RAPHAËL MALLON

********************

« J’en ai marre, marabout, boutd’ficelle… »

ou

LES CYCLES INFINIS DE RAPHAËL MALLON, peintre

TEXTE DE JEANINE RIVAIS

*****

           Est-ce d’avoir vécu son enfance au centre de lignes de crêtes qui fermaient son horizon et s’imposaient, blanches ou sombres selon les saisons, d’un poids aussi psychologique que géographique, que Raphaël Mallon, éternel montagnard, en est venu à peindre des « cycles » ? Au cours desquels, tous les personnages, objets… sont rattachés à une sorte de fil conducteur qui les ramène au point de départ, de sorte que chaque « boucle » est inexorablement « bouclée » !

          La trentaine pas encore atteinte, ce jeune artiste dont la création semble de prime abord narrative, est à l’âge où l’on est tout imprégné de bande dessinée. Et, par moments, sa peinture s’en rapproche, surtout lorsqu’il ajoute au dessin, des écritures. Mais sans doute le découpage trop précis qu’elle implique ne lui convenait-il pas ? En tout cas, il en est venu à cet enchaînement cyclique évoqué plus haut. Et contrairement à la bande dessinée qui, par définition narre une histoire linéaire, les « récits » picturaux de Raphaël Mallon sont des sortes d’étapes liées comme dans cette comptine récitative « J’en ai marre, marabout… » par des formes, des rappels… ; où les éléments (à l’instar des mots) sont indubitablement liés aux précédents, sans en découler dialectiquement. Déduction pas simple du tout !… Ainsi, partant d’un personnage à double tête, jambes en l’air, l’observateur passe-t-il à un cul-de-jatte qui marche sur les mains…à deux jambes sans corps terminées par des poulaines/visages… agrippées à une corde en train d’étrangler un chat (n’est-ce pas plutôt une chatte, avec sa patte/femme et son ventre porteur de trois minuscules fœtus ?)… qui attrape une souris… qui est debout devant des statues de l’Ile de Pâques… dont l’une devient une sirène accrochée à la corde par une série de mousquetons… Et cet observateur (peut-être faudrait-il plutôt dire ce « lecteur » ? ) en vient à une deuxième « bulle » qui commence par une série d’hippocampes, à laquelle fait suite une araignée entremetteuse… Tandis qu’une autre encore passe par Siva, Salvador Dali la moustache en bataille, via une licorne, etc.

          Ainsi, sans logique apparente, Raphaël Mallon « voyage-t-il » autour de cette corde ! Comment pourrait-on dès lors, imaginer qu’une telle circumnavigation  soit purement esthétique ? Bien sûr, pour en faire une analyse définitive, il faudrait connaître intimement à la fois l’homme et le peintre ! Mais des éléments récurrents permettent d’émettre des hypothèses et de recevoir quelques réponses à ses supputations : les jambes (Absence de jambes/ Jambes-visages/Jambes-femmes…) : toutes  jambes atrophiées, en somme, ou déconnotées, ne suggèrent-elles pas, liées à cette corde, une difficulté à bouger, à aller « vers… » ou ailleurs ; ou au contraire, les visages féminins sur les pieds, les femmes à la place des jambes qui attestent d’une féminisation de ces parties anatomiques, n’impliquent-ils pas que le mouvement autour de l’artiste se fait par la femme ? Les trois fœtus ne seraient-ils pas (inconsciemment, cela va de soi !) en relation avec les trois enfants en bas âge qui ont envahi la vie du couple Mallon ? Ce professeur/fils de professeur a-t-il tellement besoin de référents (peintres, symboles religieux, hiéroglyphes etc ;) qu’il fait s’immiscer dans sa progression fantasmatique ? Enfin, comment ne pas voir dans cette corde, un cordon ombilical auquel s’accroche l’artiste comme à une bouée ? (Il semble bien que le jour où il le lâchera, il sera capable de peindre ses tableaux dans une continuité ; mais est-ce bien son propos ?)

          S’il s’autorise ainsi, sur le fond, quelques incertitudes, (mais s’il « savait » tout, il n’aurait plus besoin de peindre…) sur le plan formel par contre Raphaël Mallon n’accepte aucune contrainte. Il passe, au gré de son humeur ou de ce qu’il veut exprimer, de l’encre de Chine à la peinture ; reste d’une sobriété exemplaire ou au contraire se lance dans une débauche de couleurs presque baroque… Parfois, le « dit » laisse le visiteur dubitatif, du fait de l’absence de perspective… D’autres fois, il ajoute des éléments en relief, comme si ce passage dans la troisième dimension lui permettait d’introduire de l’humour dans une réflexion grave ; et d’insister sur un détail qui, autrement, se serait fondu dans le reste ! …

          Bref, voilà un artiste en gestation, conscient que son travail est loin d’avoir trouvé sa forme définitive (et c’est tant mieux car il sera fascinant de le suivre) ; conscient de ne pas posséder toutes les clefs pour expliquer sa démarche. Son œuvre est néanmoins curieuse, intéressante ; et par son côté intellectuel à la recherche de soi-même, titillante pour le visiteur ! 

 

VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS :  "LES CYCLES INFINIS DE RAPHAËL MALLON" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N°71 de JANVIER 2002, Ve FESTIVAL DE PRAZ-SUR-ARLY. ET AUSSI / WWW.jeaninerivais.fr/PAGES/mallon.htm. Et www.rivaisjeanine.com/festival/retour-sur-banne-2002/mallon-raphaël.Et"RAPHAËL MALLON,TEXTE DE JEANINE RIVAIS" :  http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS. RETOUR SUR LE PRINTEMPS DES SINGULIERS 2003.