FRANCK MERCKY, sculpteur sur métaux

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Franck Mercky, vous travaillez uniquement le métal ?

Franck Mercky : Oui, essentiellement. Il m'arrive de faire des assemblages avec un peu de bois ou de pierre ; mais en ce moment, c'est vraiment le métal.

 

J.S-R. : Que du métal de récupération ?

F.M. : Les deux : de la récupération, et du matériau que j'achète. Mais en général, dans chaque sculpture, il y a une part de récup', et une part de neuf.

 

J.S-R. : Pourquoi est-ce indispensable qu'il y ait les deux ?

F.M. : C'est une bonne question… Je ne sais même pas… C'est parce que… comme j'utilise aussi des outils, souvent ce sont eux qui me donnent des idées.

 

J.S-R. : Sauf sur les ailes de votre petit "grattoir", j'ai l'impression que sur tous, vous préservez la trace du temps ?

F.M. : Oui, l'usure, les vieilles pièces… comme les vieux jouets dont je m'inspire beaucoup : ce n'est pas moi qui ai inventé les chevaux à bascule, etc. Je détourne un peu ces formes ancestrales, pour y mettre des dragons, des bêtes un peu fantasmagoriques… Le rêve. Le fantastique.

 

J.S-R. : L'ensemble de votre œuvre est animalière ?

F.M. : Pas complètement. De temps en temps, il y a un personnage comme celui qui est dans la roue, ou ce couple qui essaie de vivre un amour impossible où les deux protagonistes se courent après sans jamais se rattraper.

J'aime aussi beaucoup jouer avec les mots, comme la sculpture que j'ai intitulée l'"Attrape-taire", avec le "aire" de serpentaire. Celui-là n'attrape que de l'air… Un autre s'intitule "Même pas peur" parce qu'il donne l'impression d'être effrayant, alors que c'est une gentille bestiole !

 

J.S-R. : Dans l'ensemble, et c'est un paradoxe vu la dureté du métal, vous donnez à vos œuvres beaucoup de mouvement. Par exemple, vos hommes sont de vrais gymnastes, mais comme ils sont enfermés dans la roue, le spectateur n'en profite pas. Sinon, tous vos animaux sont extrêmement mobiles.

F.M. : Voilà !

 

J.S-R. : J'aurais plutôt dû dire "gestuels" !

F.M. : Oui, gestuels ! Ils ont des attitudes. Ils ont des parties mobiles, les mâchoires, les mains ; et les zizis que j'aime bien. Les zizis-panpan-cling-cling-cling !

 

J.S-R. : C'est à ce point-là ?

F.M. : Oui, oui ! C'est rigolo ! Et puis, il faut bien respecter la nature. J'en ai des asexués, mais en général, je fais bouger le zizi. J'ai même eu une femme que j'avais intitulée "La pervérosaure" ! Elle avait des gros seins, une bouche très rouge. Et les mains, la tête, etc. tout bougeait !

 

J.S-R. : Ensuite, vous prolongez la gestuelle des formes par le mouvement. C'est-à-dire que le visiteur peut les tirer, les pousser…

F.M. : Oui, les asseoir ; et même les "clinguer" ! Le problème, c'est que les gens sont tellement habitués à aller dans des lieux où on leur dit de ne pas toucher que je suis obligé de mettre des pancartes pour leur dire qu'ici, c'est autorisé ! Moi-même, je suis allé un jour à Beaubourg, à la rétrospective de Calder, et il était interdit de toucher. Les œuvres étaient fixes, rien ne bougeait ! Alors, si les gens ne sont pas prêts à suivre mes petits panneaux, les œuvres ne vivent pas ! Et ils peuvent s'interroger sur le sens de ce qu'ils voient. Mais dès qu'on les met en mouvement, tout change ! Leurs yeux s'écarquillent, le sourire vient, ils commencent à pousser des exclamations. C'est cela qui me plaît !

