CHRISTOPHE RONEL, PEINTRE
INVITE D'HONNEUR DU GRAND BAZ'ART A BEZU 2013.
ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS
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Jeanine Rivais : Christophe Ronel, depuis combien de temps peignez-vous ?
Christophe Ronel : Je vais
répondre
que j'ai toujours peint dans la mesure où je suis tombé dans la potion magique
tout petit, dans l'atelier de mon père, peintre paysagiste. Par imitation, j'ai eu envie très tôt –vers huit/dix ans- de peindre à l'huile puisque j'avais l'exemple sous les yeux, et notamment
sur le paysage. J'ai donc dessiné et peint très tôt, dans la continuité directe de la petite enfance où nous sommes tous naturellement créatifs. Il n'y a donc pas eu de fracture entre cet âge de
l'enfance et la suite ; si ce n'est que j'ai assez rapidement intégré des notions de perspective; de représentation de l'espace toujours en imitations de paysagistes que j'avais sous les yeux,
dont mon père.
J.R. : Peut-on dire que vous êtes autodidacte ? Ou que vous avez
fréquenté des écoles d'art ?
Ch.R. : Je suis un mélange des deux. Mais je ne peux plus prétendre aujourd'hui être autodidacte dans la mesure où, par la suite, j'ai eu un cursus scolaire qui m'a conduit vers d'autres cheminements. Mais à la base, c'est quand même l'envie de peindre, et l'envie de faire quelque chose de cette peinture, sans savoir la forme qu'elle prendrait à l'âge adulte puisque je rappelais des souvenirs d'enfance et d'adolescence. Donc, au départ, autodidacte oui. Puis formé comme je l'ai raconté, puisque, après le bac, j'ai choisi d'aller à Paris et de commencer des études d'art. En même temps, par l'école Duperré, je me suis dirigé vers une classe préparatoire à l'enseignement d'art, puisqu'il y avait une forme de prudence qui demeurait en moi par rapport à la difficulté de ne vivre que de son art et tout ce que l'on pouvait me dire à l'époque ! Tout cela a fait que je me suis engagé dans deux années à Duperré, puis l'Ecole supérieure qui suit les élèves jusqu'à l'agrégation. J'ai donc suivi ce cursus et, à vingt-trois ans j'étais agrégé d'Art plastique. J'ai encore continué dans le domaine de l'école en faisant un début de doctorat et en théorisant un peu comme on me le demandait autour de mon travail.
Heureusement, j'ai construit une gangue autour de ce travail, me permettant de me protéger du discours,
du formatage inévitable que toute institution donne à ses étudiants, et que je craignais un peu. Je me suis protégé, et j'ai essayé de survivre à ces influences parce que je ne voulais pas faire
une sorte d'art dans l'air du temps ; être un pur produit de l'Art contemporain ; aller dans les FRAC ou autres… Je voulais être moi-même et ne pas perdre mon âme dans ce cheminement
particulier.
J.R. : Diriez-vous que votre travail pédagogique a bouleversé, orienté… agi d'une façon ou d'une autre, sur votre travail pictural ?
Ch.R. : Il y avait des éléments qui étaient positionnés avant, c'est-à-dire une sorte de révélation, de ressenti que j'avais eu dès l'enfance sur le fait de peindre. qui était d'ailleurs au-delà des mots, au-delà de l'explicable. que j'avais ressenti sous forme de coups de cœur pour des œuvres vues, qui m'avaient marqué, comme celles d'Augustin Lesage que je connaissais dès mon enfance, parce que mon père a eu l'occasion de le rencontrer. Donc, j'avais vu autre chose que cette peinture classique ou paysagiste de mes débuts. Certes, il y a eu des éléments qui m'ont marqué, j'ai laissé entrer des choses de ces années de formation. Notamment, il y a eu des rencontres. J'ai eu des enseignants artistes assez variés : Claude Viallat, Télémaque, qui reviennent souvent parce que j'ai fait sur eux un travail approfondi… Christian Jaccard, Constantin Xenakis, j'en oublie… Tous étaient très impliqués dans l'Art contemporain de certaines périodes. D'autres aussi. Pierre Soulages qui était venu –il y a bien sûr pas mal d'années-, dans mon atelier et qui avait été très encourageant. Cette rencontre s'est faite lors de colloques à la Sorbonne où l'on m'avait invité à prendre la parole. Des Cobra. Francis Bacon. Toutes rencontres éphémères mais qui ont sans doute aidé à ma construction.
