Jeune, timide, autodidacte, Marion Durand-Gasselin est une quasi-débutante dans une création où elle n’a pas choisi la facilité. Mais elle semble dotée d’un imaginaire fertile, car déjà, ses œuvres possèdent une psychologie et une technique intéressantes et originales : tantôt peintures pures ; tantôt --car elle aime les contacts raboteux—faites de lambeaux de tissus, fragments de cagettes, fibres arrachées ici et là, sciure de bois… mêlés à de la peinture et de la colle, de façon à ce que les reliefs provoquent des résistances qui titillent sa main ; tandis que ces pâtes semi-aqueuses, forment des sous-couches dont la présence invisible fait ici briller une plage, là au contraire la laissent mate et ombreuse et donnent l’impression de plaquer contre le fond les éléments qui composent son « histoire »…En somme, elle expérimente les contrastes volumes / enfonçures ; luminosités / empêchements de couleurs. Et la jubilation qu’elle en ressent laisse présager que désormais elle multipliera ces recherches. Mais le paradoxe est qu’ayant volontairement créé ces espaces doublement antithétiques, elle place son tableau derrière un verre : Dès lors, il est impossible d’en apprécier les effets tactiles qui étaient pourtant conçus dans ce but !
Mais cette sorte de jeu sur l’apparence n’est pas la seule préoccupation de Marion Durand-Gasselin : Chaque œuvre est faite de plusieurs petits espaces fermés, disposés sans volonté de côtoiements. Et nul doute qu’il va lui falloir de nombreuses clefs pour établir entre eux la moindre communication. Elle en a conscience et, réfléchissant sur ce qu’ils représentent, tente de trouver les serrures correspondantes !
Il n’est pas exagéré de parler de serrures et de clefs, car du fait de ces géographies erratiques, chacune de ses œuvres est un huis-clos ou un agglomérat de lieux clos dans lesquels se trouvent, raides, statiques, de petits personnages pictographiques à peine élaborés : Corps/vêtements tubulaires. Têtes sans cous « vissées » en demi-cercles sur la largeur des troncs. Gros yeux ronds sans paupières qui leur donnent des airs tristes. Cheveux hirsutes dressés en éventail au-dessus de la tête. Bras et jambes filiformes terminés par des boules où ne se distinguent ni doigts ni orteils. Parfois, chacun possède son espace fermé, d’autres fois ils sont à plusieurs. Tous tournés vers le spectateur : le regardent-ils ? Observent-ils quelqu’un situé au-delà de lui ?
Ou bien essaient-ils de fuir, oublier quelque chose qui leur fait peur ? Car, en haut, dans un coin situé au-dessus et derrière eux (encore qu’avec l’absence de perspective qui caractérise les œuvres de Marion Durand-Gasselin, il soit difficile d’affirmer sa place exacte) se trouve une fenêtre. Derrière les vitres de laquelle, à l’extérieur donc, s’imposent deux yeux terribles de fixité, qui ont l’air de regarder à l’intérieur des « maisons » (Faut-il dire « maisons » ?) Quel est le rôle de cette fenêtre récurrente d’œuvre en œuvre ? Est-elle prétexte à cacher ? A laisser deviner ? A montrer au contraire l’existence d’un étranger dont seuls sont visibles les yeux ?
Sur quelques œuvres, les personnages sont de la hauteur de la feuille. Lourds, géométriquement très structurés, ils sont soudés dans des gémellités voire des triploïdies inextricables. Ceux-là ont-ils trouvé le moyen de communiquer et de grandir ? Mais alors, l’artiste place un cerne noir, d’un noir longuement travaillé, où l’œil « sent » le passage répétitif du pinceau attestant de l’importance symbolique qu’elle prête à ce second cadre à l’intérieur de celui qui entoure l’œuvre. Ces êtres sont-ils donc simplement dans un enclos plus vaste ? Et quel est le but de ce cadre, de ces cadres –de ces murs, finalement-- qui les cernent tous, grands ou petits ? Les empêchent-ils simplement de communiquer ? Sont-ils une menace ? Les protègent-ils, au contraire ? Les sécurisent-ils contre ces deux yeux voyeurs qui les épient sans relâche ? et dans ce cas seraient-ils des projections de l’esprit de l’artiste et de sa propre timidité à s’exprimer ?
Dans l’immédiat, Marion Durand-Gasselin n’a pas de réponse. N’a pas encore trouvé les bonnes serrures ! Parfois, pourtant, un ajout d’apparence anodine mais qui modifie la connotation morne de l’ensemble, laisse penser qu’elle est près du but : un pot de fleurs sur la tête d’un individu, des couleurs plus vives conjuguées dans de nouvelles harmonies… et voilà un peu de gaieté, une recherche de beauté… Nul doute qu’avec l’énergie qui l’anime, à la façon dont elle court d’une œuvre à l’autre, déjà consciente des risques qu’elle prend et refusant les effets faciles, cette jeune artiste libérera bientôt ces petits êtres primitifs de l’enfermement qui les empêche de courir le monde… Partant, elle trouvera sa propre voie vers la parole. Et cependant, elle dit déjà très bien ce qu’elle veut exprimer !
VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "PERSONNAGES A HUIS CLOS DE MARION DURAND-GASSELIN" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 72 Tome 2 de FEVRIER 2003. Et aussi : www.rivaisjeanine.com/festivals/retour-sur-banne-2002/durand-gasselin-marion/