CLAIRE TEMPORAL, sculpteur

ENTRETIEN AVEC JEANINE SMOLEC-RIVAIS

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Jeanine Smolec-Rivais : Claire Temporal, il me semble que vous travaillez essentiellement sur le thème de la femme ?

Claire Temporal : Ah non ! Il y a aussi des animaux. Il se trouve que ce que j'ai apporté comporte plusieurs femmes, mais ce n'est pas absolu.

 

J.S-R. : Ce qui m'a fait vous poser cette question, c'est que les hommes que j'ai vus sur vos cimaises ont tous été traités par le burlesque ! En train de tirer la langue… Avec une grande moustache, etc.

C.T. : Je ne suis pas sûre que ce soient tous des hommes, en fait ? Certaines femmes vont mal, c'est évident ! L'une d'elles représente une naissance, c'est un raccourci de la vie. C'est une naissance d'une vieille femme.

 

J.S-R. : Nous parlerons peut-être de vos animaux après, mais parlons de la femme : à chaque fois, soit elle est somptueusement vêtue, soit elle est réduite à l'état de squelette, soit vous en avez fait une femme/objet faite pour plaire, allongée sur un lit, etc. Ou alors, elle est dans un rôle de séductrice ?

C.T. : Oui, il y a un côté séduisant, certainement… Avec certaines femmes, j'ai un thème un peu poétique, puisque l'une d'elles, par exemple, joue d'un instrument. C'est une musicienne. En même temps, l'instrument de musique peut être aussi bien un arbre… En fait ce qui m'intéresse beaucoup, ce sont toutes les matières de tissus, les fanfreluches, les galons… Je repeins des tissus.

Il y a aussi le thème de la femme-araignée. Je travaille presque au niveau d'une plasticienne.

 

J.S-R. : J'aurais dit que vous êtes plus brodeuse que sculpteure ?

C.T. : Non, je ne crois pas ! Il est vrai que j'ai été costumière, j'ai toujours eu de l'attirance pour les tissus. Quand j'étais petite, je faisais des poupées. J'ai été marionnettiste, et on peut retrouver la marionnette dans ce que je fais. Je profite de toutes ces expériences pour exprimer ce que j'ai envie d'exprimer.

 

J.S-R. : Vos Chinoises sont-elles en train de danser, ou sont-elles lascives comme il me semblait ?

C.T. : Moi, je les vois plutôt voler ! En même temps que les papillons qui s'envolent.

 

J.S-R. : J'ai cru comprendre que vous êtes méditerranéenne ? Mais vous n'avez pas du tout l'accent !

C.T. : Non, je suis née en banlieue parisienne, mais j'ai atterri dans le Midi. Et j'ai "mon île" ! J'ai la chance d'habiter une ancienne ferme, en pleine campagne. Mes premiers voisins sont à cinq cents mètres. Je me sens bien dans cet univers, et je ne sors pas beaucoup, je vais rarement en ville, sauf nécessité !

 

J.S-R. : Vous passez donc votre temps avec votre création ?

C.T. : Non, je fais plein d'autres choses ! Il y a le jardin, les tomates, le mari, le guignol ! Tout cela fait beaucoup de travail !

 

J.S-R. : J'ai vu votre voiture sur l'esplanade. Vous donnez des représentations ?

C.T. : Moi non. C'est mon mari tout seul qui fait le Guignol ! Il fait cela à l'ancienne, avec un castelet !

 

J.S-R. : A vous deux, vous vous complétez donc bien !

C.T. : Oui. Je fais les costumes des marionnettes…

 

J.S-R. : Revenons à cette femme pour laquelle je me demande si je vois les baleines de son corset ? Ou si c'est vraiment son squelette ?

C.T. : Non, ce sont les baleines de son corset ! J'ai eu l'idée d'utiliser ce petit os qui ressemblait à un pied. C'est un effet plastique. Celle qui est à côté a complètement décroché, elle est insituable dans l'espace. Elle appartient à ma "période momie". J'ai démarré ces tableaux à la suite de mon veuvage. J'ai perdu un premier mari. Il m'a fallu exprimer ma souffrance, et j'ai commencé à dessiner des momies. Et puis, dans la momie, il y a le tissu. Des bouts de tissus qui restent. J'ai eu envie de les sortir en semi-volumes, et c'est parti ainsi !

 

J.S-R. : Il s'agit donc là d'une histoire tragique !

C.T. : Oui, tout à fait ! Mais cette création permet de supporter la souffrance.