J.R. : Il y a pas mal d'années, j'avais déjà suivi votre travail, et j'avais remarqué que tous vos personnages, tous les éléments de vos œuvres étaient lourdement surlignés de noir. Or, dans ce que vous avez apporté, je ne retrouve plus ces surlignages. Que s'est-il passé ? Avez-vous libéré vos personnages ? Vous êtes-vous, vous-même, libéré ?
Ch.R. : Je me souviens bien de cette période. Il y a eu un changement, une mutation qui continue à se faire. La peinture est toujours en mouvement. Ces transformations sont arrivées il y a vingt-cinq/trente ans, dans les années 80 où je me suis dirigé vers une forme narrative, où ma peinture a été très "écrite", presque lettriste, très graphique. Il est vrai que par-dessus la peinture, il y avait toujours un sur-graphisme que je réalisais d'ailleurs avec des pinceaux pointus, effilés, qui pourraient à faire penser à des pinceaux pour calligraphier. J'étais très attaché à ce travail, mais les années passant la couleur s'est diversifiée, la question de l'espace s'est intensifiée. Mon travail a exigé de plus en plus d'espace, et même si je me suis de plus en plus attaché à la densité, même si j'étais très attaché à cette surdensité au point d'aller jusqu'à l'excès –et je le voulais ainsi- j'ai tendance maintenant à garder cette densité tout en ménageant des "bulles d'air". Ces choix ont fait évoluer mon travail. Je crois –en tout cas je le ressens- qu'il y a plus d'espace, plus de fluidité.
J.R. : Dans les œuvres que vous avez apportées à Bézu, il me semble que vous avez encore bien du mal à
laisser de l'espace ! Car, à part vos personnages très statiques, pour lesquels vous avez laissé un fond blanc ou gris, tout ce qui participe du voyage proprement dit, de l'itinéraire, me semble
touffu, comme si vous aviez peur de laisser un espace autour de vous ; comme si vous craigniez de ne pas tout voir… Etes-vous d'accord ave cette impression ?
Ch.R. : Oui, on pourrait
parler, comme dans certaines civilisations extra-européennes, notamment les Berbères, certains aspects méditerranéens comme dans la miniature moghole de ce qui est la peur du vide ! Le mot "peur
du vide" me paraît également applicable à ce travail. Je me suis toujours intéressée au fait que le vide était un autre plein ; et qu'à la limite, le plein et le vide étaient deux éléments
réversibles. On peut faire le jeu, d'ailleurs, sur certains tableaux :
en regardant la contre-forme, on s'aperçoit qu'elle est en elle-même, une forme, avec sa propre densité. Il y a donc une espèce de jeu ! Certains m'ont dit : "C'est fractaliste", c'est-à-dire que
l'on retrouve un monde à l'intérieur d'un autre, avec tout qui s'emboîte… Cela m'a beaucoup intéressé, et reste essentiel dans mon écriture. Donc, parler d'allègement est relatif.
J.R. : Il me semble que, par exemple, vous ne suivez pas du tout l'esprit de certains poètes qui
attachent une grande importance à la marge.
Ch.R. : C'est vrai. C'est une sorte de continuité. Le tableau est comme une peau en vibration sur toute sa surface. On m'avait dit, d'ailleurs, que cela pouvait appartenir à certaines civilisations, qu'il ne serait pas facile pour moi d'y entrer, dans la mesure où elles étaient marquées par une culture du vide. Je pense par exemple au Japon, avec la philosophie Zen. En allant exposer au Japon, j'ai pu baigner dans cet univers-là, et je me suis aperçu qu'il y avait autre chose que le vide et que je pouvais, moi aussi, retrouver des éléments très denses dans ce pays. Mais, pour faire, court, il est certain que je ne suis pas zen.
J.R. : Parlons d'abord de vos quatre grands personnages placés par deux. Ils donnent l'impression que
vous soyez en voyage. En même temps, ils sont très hiératiques, très statiques, très exotiques, aussi. Ceux de gauche me feraient plutôt penser à l'Afrique, ceux de droite à l'Asie. Où étiez-vous
"parti", en réalité ?
