BALDO ESTELLES ET SES ASSEMBLAGES D'OSSEMENTS ANIMAUX

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"Si vous ne supportez plus les ricanements de certaines réalités, tricotez vos rêves, flirtez avec votre inconscient, ce gros oiseau de nuit caché on ne sait où…" 

Jean Moiziard.

"Mémento mori", "Souviens-toi que tu mourras".

Vous vous promenez dans les bois. Vous découvrez soudain un andouiller de cerf, un crâne d'oiseau ou de prédateur. Vous les emportez soigneusement, admirant la finesse des découpes qui furent naguère ici la base d'un nez, là les orbites des yeux… Et, immanquablement, bien que ces découvertes soient animales, vous en venez à l'idée de la mort. A toutes les époques, les hommes se sont interrogés, ont été à la fois hantés et fascinés par la mort, ont essayé de la conjurer, en repousser l’omniprésence. Pour ce faire, ils se sont lancés à la conquête du savoir, des plaisirs… tout en repoussant l’idée que l’issue est inéluctable, et que cette sorte d’autodéfense n’est que vanité. Ils clament alors comme un défi : "C’est la vie !" Et s’entourent paradoxalement de symboles corroborant la vacuité de ce défi : les vanités. 

Est-ce tout à fait la même démarche, lorsque, au cours de ses promenades, Baldo Estelles glane depuis des décennies, des crânes de toutes provenances, les collectionne dans son atelier, et (peut-être est-ce là qu'il conjure l'idée de la mort, sa façon bien à lui d'éviter le morbide ?) un jour œuvre à les transformer en objets esthétiques dont il s'entoure en les suspendant sur ses murs, les posant sur ses meubles, comme des œuvres d'art ? Il semble que non, que la révérence réservée aux crânes humains, disparaisse du fait même qu'il s'agit d'animaux sauvages ? 

          Il semble, en tout cas, que l'artiste  ait été un jour rattrapé par une véritable obsession récupératrice, d’où une aventure sentimentale entre lui et les squelettes récupérés. A mesure que ses mains s’accoutumaient aux mystères des ossatures, Baldo Estelles a commencé à jouer les démiurges ; modeler les crânes ; les patiner et/ou les peindre. Se servir de mâchoires pour en faire des sortes d'ailerons. Des yeux sont recréés, avec des perles ou des dorures Apparaissent osselets,  épingles, tiges de bois ou quadrillages qui feront figure d'ornements… A mesure que s’installent ces éléments, le crâne perd son anonymat, change d'aspect, devient un animal aux dents féroces, un oiseau au long bec et (!) aux bois immenses, une sorte de relais personnalisé entre les circuits d'une plaque électrique, etc. 

          Quelle que soit leur apparence, Baldo Estelles  n’oublie jamais qu’en tous temps, en toutes civilisations, "ces créations" à connotation un peu mystique, même si l'artiste n'en a pas vraiment conscience, n’ont pas été conçues "pour" être belles, mais pour être révérées. Que les chouettes étaient clouées aux portes des granges, jusqu'à ce qu'émerge leur squelette ; que des paysans conservaient (conservent encore)  au fond de leur poche, un crapaud desséché… Qu'ainsi transformées, elles deviennent sur ses murs, objets de surprise, suscitent un peu d'admiration, mais de frayeur aussi. 

 

          Quoi qu'il en soit, l’étrangeté des créations de ce sculpteur, leur beauté, la recherche particulière et l’imaginaire à la fois répétitif et individualisé qui ont accompagné leur gestation ; le soin avec lequel il leur donne "vie" font que le spectateur, sensible à la puissance qui en sourd et force intuitivement le respect, a le sentiment de vivre un moment authentiquement mystique, car ces crânes, même factices, même non-humains, lui renvoient l’image de ce qu’il adviendra un jour de lui…

Jeanine RIVAIS

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2016 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.