 

J.S-R. : C'est ce que disent tous les artistes mal dans leur peau ; ou qui ont vécu une tragédie. Pour beaucoup, la création est une question de survie.

C.T. : Oui. Mais il n'y a pas que les artistes. Beaucoup de gens commencent à s'exprimer d'une manière ou d'une autre, par le dessin ou la sculpture… Il faut vraiment les encourager.

 

 J.S-R. : Quand vous dites "la mort ne souffre pas", c'est le complément de ce que vous venez de dire à l'instant ?

C.T. : Oui. Cette œuvre est à la fois l'image de la mort. Mais c'est en même temps une momie. Or, une momie a souffert de son vivant, mais elle ne souffre plus. Néanmoins, elle exprime toujours la souffrance.

Pour une autre sculpture, quelqu'un m'a dit qu'elle était morbide. Or, je ne la trouve pas morbide du tout. Mais j'étais partie sur le thème de la burka. J'ai eu l'idée du corps en os, comme si, pour moi, les femmes sous une burka étaient mortes. Et puis, je me suis heurtée à un problème technique, parce que le tissu auquel j'avais pensé n'était pas suffisamment transparent. J'en ai donc cherché un autre au travers duquel on pourrait voir le squelette, et je suis tombée sur cette magnifique dentelle. Mais du coup, le tissu ne faisait plus burka, et je l'ai intitulée "Moriée", mélange de la mort et de la mariée.

Et je réalise les fonds au pochoir.

 

J.S-R. : Ce tableau est magnifique, de par son extrême simplicité.

En même temps, comme vous le disait un enfant tout à l'heure, cela ressemble à des écritures. Des écritures arabes, par exemple.

C.T. : Oui, cela m'intéresse d'autant plus que j'étais partie sur la burka. J'ai vu sur Internet des écritures que j'ai transformées.

 

J.S-R. : Vous parliez plus haut de vos animaux, mais en fait il n'y en a pas tellement !

C.T. : L'idée des os m'est venue tout simplement en mangeant du lapin ! Sur le bord de son assiette blanche, mon compagnon avait posé quelques os : quand mes yeux sont tombés dessus, je me suis tout de suite dit qu'il y avait là une "écriture", quelque chose à faire à partir de ces éléments !

 

J.S-R. : Et vous avez fait bouillir vos os, et vous voilà avec de belles œuvres sur vos cimaises !

C.T. : Oui, et c'est un énorme travail !

 

J.S-R. : Une danseuse en os de lapin, il faut admettre que ce n'est pas courant !

C.T. : C'est sûr ! Mais voilà un moment que je travaille sur ces petits os. A chaque fois, je cherche un rythme, et c'est la forme de l'os qui me donne une idée. Je sais aussi que je peux ajouter un peu de dentelle… Et puis, étant costumière, je connais bien la façon de faire les vêtements, c'est ce qui me permet de bien transposer, donner une bonne impression.

 

J.S-R. : Et qu'est-ce qui vous a donné l'idée que vos deux danseuses lancent leur chaussure au ciel ?

C.T. : La chaussure est un complément. Au départ, elles avaient les pieds nus, mais j'avais le sentiment qu'il manquait quelque chose, qu'elles n'étaient pas vraiment finies. J'ai voulu donner une petite pointe d'humour supplémentaire en leur faisant perdre leur chaussure. Mais, du coup, j'ai dû leur en mettre une aussi à l'autre pied ! Pour l'équilibre !

 

J.S-R. : Nous devons, pour terminer, parler des titres, où vous jouez à plusieurs reprises sur le mot "os" : "La chauve-souros", "le papillos", "le dragonos"…

C.T. : Et puis, mon "Don Quizos" ! J'aime, en effet, m'amuser avec les titres !

 

J.S-R. : Y a-t-il des sujets que vous auriez aimé évoquer et dont nous n'avons pas parlé ? Des questions que vous auriez aimé entendre, et que je n'ai pas posées ?

C.T. : Je pourrais simplement dire que ma "période os" arrive la dernière dans mes recherches. Je me remettrai certainement à certains autres procédés ; mais j'ai envie d'utiliser les os pour faire de petites sculptures. Et toujours avec des personnages ! Ah les personnages, très importants ; au centre de mon travail !

 

ENTRETIEN REALISE DANS LES ECURIES DE BANNE, LORS DU FESTIVAL BANN'ART LE 10 MAI 2013.