Ch.R. : Où me situer,
là-dedans, en effet ? Déjà, ces quatre kakemonos qui mesurent environ 2,50 mètres sur 1 mètre de large ont été conçus pour une occasion un peu spéciale, c'est pourquoi ils ont cette forme, ce qui
n'est pas courant dans mon travail. Je travaille beaucoup sur des toiles enchâssées. Mais c'était pour la Biennale d'Art contemporain d'Ile-de-France, où elles étaient présentée en plusieurs
lieux. Le thème était celui de la Femme, la figure féminine. C'est un thème qui revient souvent dans mon travail, mais chaque personnage est tout un monde.
Chaque figure porte à la fois des alvéoles, des paysages… le tout se trouvant à l'intérieur du personnage. Effectivement, d'où viennent-elles ? Les unes sont plus évocatrices de l'Afrique de
l'Ouest, parce que j'étais encore beaucoup dans cette veine quand j'ai conçu ces peintures. Des figures de profil, qui portent le monde sur elles. Femmes du fleuve Niger, du Mali où je suis allé
plusieurs fois, et qui portent des calebasses sur leurs têtes. Ou des personnages qui sont plus dans un voyage intérieur qui est aussi un voyage dans le temps, puisqu'il s'agit aussi de cultures
ou de civilisations plus anciennes, éventuellement antiques. C'est toujours un agglomérat, un ensemble d'éléments truffés de mythes, de contes, de lectures parfois.
J.R. : Si je regarde ce qui peut leur de coiffe, je vois pour la première un bateau, la seconde une
demi-sphère terrestre qui pourrait être complétée par celle de la troisième et la suivante a du végétal : quand décidez-vous de ces choix, car il apparaît que vous ayez voulu représenter les
quatre éléments ?
Ch.R. : On pourrait dire qu'elles jouent entre elles ! En vérité, il y avait cinq panneaux. Seuls quatre ont été choisis, pour des raisons de place. Chaque personnage porte sur sa tête un monde différent. Il y a souvent cette idée de juxtaposition, d'organisation verticale et totémique dans mon travail, avec des registres, des équilibres plus ou moins précaires ; parfois des choses en déséquilibre léger… Chaque personnage porte une énigme. On pourrait dire que les éléments portés sur la tête racontent l'histoire du personnage qui peut conduire à chaque élément spécifique. Si on en met quatre, on pense aux quatre éléments. Il y avait ce côté cyclique de la série qui était pour moi intéressant. J'ai pensé aussi à certaines images que l'on trouve dans des écritures ou des peintures des Indiens du nord des Etats-Unis qui, sous forme de rébus, posent dans des images où le spectateur aura le nom du personnage, du chef, avec un petit rébus qui est posé sur la tête comme une bulle. Raconter l'histoire du personnage par rapport à ce qu'il porte sur lui.
J.R. : La plus à gauche a l'air d'un personnage en train d'émerger d'un cocon. Vous l'avez couverte, de
poissons, ainsi que son vêtement et son environnement. Vous avez voulu introduire une symbolique qui complétait le bateau sur sa tête ?
Ch.R. : Oui, voilà. Elle était plutôt dédiée à l'eau, au fleuve, plutôt à la mer à laquelle fait penser le navire. Un navire de découvreur de l'époque médiévale : je pensais plutôt à l'un des premiers découvreurs du monde arabe, un certain Ibn Battuta qui était le Marco Polo marocain au XIVe siècle. Elle est associée à plusieurs choses : j'avais dû voir à l'époque des sculptures médiévales, avec des représentations de chevelures extraordinaires, associées à un personnage féminin. En même temps, cela devient une grande coulée, une sorte d'océan et tout naturellement, au fil de la réalisation, la chevelure est devenue un fleuve, un flot, peut-être un océan. Et la chevelure devenait un navire. Je joue à la fois, avec le thème, la composition, puis c'est en peignant que des solutions se présentent et que le sens s'organise au fur et à mesure de l'avancement du tableau.
J.R. : Chacun de vos quatre personnages est, sauf le visage, absolument couvert de dessins, de personnages, d'animaux, de géométries, d'éléments qui pourraient appartenir au quotidien comme une chaussure… une foule de choses ; alors que d'autres fois, l'une peut être végétale, une autre avec son bébé sur le dos, est vêtue d'un boubou africain… Vous avez voulu faire un mélange, un glissement… ?
