Laurent Gailhac  voyage-t-il réellement de par le monde ? Ou bien possède-t-il dans ses gênes de lointains ancêtres qui l’emmèneraient depuis des décennies en des endroits de fantaisie où sa curiosité, son imagination et son talent l’auraient poussé à recréer une civilisation bien à lui, allogène et néanmoins humanoïde. Ce faisant, il offre au spectateur l’occasion d’un profond étonnement et le sentiment qu’il ne lui sera pas facile d’entrer dans cet univers.  

Chacune de ses œuvres illustrerait possiblement les rêves les plus fous, -car il s’agit bien de rêves étranges et poétiques- entraînant ce spectateur au plus loin de son orbe terrestre. Cette même œuvre pourrait, d’ailleurs, résumer la démarche du peintre qui, sans en avoir l’air, oblige l’observateur à une double "lecture" de ses œuvres : l’apparence immédiate, et ce qu’il "faut mériter" pour entrer de plain-pied dans son monde imaginaire. Ainsi, ses villes pourraient-elles être quelque Mont Saint-Michel lové à l'intérieur de ses remparts ! MAIS les maisons de l'une sont en fait des sortes de minuscules moines encapuchonnés, tandis que de grosses têtes jalonnent les rues invisibles. Alors que l'autre serait quelque lieu mystique où les escaliers montants amèneraient une procession de "gentils" vers leur Dieu installé en majesté tout au haut d'une longue perche, et que de l'autre côté, les marches descendantes verraient les "méchants" piteusement regagner le sol. Tandis que cette démarche est doublée par deux faisceaux de rayons à partir desquels les uns continueraient leur ascension vers des cieux invisibles, et les autres basculeraient dans le vide ! 

Ailleurs, (relevant peut-être du conte), une lune rieuse entourée d'étoiles éclaire un paysage nocturne baignant dans un bleu idyllique où des personnages (des enfants ?) promènent leur chien, jouent à cache-cache derrière les troncs dénudés ou sont assis au coude des plus hautes branches ; tandis que les chapeaux des champignons reflètent paisiblement la clarté lunaire ! 

Ailleurs encore, Laurent Gailhac propose une scène beaucoup moins idyllique (relevant peut-être de la mythologie grecque, vu les bovins largement encornés tels le veau d'or, qui la dominent). Emergeant d'une épaisse végétation, un immense aqueduc dont l'arche enjambant la rivière est ornée de  l'énorme tête laurée que quelque dieu passe-boule, au corps inexistant, mais aux bras écartelés et fixés au sommet de l'édifice par des clous démesurés ! Et dans chaque arche, pendent des corps encastrés dans la construction, le danger venant sans doute du gigantesque crocodile en train de prendre son élan ! 

Ainsi faudrait-il aller d'œuvre en œuvre, s'interroger sur la façon dont l'artiste use sans limite de sa liberté, voyageant picturalement vers des sphères où règnent la plus grande fantasmagorie, le plus complet onirisme. Passant d'une aventure à l’autre comme si l’histoire de l’une corroborait, affirmait, complétait… celle de l’autre… Jusque dans les plus surprenants moments où un personnage se détachant sur un fond étoilé (une carte de tarot, peut-être ?) est vêtu d'une ville devant laquelle se tord le sommet d'une tour Eiffel, tandis qu'une femme blonde, de dos, s'agrippe à sa poitrine/aqueduc ; et qu'il tient d'une main une palette sur laquelle s'agitent de microscopiques homuncules, de l'autre un pinceau ? Un stylet ? Difficile de se prononcer, le symbole changeant alors complètement le sens de cette scène !  

          Ainsi, l'œuvre de Laurent Gailhac emmène-t-elle le visiteur au gré de ses fantaisies vers son monde fantasmatique dont l' harmonie fait se côtoyer comme une composition unique toutes les variantes de sa créativité.

Jeanine RIVAIS

TEXTE ECRIT SUITE AU BIZ'ART FESTIVAL 2016 DE HAN-SUR-LESSE EN BELGIQUE.