Jeanine Smolec-Rivais : Hélène Meyer, vous faites uniquement des masques ?
Hélène Meyer : Pas forcément des masques. J'ai commencé par des masques, parce que je viens du théâtre, et que j'ai beaucoup joué avec des masques : Commedia dell Arte, masques neutres… J'ai une formation Lecoq (¹). Ce pédagogue est une personne qui a fait le tour du monde, qui a joué partout. C'est du mime, et un travail avec les masques. Ces masques ne se vendent pas
J'ai donc commencé par des masques, puis petit à petit je me suis lancée à en créer qui me permettraient d'exprimer des choses personnelles. Par exemple, celui qui représente le trou d'ozone et que l'on peut pas porter… Ou "Muetto" qui ne peut pas parler parce qu'il a une toute petite bouche !
Maintenant, je passe à autre chose qui serait plus des sculptures.
J.S-R. : Parlons de vos masques, avant de passer aux sculptures. Il me semble qu'aucun d'eux ne soit fonctionnel ?
H.M. : Pas ceux-là, en effet. Seuls, le gendarme et l'étoile. Je voulais en mettre ici, puis je me suis demandé si c'était approprié ? C'est la première fois que je fais cette exposition. Mais maintenant, je pense que j'aurais pu. Car l'ambiance est assez ouverte !
Les autres sont destinés à exprimer mon ressenti par rapport à l'univers, à tous les sentiments que je vis.
J.S-R. : Peut-on assimiler à vos masques ce petit totem où vous avez toute une série de têtes ?
H.M. : Oui, tout à fait ! C'est un univers d'êtres humains, et ce sont des petits masques. En fait, chaque petit masque peut être enlevé.
Je suis en train de remonter une ruine, et je trouve des matières intéressantes. Par exemple, j'ai trouvé un fer qui servait autrefois à marquer des animaux. Du coup, c'est devenu "Le roc au cœur lourd", c'est le cœur qui est en bas, tout en pesanteur, avec ses pieds lourds !
Mais maintenant, je fais de plus en plus du travail de sculpture. J'ai envie d'avancer.
J.S-R. : Passons donc à vos sculptures. Elles aussi concernent l'humain. Mais l'humain absolument non réaliste, stylisé, linéarisé…
H.M. : Tout à fait.
J.S-R. : Pourquoi cette volonté de ne pas être réaliste ?
H.M. : Parce que ce que j'aime bien, c'est avoir une sculpture très simple. Ce que j'obtiens en stylisant. Je n'ai pas envie de charger. J'ai envie de mettre l'essentiel. Mais c'est très difficile. Vraiment très difficile. Tout se passe comme si je dédoublais. On existe déjà, dans ce que je fais, j'ai envie d'extrapoler, en fin de compte !
J.S-R. : Vous voulez dire que votre volonté est de supprimer toute psychologie de vos personnages ?
H.M. : Oui. C'est pourquoi je préfère styliser pour mieux me passer de ces sentiments. Ne pas charger avec du réalisme et de la psychologie. C'est ma façon de m'exprimer. Par exemple, j'ai un fer avec un bébé et une maman : pour moi, c'est l'immigration.
J.S-R. : Faut-il en conclure que votre travail serait un peu militant ?
H.M. : Inconsciemment, oui, je m'en suis rendu compte. Comme pour l'œuvre que j'ai intitulée "Dame digne", qui n'est plus un masque parce que j'ai ajouté des fils de fer.
J.S-R. : Ces œuvres sont en terre ?
H.M. : Oui, les têtes sont en argile. Tantôt j'emploie une argile auto-durcissante ; tantôt je la fais cuire. Et j'obtiens soit des céramiques, soit des céramiques à froid. Sinon, j'emploie des pigments, c'est patiné. Et toujours, différentes matières de récupération, comme le fer.
J.S-R. : En fait, vous travaillez avec deux matériaux, le métal qui est de la "récup" ; et la céramique qui est de la construction.
H.M. : Tout à fait ! C'est ma façon de faire. Je fais comme un montage. Je ne soude pas, donc la céramique constitue une forme de soudure.
J.S-R. : Si vous ne soudez pas, il faut que vous fassiez cuire le métal en même temps que la terre ?