Ch.R. : Je voulais essayer de faire non pas inventaire parce qu'il aurait fallu faire plus de représentations ; mais consacrer en cinq panneaux dont on voit quatre ici, les facettes de ce que pourrait être un personnage féminin, mi-idole, mi-silhouette, tantôt hiératique, tantôt statuaire qui peut évoquer aussi le Moyen-âge occidental.
J.R. : Venons-en aux villes que vous avez parcourues, et qui ont été, ici mises également au nombre de quatre. Avec la bateau qui, peut-être, est supposé les relier ? Et le Ganesh qui nous emmène directement en Inde ?
Ch.R. : Oui. Nous avons fait un choix, bien sûr, qui s'est porté sur quelques peintures qui évoquent le thème urbain, du moins dans l'assemblage de toutes les facettes. J'aime beaucoup le thème de la ville qui ne cesse d'apparaître dans mon travail, à la fois comme élément de décor et comme élément de structure. Je suis d'ailleurs, en ce moment, sur d'autres perspectives de villes qui sont entre les villes indiennes et les villes verticales de type Hong-Kong, Manhattan et autres. Tout cela, toujours entre le passé et le présent. Evidemment, la liaison se fait bien avec la barque, et cela tombe bien puisque la barque, la barque-pirogue, la nef est un thème de cheminement, de mise en relation des mondes qui revient constamment dans mon travail. Le bateau est pour moi obsessionnel. C'est peut-être le passage entre le terrestre et le céleste. C'est le mouvement, comme la peinture.
J.R. : Le premier tableau me fait penser à ces caravansérails sur lesquels tout le monde fantasme à
l'adolescence. Le voyage. Le passage. Le repos. Le mystère. Et le départ. En même temps, l'un des détails me fait penser à la Vierge partant pour accoucher de son enfant.
Ch.R. : Oui, c'est bien la Fuite en Egypte. Et, en même temps, il y a cette Egyptienne qui, en fait, était nubienne. Cette toile raconte un mélange entre une histoire que l'on emporte avec soi lorsque l'on fait un voyage ; et ce que l'on va voir.
J.R. : En même temps, nous pourrions revenir aux œuvres précédentes, par l'intermédiaire de deux petits
coqs que l'on retrouve souvent dans les œuvres populaires. Il me semble que tout ce que vous avez mis, comme ces petits bateaux très effilés, petits personnages que vous avez glissés tout autour,
allègent un peu l'ensemble ; ce qui est paradoxal, vu l'espace qu'occupent des éléments.
Ch.R. : Il est vrai que ce
graphisme un peu filaire en arrière-plan, qui évoque la ligne des pirogues, était l'occasion d'amener une sorte de souffle, de repos, de respiration, par le fond. Ceci est lié à un souvenir
d'ailleurs. J'ai vu passer un nombre de ces gens et de ces bateaux, mais je me souviens d'un campement aux environs de Mopti au Mali, au moment de la réalisation du livre "Du Niger au Gange".
Nous avions installé des tentes non loin du marché de Mopti, et il y avait un fond très clair, très blanc sur lequel se découpaient les silhouettes. Ce souvenir qui est pure anecdote devient un
élément pour peindre.
J.R. : Le tableau suivant est très féérique, avec le château au sommet de l'arbre. Mais cet arbre fait penser aux arbres indiens, où les gens vont déposer leurs souhaits, leurs remerciements aux dieux, etc. Il pourrait, en même temps, être l'arbre des palabres africains : ou un peu de chacune de ces possibilités. Et, avec cette foule au pied…
Ch.R. : Oui. Etant friand de sujets chargés de symboles, il est vrai que l'arbre est un sujet intéressant. Effectivement, j'ai tour à tour travaillé sur des arbres à griots, des arbres à palabres. En Afrique de l'ouest, les crânes de certains griots qui n'ont pas droit à une sépulture, sont placés à l'intérieur des troncs de certains baobabs. Cet arbre-là est tout rond. Il est assez étrange. C'est un arbre à rubans qui renvoie à une tradition de nouages de rubans que l'on trouve aussi bien en Inde que chez les Berbères.. Et pourtant nous sommes au Guatemala !
Cette toile fait partie d'une série peinte il y a quelques années, au retour d'un périple au Mexique et au Guatemala.
J.R. : En fait, vous avez mélangé tellement de symboles, de détails de civilisations, que vous avez
changé de continent sans que le spectateur s'en aperçoive !
