Constant Car a travaillé naguère dans le bâtiment. C’est dire que, pendant près d’un demi-siècle, il a manipulé des pièces métalliques qui sortaient de l’usine ; constaté contre ses mains leur dureté ; observé leurs brillances ou leurs matités…
Par ailleurs, vivant à la campagne, il a retrouvé et aimé des caractéristiques similaires dans les outils qui ont, au fil des siècles, accompagné les travailleurs agricoles et connu si peu de variantes dans le temps ou la géographie. Imprégné intuitivement de toute la culture du terroir, du mythe qui s’est perpétué autour du labeur paysan, il a commencé à collectionner fourches, pioches, roues dentées, plantoirs, etc. Mais, en les dépouillant paradoxalement de l’aspect rouillé, délavé qu’ils affectent souvent. Comme s’il lui était indispensable de leur consacrer du temps ; créer avec eux une complicité, leur prouver son attachement et son respect : Il a donc commencé à les peindre en noir, les cirer ou les vernir, les lustrer, bref leur donner un petit air tout neuf… Ce qui est dommage, car les signes d’usure de ces objets n’attestent-ils pas de leur pérennité ? Mais pour ce collectionneur, les rajeunir est à l’évidence, indispensable…
Au cours des années, la collection a grandi, absorbant l’espace vital de son auteur. A tel point que celui-ci a dû s’en séparer. Imagine-t-on des murs soudain nus, des placards vidés… Constant Car a commencé une nouvelle collection. Mais on ne retrouve pas en quelques années, le fruit de décennies de recherches, de « rencontres », de coups de cœur ! Alors, de même qu’il y eut, dans les contes, une révolte des jouets, peut-être y eut-il dans les rêves de ce glaneur impénitent, une révolution des outils ? Toujours est-il qu’un jour, il commença à « jouer » avec les siens ; transformer ces objets fonctionnels ; les soumettre à de curieuses mutations, jusqu’à obtenir des animaux de la ferme, insectes des champs, etc. Voilà donc les houes changées en corselets de moustiques ou de libellules, les tuyaux en bustes de personnages ; quatre fourches accolées pour générer un corps de chouette ; des socs placés en éventail pour faire battre les ailes d’un coq et, eu égard à leur configuration, des faucilles simplement associées pour former celle de sa queue… Voilà surtout Constant Car devenu sculpteur d’Art-Récup’, ferronnier et soudeur…
Réalisé avec un soin minutieux, ce bestiaire campagnard croît et se multiplie. Et l’humour avance de pair. Car, en introduisant dans ses œuvres de la psychologie, ce créateur y a instauré une hiérarchie : Chacun sait, par exemple, que dans toutes les fables et historiettes, le coq est le chef de la basse-cour. En conséquence, dans ce poulailler de métal en train d’éclore, il trône immense, au milieu et au-dessus de ses poules. Dans le même temps, la queue du chien frétille aux pieds de son maître ; le papillon, dans la prairie, flirte avec le lucane… Et Constant Car qui a trouvé un nouveau moyen de communiquer avec ses chers outils, découpe, réunit, soude… s’amuse beaucoup, en somme, avec ses drôles de bêtes !
Quant au spectateur, il est à la fois effrayé par la rigidité qu’il a en mémoire, et le danger lié à ces outils aux formes souvent agressives ; et fasciné de les voir disciplinées, comme assagies pour constituer les éléments de cette œuvre à la fois ludique et esthétique !
VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LA VIE DES BETES": N° 72 Tome 2 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA. Et aussi : www.rivaisjeanine.com/festivals/retour-sur-banne-2002/car-constant/