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LA « VIE EN ROSE-BONBON » DE RENE GILOUX.
TEXTE DE JEANINE RIVAIS
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René Giloux semble aimer le rose. Un rose vif et tendre qu’il est coutume d’appeler « rose-bonbon ». Faut-il, pour le visiteur, en conclure que sa vie est un long « fleuve tranquille » où il coulerait des jours de la même couleur ? Il semble bien que non ! Il semble bien, même, que quelque chose ne tourne pas rond dans le mécanisme de son existence.
A l’instar de nombreux créateurs de l’Art brut, lorsque la cinquantaine s’est annoncée, il s’est mis à coller, encoller des papiers, comme s’il lui fallait consolider une construction qui commençait à se craqueler ? Cette façon de se lancer dans une aventure artistique (d’ailleurs, le fait qu’elle soit considérée comme artistique était-il le but originel ?) n’implique-t-elle pas généralement l’urgence d’expurger quelque mal-être qui a pris en soi au fil des ans, de plus en plus de place et qui commence à déborder ?
De là à créer des « personnages », il n’y avait qu’un pas qu’il semble avoir franchi avec beaucoup d’acharnement, de soulagement peut-être, en tout cas avec un humour noir très … noir. Malgré le rose bonbon de ces êtres qui prenaient corps !
Dire qu’ils « prenaient corps » ne semble pas non plus être tout à fait juste ! Ne seraient-ils pas plutôt les projections fantasmatiques et désordonnées d’un esprit cauchemardesque ? Rêvant qu’il échappe à une femme au corps d’enfant vêtu d’une délicieuse robe à volants, au-dessus de laquelle est posée une tête âgée, rendue hideuse par le fard qui rougit violemment ses joues, barre sa bouche en cœur ; tandis que le rimmel cerne de façon caricaturale ses yeux noirs surmontés de sourcils d’un noir de jais, épilés en accent circonflexe ; et que des cheveux blonds artificiellement frisés accentuent le contraste entre la « réalité » et le « vouloir paraître » : une horreur féminine, en somme, du genre que, dans le langage populaire, on appelle « une vieille peau » !… Mais elle n’est pas seule ! Un véritable aréopage de guenons roses semble peupler le jardin secret de René Giloux. Et nul doute qu’il tente aussi d’échapper au même duo corps-tête en totale antithèse, chez cette autre « femme » –la même ?- brune cette fois et semi-chauve perchée sur deux jambes-flûtes et assise dans un fauteuil-pelle (inutile de relever la symbolique de cette pelle –fût-elle rose—objet à ramasser l’ordure !)… Echapper à cette autre femelle-tire-bouchon réduite à son enveloppe, sautant à la corde pourtant, comme une fillette, sur ses quatre sabots de porc ; et dont le long cou est surmonté d’une hure de … cochon, aux larges oreilles ; outrageusement maquillée, elle aussi ; paradoxalement si humaine malgré le groin, du fait peut-être de ses yeux bleus ?… Faut-il rapprocher ces personnages ? Conclure que la femme à tête de femme est tellement plus animalière que celle à tête animale ? Que la « bête » est moins atroce que l’ « humaine », en définitive ?
Rose ! Tant de rose pour de si sombres pensées ! Comment René Giloux se sort-il de ces rêves hallucinés ? Ce rose obsessionnel est-il, pour lui, un dérivatif à la noirceur de ses fantasmes ? Ces « poupées » invraisemblables, si « mal » dans leur corps, sont-elles comme dans les rites vaudou, les exutoires qui lui permettent de conjurer ses obsessions ; aller au-delà de lui-même ? Qui sait ?
VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LA VIE EN "ROSE BONBON" DE RENE GILOUX" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 72 Tome 2 de JANVIER 2003. Et aussi : ENTRETIEN AVEC JEANINE RIVAIS : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. RETOUR SUR BANNE 2002 et 2003.