Ch.R. : Il y a des moments où je fais, en effet, ces mélanges. Et puis il y a un autre mélange dans ce tableau qui s'intitule "Souviens-toi de Makondo, ou l'Arbre aux rubans". Et Makondo est le village un peu mythique, dans "Cent ans de solitude" de Garcia Marquez, roman qui m'a beaucoup marqué, que j'ai lu dans la foulée d'un voyage en Méso-Amérique. Subitement, la lecture s'est associée à des croquis, à des souvenirs, et cela a donné cette peinture qui est faite de glissements.
Pour revenir à la question, il est vrai qu'il y a parfois un syncrétisme entre les pays, les périodes, et que les éléments découverts dans des périodes antérieures se sont trouvés embarqués dans les périodes d'après. On peut ainsi voir parfois un pays reformé à partir des éléments de plusieurs pays. Tout est donc résolument faux, pour faire une vérité parallèle !
J.R. : Alors que ces deux tableaux me semblaient "ouverts", les deux villes suivantes me semblent
faites totalement de petites alvéoles, comme si ce n'était pas une ville, mais des éléments de ville. Comme si, en fait, vous aviez juxtaposé des photographies. En particulier, celui du
haut.
Ch.R. : Oui, ce tableau est un peu à part dans mon travail. Il a quelques années. C'est une sorte de patchwork fait de petits carrés qui regroupent à la fois des éléments qui font penser à des stèles, des menhirs. Certains évoquent des peintures rupestres, dont j'ai fait quelques relevés dans l'Atlas marocain ; et des figures de bestiaires. Ce tableau s'intitule "Inventaire" et nous sommes dans l'idée de l'aventure rupestre dont j'ai fait des fresques.
J.R. : En même temps, vous avez mis tout autour ce qui peut être des momies, des cocons que vous auriez personnifiés…
Ch.R. : C'est cela ! Nous avons à nouveau des formes closes ; à l'intérieur desquelles peuvent se trouver les éléments que vous évoquez. L'autre fait écho, mais il est différent parce que d'une autre période.
J.R. : là, chaque personnage est vraiment dans une alvéole, et tout se passe comme si, contrairement
aux œuvres précédentes, il n'y avait plus de communication avec l'extérieur. Chacun est dans son espace et n'en bouge plus.
Ch.R. : Oui. En revoyant ce
tableau, je le trouve assez décalé et étrange. Et je me suis dit que j'allais montrer cet aspect de ce qu'était mon développement japonais, après une exposition personnelle au Japon. J'ai eu
l'occasion de parcourir certains coins, en particulier vers Kyoto. On m'avait fait visiter un cimetière fait de stèles de granit représentant des bouddhas. Et il s'agissait d'un cimetière
d'enfants. Et ce qui était étrange, c'est que ces stèles bien sûres se refermaient sur elles-mêmes, et qu'il y a avait de curieuses peluches placées autour. Ce sont elles qui m'ont inspiré le
fait de multiplier les éléments à la fois très légers comme un Pokémon, ce qui n'est pas courant dans ma peinture ; et des petits monstres japonais issus de la culture populaire très anciennes.
Ces petits éléments que les Japonais aiment fabriquer, ont plusieurs siècles d'existence, on les appelle des lokaï. J'ai voulu ce monde alvéolé, clos, pour montrer un aspect du Japon retransmis
par moi, mais qui n'est pas forcément ce
que l'on imagine du Japon.
J.R. : Viennent enfin quatre petits tableaux qui, de nouveau, font le lien, mais bizarrement parce
quedans chaque barque ou sur chaque support, vous avez deux animaux complètement différents, comme un cos ou un lion, un bouc et un éléphant… Et faisant le pendant, deux enfants tibétains, en
tout cas asiatique. Comment…
Ch.R. : C'est une ponctuation par des formats inférieurs. Le titre en est "Le dialogue sur l'origine des espèces". J'étais dans un jeu où des animaux étaient en discussion sur l'origine des espèces : et qui sont embarqués dans une barque improbable. Un face à face. Et l'entrevue de coq à chat est aussi hautement improbable. Seule la peinture permet d'imaginer de les assembler. J'ai tendance à humaniser ces figures animales selon une vieille tradition de l'humanisation des animaux.
