CHRONIQUES DU IIe FESTIVAL "HORS-LES-NORMES" DE PRAZ-SUR-ARLY (16-21 juillet 1995)
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Les dossiers "RETOUR SUR" Banne 2002, Praz-sur-Arly 1995, 1999, 2001 et 2003 (à venir) ont tous été publiés dans le BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA" de Jean-Claude et Simone Caire. Malheureusement, la publication de ce fanzine s'est arrêtée en 2004. Et depuis toutes ces années, ces textes et entretiens étaient en déshérence.
Les voilà donc revenus à la vie.
Longue vie à tous ces "dits" de et sur les multiples artistes concernés ! J.R.
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TOUS LES TEXTES DE CE DOSSIER SONT DE JEANINE RIVAIS ET ONT ETE ECRITS EN 1995.
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DE QUELQUES CONSIDERATIONS SOULEVEES PAR CE FESTIVAL
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Pour le plus grand bonheur de plasticiens longtemps ignorés des galeries et musées officiels, sont en train de fleuris en France, de petits festivals d'arts hors-les-normes, qui regroupent, selon les compréhensions ou les scepticismes des municipalités, un nombre variable de peintres, sculpteurs, "objétistes", etc. Chaque fois, et c'est remarquable, l'initiative est prise par un artiste qui, délaissant momentanément pinceaux ou burins, s'oblige à sortir des égocentrismes dans lequel le plonge sa créativité, pour se consacrer aux autres, leur donner une chance supplémentaire de montrer leurs œuvres.
A Praz-sur-Arly, une telle entreprise revient à Louis Chabaud, peintre, sculpteur, "montreur de trognes", qui a mis la sienne en quatre pour assumer le destin de trente invités. Au nom de la convivialité, il a présenté trente œuvres différentes, pas toujours réellement "hors-les-normes", pas forcément "Art brut", mais originales. Pendant une semaine, il les a entourés de sa chaude amitié, de ses sourires bourrus, ses fausses colères homériques, son grand cœur à fleur de lèvres. Au fil des jours, dans son aura, des échanges se sont opérés entre les fantaisies in situ des divers protagonistes, et le professionnalisme de Cérès Franco, marraine du festival, directrice de la galerie "L'œil-de-bœuf" à Paris, qui, depuis trente ans, défend tous ces styles et s'enorgueillit désormais de les avoir réunis en une Collection d'Art contemporain, à Lagrasse (Aude) : Avec sa sérénité et son savoir-faire, elle leur a appris que pendre des peintures n'est pas les accrocher à des cimaises, que tasser des sculptures empêche le visiteur d'en faire le tour, d'en apprécier la démarche sérielle ou ludique : que compiler, enfin, ne signifie pas exposer.
Ceux qui ont joué "son" jeu, ont brusquement vu changer l'impact de leurs œuvres. En sont, par voie de conséquence, sortis enrichis, "avertis" pour leurs prochaines expériences. Mais il faut admettre, devant la multiplication de ces festivals, (l'un des tout premiers fut créé à Roquevaire par Danielle Jacqui ; un autre à Allonnes par Rémi Le Guillerm ; "L'Art cru bat la campagne par Jean-Paul Baudouin à Saffré, etc.) que le risque est grand d'assister ici ou là à des manifestations trop pleines de navrantes maladresses !
Par ailleurs, avec toutes leurs bonnes volontés, ces conservateurs en herbe sauront-ils éviter les écueils dont sont en train de périr leurs collègues des circuits officiels : éviter comme la peste de ramener année après année les mêmes noms sur les mêmes murs, diminuer de ce fait leur crédibilité et la curiosité des visiteurs ; faire tourner en rond les expériences les plus vivaces ? Sauront-ils contrer les requins déjà sur le qui-vive, prêts à moissonner pour quatre sous, cette manne de talents souvent trop naïfs ? Sauront-ils comprendre qu'ils ne sont pas en concurrence, mais en complémentarité ; que leur initiative, en les introduisant dans l'Histoire des arts marginaux, singuliers, hors-les-normes, etc. leur crée responsabilité et obligation d'être superbes : oublier les dissensions de parcours, affirmer leur sérénité, asséner leurs singularités picturales, leurs choix esthétiques ? Tous, organisateurs et exposants qui ont adhéré à des définitions bien précises de la hors-normalité, sauront-ils éviter de se fourvoyer dans les travers qui ont perverti les arts au fil des siècles : le commercialisme, voire le mercantilisme, les démonstrations individuelles qui, par leur manque de nouveauté, les ramènent à des circuits dont ils doivent impérativement se différencier ? Sauront-ils, en un mot, préserver ce qui fait leur force, leur candeur, leur jeunesse d'esprit, ce grand élan de vie et d'originalité qui amenèrent naguère les Dubuffet, les Bourbonnais, les Chave… à lancer leur euréka ! Et foncer tête baissée dans des voies picturales inexplorées et des éthiques nouvelles ?
Souhaitons que oui ! Si tel est le cas, longue vie à ces festivals, résurgences des baladins du Moyen-âge portant de village en village leurs parchemins enluminés ; ou des contestataires du XIXe siècle étalant sur les murs de leurs maisons, leurs œuvres dédaignées des salons officiels .
Jeanine RIVAIS