme du vent".
J.S-R. : Elle essaie de le capter ?
K.K. : Je ne sais pas ! Ou alors, elle glisse ? Elle a une présence que je ne m'explique pas !
J.S-R. : En fait, elle est toute en mouvement. Elle est courbée. Mais je la trouve en mouvement paradoxal, parce que quand le vent souffle fort, on se penche pour lui résister ; mais, en même temps, elle tend ses bras.
K.K. : Elle avance, elle est en demande.
J.S-R. : Quand vous voulez commencer une œuvre, savez-vous ce que vous allez faire ? Ou partez-vous au hasard ?
K.K. : Non, j'ai l'idée de départ. Si je fais des dessins, c'est sur un post-it, c'est juste un croquis. Et du croquis, la réalisation peut évoluer un peu. Mais en général, je reste fidèle à ma première idée. Mais il est vrai que le modelage permet d'aller plus loin dans le détail.
J.S-R. : Quand vous réalisez un objet, que recherchez-vous ? La convivialité ? La tendresse, l'humour comme votre héron qui a deux roues au lieu d'avoir des pattes.
K.K. : Je crois que c'est l'expression, comme je l'ai dit tout à l'heure. C'est souvent l'humour, en effet. Je crois que je n'aime pas l'art triste ! Il y a une sensibilité dans chaque œuvre, c'est ce que j'essaie de transmettre.
J.S-R. : Et le martinet, là-bas ? Implique-t-il que vos enfants aient grandi ?
K.K. : Ce n'est pas un martinet, contrairement à ce que beaucoup de personnes le pensent. Ce sont des joints de portes-fenêtres que j'ai lacérés. Et, en fait, c'est une méduse, c'est "La médusée".
J.S-R. : Il me semble que vous feriez un bon mariage en unissant votre mère et ses polichinelles, à celui que j'aurais appelé un marin si son pull était bleu. Mais il est rouge…
K.K. : C'est un docker ! C'est "Le docker entre terre et mer". C'est un coffin de faucheur, cet outil que l'on mettait à la ceinture et contenait la pierre de faux. C'est un souvenir d'enfance. En fait, mon père, qui était un syndicaliste, allait aux réunions et me parlait souvent des dockers. J'ai voulu lui rendre cet hommage avec ce personnage un peu bourru !
J.S-R. : Je trouve qu'il est complètement différent des autres, parce que le chien est famélique, le lapin désabusé… Mais lui, il est là, fixé sur ses deux jambes !
K.K. : C'est ainsi que j'imaginais ces ouvriers, petite fille. Et je suis partie sur les couleurs bleues, rouges… C'est un peu caricatural, mais en même temps, il me parle beaucoup.
J.S-R. : Je pense que votre travail doit être regardé avec amusement par les enfants ? Finalement, votre monde est donc uniquement animalo-humanoïde ?
K.K. : On peut le définir ainsi. Je fais quelques assemblages qui n'en sont pas. Mais la plupart appartiennent en effet, à l'un ou l'autre monde. Mais je pense qu'en chaque humain, il y a de l'animalité ? Je ne cherche pas le réalisme !
ENTRETIEN REALISE A MARSAC LORS DE LA RENCONTRE INTERNATIONALE D'ART SINGULIER, LE 6 JUILLET 2013.