H.M. : Oui !
J.S-R. : Vos petites constructions, toutes fines, sont très sympathiques.
H.M. : Certaines sont en pierre. En plus de la "récup'", j'emploie des tissus. Collés sur du métal avec de l'argile. J'emploie même du papier mâché.
J.S-R. : Puisque vous faites, pour chaque œuvre, un agglomérat de matériaux, comment décidez-vous qu'ici vous emploierez l'un d'eux, ailleurs un autre ?
H.M. : Cela dépend. Soit je fais des croquis, mais en général ils se métamorphosent à mesure que j'avance ! Soit, comme pour "Providence", je sais d'avance ce que je veux faire. "Providence" est un peu l'Arche de Noé, avec les six dés, les quatre as ; et son double, le Nahual (²). Il est aussi composé de presque tous les matériaux que j'utilise. Le Nahual avec l'oiseau derrière est dans la Bible du Popol Vuh (³) chez les Indiens. Et son double est sur l'arbre.
J.S-R. : En fait, votre création est très ludique ?
H.M. : Oui, très ludique. Entre deux âges ! Elle est dans l'air du temps : jeune, et beaucoup plus âgée. Avec notre vécu qui nous dit que le temps passe vite et que nous sommes dans l'urgence ! Je sens que le temps passe, et j'y vais ! J'y vais !
J.S-R. : Y a-t-il des sujets que vous auriez aimé évoquer et dont nous n'avons pas parlé ? Des questions que vous auriez aimé entendre, et que je n'ai pas posées ?
H.M. : Franchement, c'est la première fois que l'on m'interviewe, et je suis un peu perdue ! Peut-être une prochaine fois ?
ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DE BANNE, LORS DU FESTIVAL BANN'ART LE 10 MAI 2013.
(¹) FORMATION LECOQ : Le 5 décembre 1956, Jacques Lecoq fonde l’école à Paris. En 1976, l’école s’installe définitivement au Central, un ancien gymnase devenu un haut lieu populaire de la boxe au début du XXe siècle. Construit en 1876, le bâtiment se situe au 57 rue du faubourg Saint-Denis dans le 10e arrondissement de Paris.
L’objectif de l’école est la réalisation d’un jeune théâtre de création, porteur de langages où le jeu physique du comédien soit présent. L’acte de création est suscité de manière permanente, principalement à travers l’improvisation, première trace de toute écriture. L’école vise un théâtre d’art, mais la pédagogie du théâtre est plus vaste que le théâtre lui-même. Il ne s’agit pas seulement de former des comédiens, mais de préparer tous les artistes du théâtre : auteurs, metteurs en scène, scénographes et comédiens. Une des originalités de l’école est de donner une base, aussi large et permanente que possible, sachant qu’ensuite chacun choisira dans ces éléments son propre chemin.
(²) Un nahual ou nagual est, dans les croyances mésoaméricaines ou d'origine mésoaméricaine, un être mythologique de nature double, à la fois humaine (ou divine) et animale. La forme animale du nahual est le plus souvent un canidé (coyote, chien), un rapace, un âne ou une dinde, mais peut être aussi un animal plus puissant comme le jaguar.
(³) Le Popol-Vuh (également retranscrit Pop Wuh ou Popol Wu'uj à partir de l'expression quiché signifiant littéralement "livre de la natte", généralement traduit par «Livre du Conseil» ou «Livre de la Communauté», est un texte mythologique maya rédigé en quiché à l'époque coloniale. C'est le document le plus important dont nous disposons sur les mythes de la civilisation maya.
Il s'agit d'une sorte de «Bible» maya dont le contenu, remontant à la période précolombienne, relate l'origine du monde et plus particulièrement du peuple quiché, l'une des nombreuses ethnies mayas, dont le centre de rayonnement se situait dans la partie occidentale du Guatemala actuel. Le livre inclut une généalogie royale de la période postclassique accordant une place prééminente à la lignée Kaweq.
Le seul manuscrit existant, transcrit entre 1701 et 1703 par Francisco Ximénez, est conservé à la Newberry Library de Chicago (Ayer 1515 ms). Il a fait l'objet de plusieurs traductions, en particulier en espagnol, français, anglais et allemand.