 

J.S-R. : Hormis vos poissons dont on voit bien les arêtes, la plupart de vos bestiaux sont aussi aérés.

F.M. : Ajourés ! Je travaille le plein et le vide.

 

J.S-R. : C'est vous qui fabriquez les jours, ou vous trouvez des morceaux qui sont prédécoupés ?

F.M. : Non. J'ajoure moi-même les éléments, au gré de ma volonté.

 

J.S-R. : Quel est le but ? Vous souhaitez les alléger ?

F.M. : Ce n'est pas forcément pour les alléger. Au départ, je me disais que, puisque je ne peins pas, je voulais amener un décor dessus. Cela fait penser aux taches qui pouvaient exister auparavant ! Il y avait des dinosaures un peu mouchetés, leur toison était un camouflage…

 

J.S-R. : En même temps, avec le fond, il y a forcément une différence de couleur…

F.M. : Oui, de couleur ! Et, de plus, en faisant des projections dessus, on peut faire de magnifiques jeux d'ombres et de lumières. J'aime bien, aussi cette idée des lanternes magiques. C'est un aspect qui me travaille beaucoup ! Cela fait des animations, des êtres en mouvements sur les murs.

 

J.S-R. : Oui, justement, quand un artiste procède ainsi, les jeux d'ombres deviennent aussi importants que l'œuvre elle-même. Mais pour vous, quand vous présentez vos œuvres en plein jour, ce genre de réflexion n'est pas possible sur votre travail ?

F.M. : Elle n'est pas possible, mais ce n'est pas le but en soi, puisque le personnage, conçu comme je le fais, est déjà une ombre lui-même.

 

J.S-R. : Pour tous, vous avez mis un petit socle qui a la forme d'un bateau, ou tout au moins d'un croissant de lune, comment le définissez-vous ?

F.M. : Ce sont les skis du rocking-chair !

 

 

J.S-R. : Donc, en fait, ce que vous voudriez, c'est qu'on les balance tout !?

F.M. : Oui ! Je rêve d'une belle troupe qui s'anime !

 

J.S-R. : Pour conclure, y a-t-il des sujets que vous auriez aimé évoquer et dont nous n'avons pas parlé ; des questions auxquelles vous auriez aimé répondre, et que je n'ai pas posées ?

F.M. : Avons-nous parlé d'où je viens ? Je viens de Bourgogne…

 

J.S-R. : Mais est-ce que je ne vous ai pas déjà vu à Lyon, à la Biennale ?

F.M. : Si. J'y étais il y a deux ans. J'avais mes premiers manèges, mes premiers tourniquets.

 

J.S-R. : Et c'est la vue de certaines œuvres et ce que vous m'avez raconté sur votre façon de travailler qui m'ont fait penser que je vous avais déjà vu.

F.M. : Oui. J'étais sur le parvis de la Piscine du Rhône. Vous avez donc vu l'installation de jouets tout en couleurs.

 

J.S-R. : Oui. Mais vous vouliez parler de vos origines ?

F.M. : Oui. Avant j'habitais la région parisienne. Mais maintenant, j'habite dans la Puisaye.

 

J.S-R. : Où, dans la Puisaye, parce que j'en suis très proche.

F.M. : Saint-Sauveur-en-Puisaye.

En effet, un sculpteur a acheté une ancienne briqueterie, la Poéterie. Et avec ma femme et mes enfants, nous sommes installés là-bas depuis 2009, car nous avons aussi acheté une partie de l'usine pour faire mon atelier et notre logement.

Nous y organisons chaque année un petit festival, où les artistes doivent travailler devant le public.

 

J.S-R. : C'est drôle de venir aussi loin, pour découvrir que nous sommes voisins !

 

ENTRETIEN REALISE A SAINT-PAUL-LE-JEUNE AU COURS DU FESTIVAL BANN'ART, LE 11 MAI 2013.