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LES ETHNOGRAPHIES MULTIFORMES D’ANTOINETTE BUGARD.
TEXTE DE JEANINE RIVAIS
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Il semble bien qu’Antoinette Bugard appartienne à ces bricoleurs aux talents multiformes, incapables de rester en place et d’imposer un aspect définitif à leur travail : des explorateurs, en somme, de la peinture ou de la sculpture. Ainsi désireuse de s’exprimer sans frontière, elle donne « vie » à de multiples figures, explore pour y parvenir, toutes sortes de matériaux qui lui tombent sous l’œil ou sous la main : grillage, bois, pierre, végétaux, objets informes ou parfaitement définis, etc. Et, à partir de là, selon son humeur, elle se lance en des constructions hétérogènes, presque toujours homomorphes néanmoins, même si quelquefois la ressemblance avec l’homme est évasive. Regarder les œuvres d’Antoinette Bugard, revient donc à « rencontrer » toutes sortes de variantes anatomiques, dont les seuls points communs seraient la verticalité et la résonance xénophile des individus qui les affectent.
Il en va ainsi de ses rudimentaires hommes-cocons, simples tubes ventrus, dépourvus de membres ; annelés de haut en bas, les anneaux s’ouvrant lorsqu’ils sont en bois, sur de profondes entailles aux bords lippus, semblables à des orifices buccaux ; surfilés, lorsqu’ils sont de tissu, de grosses coutures verticales ou horizontales. La tête, toujours filiforme, est un vibrion métallique ou une courte antenne au-dessus d’un macaron blanc piqué d’une minuscule forme géométrique.
Il en va de même de sortes d’allochtones encore plus primitifs, quasi-ectoplasmiques, à tout le moins privés de colonne vertébrale, se présentant sous formes d’amas gélatineux aux teintes brun clair et vert glauque. Agrippés aux mailles d’un grillage, à la manière du miel dans les alvéoles des ruches, ils sont tantôt tête-bêche, avec, pour seul repère anatomique un œil creux, et pour seul lien une zone située au bas de leurs deux corps ; tantôt face à face, de part et d’autre d’un « arbre », sans aucun point de contact jusqu’en bas où ils sont eux aussi accolés par ce qui est probablement un sexe tubulaire…
Puis viennent d’autres créatures, agglomérats d’humains, de bêtes terrestres et de gnomes au long appendice nasal ; disposés en grappes alentour d’une peau velue ; enlacés par leurs mains/pattes… Paradoxalement, Antoinette Bugard amorce ici une mise en scène, opposant sur la partie humaine le visage fin, les seins élégants, le ventre et les hanches sensuellement ovés ; à des rémanences de brutalité sauvage qui étrécissent les yeux à la manière des fauves aux aguets et coiffent la « femme » d’une énorme chevelure animalière : Finesse et brutalité, dont se fait l’écho contradictoire, l’autre partie totalement animale, grossière et sans fioritures. De toutes les « ethnies » proposées par l’artiste, cet amalgame de protagonistes disparates semble la plus malsaine, provoquant chez le spectateur tour à tour fascination et répulsion.
Par contre, dès qu’elle parvient aux humains, cette anthropologue si particulière se fait légère, tordant ses grillages peints en blancs ou en couleurs tendres nacrées, en élégants mouvements de danses ; vêtant à la manière des danseurs orientaux, ses personnages compassés, de costumes polychromes, raffinés et sophistiqués. Et puis, à bout peut-être, de création essentiellement cérébrale, elle quitte ses exercices de style et ajoute un brin de psychologie, de tendresse et d’humour par le truchement d’un petit personnage juché sur une bille de bois, tout en rondeurs, au crâne cabossé au-dessus d’un nez éléphantin… en train de lire un livre…
Que lit donc cet humain qui apparaît comme la quintessence des mutations génétiques perpétrées par l’artiste ? Essaie-t-il de déchiffrer un des manuscrits rapportés de ses « voyages cosmiques » par Antoinette Bugard ? Reviennent en effet, de manière récurrente sur toutes ses œuvres, des plages d’écritures pérégrines en surimpression des « chairs » ; organisées en des rythmes familiers, mais néanmoins illisibles ; attendant peut-être d’être déchiffrées pour livrer les secrets de leurs auteurs, leurs origines et leurs coutumes, le mystère de leur pérennité et les causes de leur diversité qui corrobore leurs lointaines provenances.
Mais, au long de ce travail, quelques autres constantes jalonnent la démarche de l’artiste : sérénité, caractère à la fois ludique et raisonnable, fantasmagorie d’un imaginaire débridé, esthétisme et originalité… Tout cela ne s’appelle-t-il pas créativité et talent ?
VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES ETHNOGRAPHIES MULTIFORMES D'ANTOINETTE BUGARD : N° 72 Tome 2 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. Et aussi : www.rivaisjeanine.com/festivals/retour-sur-banne-2002/bugard-antoinette/