SOLENE MEGE, dite GEMSOE, peintre et sculpteure

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Gemsoe, vous êtes à la fois sculpteure et peintre. Parlons d'abord des sculptures, dont il me semble qu'il y ait deux sortes : L'une que l'on pourrait rattacher à vos peintures, c'est-à-dire où les personnages ont tous les éléments d'un corps, mais sans les détails, très épurés ; les détails des visages étant supprimés, par exemple, seule étant évoquée la forme de la tête. Et puis, une série de personnages en bustes, dont les visages sont "complets", avec parfois même des détails, comme une moustache, un menton en galoche, etc.

Gemsoe : Je dirai que ceux-là sont "mes méchants au grand cœur". Ils ont des têtes un peu particulières. Ils pourraient jouer les méchants dans les films, mais ils ont aussi un côté tendre.

 

J.S-R. : Qu'est-ce qui vous fait dire qu'ils ont un côté tendre ?

G. : C'est mon interprétation !

 

J.S-R. : Vous les "voulez" ainsi ! Mais leur visage est vraiment celui de Monsieur Tout le Monde ! Ils ne sont donc pas forcément, pour le visiteur, des gens "au grand cœur".

G. : En général, j'exagère une partie de leur anatomie ; le nez, le menton, les oreilles…

 

J.S-R. : Et c'est ce qui les rend "bons" ?

G. : Pas forcément, mais c'est ainsi que je les vois !

 

J.S-R. : Toutes les sculptures sont en terre ?

G. : Oui.

 

J.S-R. : Les autres sont en argile blanche.

G. : Oui. Mais elles sont toujours conçues à partir de quelque chose que j'ai vécu, ou vu ou ressenti.

 

J.S-R. : Dans cette série, vous avez représenté plusieurs scènes d'amour. Parfois, c'est un trio tendrement serré. Un trio ! Prudence !

G. : En fait, c'était une histoire : J'étais à un enterrement, et le côté émotionnel est beaucoup ressorti. J'ai vécu des histoires vraiment différentes ; et toutes ces sculptures représentent des scènes auxquelles j'ai assisté, notamment pendant cet enterrement, et que j'ai voulu faire ressortir.

J.S-R. : Qu'est-ce qui vous conditionne pour que vous ayez envie tantôt de faire vos "méchants au grand cœur", tantôt les témoignages d'histoires d'amour ou de solitude ?

G. : Ce sont des moments que je reçois. Quand je suis dans une émotion, j'ai alors envie de prendre un morceau d'argile et la faire ressortir. Pour cette raison, je serais incapable de faire deux fois la même sculpture. L'émotion n'étant pas la même, le "témoignage" est forcément différent.

 

J.S-R. : La plupart de vos femmes, du moins celles qui sont solitaires parce que pour les groupes il est plus difficile de se prononcer ; la plupart donc, sont construites comme la Petite Dame de Brassempouy. Avec le buste normal, mais les hanches très larges comme si elles étaient prêtes pour la maternité.

G. : Ce n'est pas ce côté-là que j'ai voulu développer, c'est parce que je suis aussi assez grassouillette, et n'acceptant pas mes rondeurs, j'ai essayé de les faire accepter à travers mes sculptures. Pour que les gens puissent les trouver belles et sensuelles. Qu'ils trouvent beau d'avoir des formes. C'est donc une thérapie pour moi de faire accepter ce problème à travers mes sculptures. Une façon aussi de m'accepter ainsi.

 

J.S-R. : Le mot "thérapie" me semble un peu fort ! Vous travaillez avec un centre spécialisé ?

G. : Non, pas du tout. Je suis seule, mais cela me fait du bien. Certains ont leur balle antistress qu'ils malaxent toute la journée. Moi, quand je ne vais pas bien, je prends un morceau d'argile et cela me permet d'évacuer ce que je ressens.

C'est la raison pour laquelle je ne peux jamais savoir à l'avance ce que je vais créer, parce que cela se dessine dans l'instant ; en fonction de ce que je viens de vivre. Qui va ressortir dans une sculpture ou une peinture, d'ailleurs.

 

 

 

J.S-R. : Venons-en à vos peintures. Elles sont encore plus stylisées que les sculptures que nous venons d'évoquer. Les personnages sont toujours très statiques. Encore plus, peut-être, l'une d'elle qui me semble en train de dormir ?

 G. : Non, elle est simplement posée sur la table. C'est ma nièce que j'ai prise en photo. J'ai trouvé la photo très jolie, et du coup je l'ai exploitée.

 

 J.S-R. : Parlez-nous aussi de cette mère avec ses deux enfants…

 G. : C'est ma représentation : j'avais mis en vente mon appartement ; et, quand j'ai su qu'une personne était intéressée pour l'acheter, je me suis mis dans mon imaginaire le dos à l'appartement, avec mes enfants sous les bras, face à un nouvel horizon. Une façon de tourner une page.

J.S-R. : En somme, tout votre travail est extrêmement autobiographie ?

G. : Oui, toujours.

 

J.S-R. : Mais tout de même, vous n'êtes pas toujours dans le "rendu" émotionnel ?

G. : Je peux aussi travailler à partir de photos, comme pour ma nièce que je viens d'évoquer.

 

J.S-R. : Ce que je veux dire, c'est que vous créez aussi pour un plaisir que vous avez éprouvé ? Pour autre chose que pour une thérapie, que vous évoquiez il y a quelques minutes ?

G. : Oui. Cela me fait du bien de peindre ou de sculpter. C'est une façon pour moi d'extérioriser ce que je ressens, et le mettre en place.

 

J.S-R. : Les couleurs employées sont plus vives sur les tableaux les plus petits ?

G. : Je ne réfléchis pas trop aux couleurs. Avant, j'étais très sombre, je travaillais avec du blanc, du noir, du gris. Mais maintenant, j'essaie d'utiliser de la couleur. C'est assez récent. Et je trouve cela très intéressant. Mais il n'y a pas de raison particulière à telle ou telle couleur.

J.S-R. : Par contre, il doit y avoir une raison particulière pour que vous ne leur dessiniez pas les visages ? Qu'ils ne soient qu'évoqués ; au mieux qu'il y ait les yeux ?

G. : Je ne connais pas la raison. Il me paraît suffisant de les représenter comme je le fais, et je n'ai pas envie de rajouter quoi que ce soit. Même, parfois, il manque les bras, les jambes… Cela me suffit, il n'y a pas besoin de plus. Je ne peux pas l'expliquer.

 

J.S-R. : L'essentiel, en effet, c'est que vous soyez satisfaite !

G. : Oui, tout à fait !

 

J.S-R. : Vous avez souvent, tout de même, de grands gestes de tendresse…

G. : Oui, c'est ce qui ressort le plus de mes toiles.

 

ENTRETIEN REALISE DANS LA GROTTE DU ROURE DE BANNE, AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.