Et puis, à droite, nous avons deux peintures qui sont plus dans le sillage d'un assez récent voyage en Chine. Que j'ai reconstituées à partir de mes nombreux croquis de voyages.
J.R. : Il nous faut maintenant parler des couleurs, parce que vous êtes un très grand coloriste. Et, ce
qui me semble paradoxal, c'est que si je regarde attentivement vos œuvres, je m'aperçois qu'il y a très peu de couleurs. Alors que l'ensemble donne l'impression d'une explosion de sensations
!
Ch.R. : La couleur est
revenue petit à petit. Tout jeune, je m'offrais la possibilité de toucher à toutes les couleurs. Puis, je suis passé par des périodes très restreintes de couleurs dans les années 90, où ma
palette se limitait à l'ocre, au noir et au blanc, période dont nous parlions tout à l'heure, et où j'étais très graphique.
La possibilité de la couleur est revenue progressivement, toujours d'une manière transformée sur des fonds de terre qui sont la dominante de ma palette : je parle toujours de palette
préhistorique, celle des oxydes, la palette des origines. Par exemple, je m'autorise assez peu le vert, et juste en terme de vibration, rarement comme élément constructif du tableau. Tout au
moins jusqu'à présent. Mais cela dure depuis longtemps, le vert n'a pas grand place dans mon travail pour le moment.
Après, il y a un travail sur des harmonies qui peuvent être rapprochées : on parle toujours d'une "palette chaude", de
"palette orientale", de "palette épicée" ce qui ne me déplaisant pas parce que cela faisait apparaître la notion
gustative que je recherche aussi dans cette coloration. Je travaille souvent, aussi, par couches successives,
sauf sur les grands, parce qu'ils sont à rouler, donc l'épaisseur est plus restreinte. Mais je suis tout de même plus sur un travail de sédimentation colorée où, effectivement, la vibration de la
couleur a beaucoup d'importance pour moi. Et je pense qu'il s'agit-là de restes de cette formation qui m'avait amenée à faire un travail de palette. Une couleur trop rapidement posée pourra me
déplaire. J'ai tendance à aller jusqu'à ce que la couleur donne le meilleur. Tout au moins tenter de le faire.
J.R. : L'harmonie, en somme.
Ch.R. : Oui,
l'harmonie.
J.R. : Question traditionnelle : y a-t-il des questions que vous auriez aimé entendre et que je n'ai pas posées ? Des thèmes que vous auriez aimé traiter et que nous n'avons pas abordés ?
Ch.R. : Des questions ? Une question ? C'est une question que je pose parfois lors d'un jury, et voilà que je me fais piéger ! Non, je trouve que nous avons fait un tour assez varié sur mon univers. Il est vrai que nous avons peut-être moins parlé de l'origine de cette inspiration ? Bien que nous l'ayons abordée sur son côté composite. Il y a un aspect, celui de la prise de notes en amont. Il est vrai que je suis vraiment très dessinateur, très amateur de croquis. C'est mon lot quotidien, j'ai toujours un petit carnet, y compris quand je voyage. Je prends des notes qui nourrissent après ma peinture. Il y a tout un travail de "carnettiste", de peintre/voyageur. Je m'en défends parfois parce que c'est devenu un genre un peu systématisé. Au point qu'il se vend maintenant des kits tout prêts pour faire des carnets de voyages. Disons que je dessine en voyage parce que c'est très formateur pour moi ; mais je ne dessine pas forcément avec le projet d'un livre. Ce n'est pas forcément pensé pour l'édition, même s'il m'est arrivé de faire des ouvrages avec le fruit de ces travaux. J'aurais donc tendance à insister aussi sur cette importance du dessin, mais qui est parallèle. Il y a quelques jours encore j'étais au Maroc avec mon carnet et ma boîte de peinture ; et dans ces cas, je travaille à vue. D'une certaine manière, c'est un vestige de mon origine en peinture. Même si ma peinture peut parfaitement s'en passer puisque c'est une peinture d'imaginaire et d'atelier, j'ai tout de même besoin d'aller chercher des éléments dans ces endroits ; pour ensuite les digérer et repartir ailleurs. Peut-être aussi pour éviter lorsque l'on est peintre ou réactif dans n'importe quel domaine, c'est-à-dire le système, ce que l'on sait déjà faire,
ENTRETIEN REALISE AU GRAND BAZ'ART A BEZU LE 19 MAI
2013.