MIZONI

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MIZONI ET LA NAISSANCE DU MONDE 

TEXTE DE JEANINE RIVAIS

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       Autodidacte, Mizoni  a pendant longtemps, exploré les arcanes de la création picturale ; réalisant des œuvres lourdement psychologiques proches des Expressionnistes ou de Münch ; les quittant pour d’autres, plus légères ; passant, avec des masques japonisants à des approches ethnographiques ; refusant l’anecdote lors d’une période abstraite-géométrique ; faisant à chaque étape un profond travail sur les formes, sur l’espace… Pour en venir enfin à la matière. Y demeurera-t-elle ? Seul, l’avenir le dira. Car cette artiste se refuse à être définie. Elle veut être, en somme, une sorte d’exploratrice de la peinture.

          En référence peut-être à une de ces époques où elle réalisait des mises en scène de théâtre mêlant décor et spectacle, et utilisait des masques comme au temps de la Grèce ancienne, Mizoni en réalise maintenant d’énormes, d’un baroquisme surprenant. Pour en assurer la solidité, donc la pérennité, elle crée un support de grillage qui reste visible au fond des orbites profondes. Et sur le reste, elle encolle de multiples couches de papiers, ajoute des brins d’osier, doublés de lambeaux de papiers polychromes, le tout formant des cheveux raides et épars autour du visage et couvrant un front bas d’où part un nez tordu. Elle mêle à la colle des épaisseurs de peintures ; profite des moindres accidents de la matière pour y provoquer des jeux d’ombres qui donneront aux masques des physionomies fourmillant de subtiles vibrations.

          Une même jubilation à jouer les démiurges, la conduit à la toile où éclatent alors à travers son travail complexe, son grand talent, sa verve chromatique, son lyrisme pictural et l’éblouissante technique qu’elle a développée pour créer sa peinture la fois si tactile et si visuelle !

           Ce qui frappe de prime abord dans cette création, c’est une grande explosion de couleurs, les complémentarités et les oppositions des bleus crus ou foncés qui s’enchevêtrent, des rouges sombres disposés avec parcimonie pour faire vibrer ces bleus ; des verts denses qui s’interposent ; le tout s’organisant au moyen de lourds passages noirs séparateurs, lancés à grands gestes répétitifs de la main. Ici, encore humides, ils vont se mêler en flaques informelles ; ailleurs, s’étagent des transparences qui provoquent des nuances et des granités inattendus… Agglutinés en épaisses strates de peintures et de collages, ils deviennent des couches aléatoires qui vont engendrer les reliefs, les brillances et les vibrations évoquées plus haut, les accidents, les repères... Peu à peu, cette progression génère un magma composé de bien complexes alchimies.           Et, à mesure qu’elle avance, Mizoni installe sur cet espace si puissamment connoté, où seuls quelques trous quadrangulaires se découpent sur le fond informel, les protagonistes de « sa » propre histoire. Il semble que la main vienne d’elle-même vers le centre de la toile ; fouisse ces non-formes pour  y composer à longs traits des silhouettes allusives.

          Etranges créatures aux corps à peine issus de cette gangue lourde et chaleureuse qui les drape telle une cape, et dont seuls les visages sans un pli comme ceux des poupées de porcelaine, expriment, tantôt le désir et leurs silhouettes penchées l’une vers l’autre se fondent en une seule ; tantôt l’agacement lorsque des trois personnages, l’un est si peu fusionnel qu’il est « évidemment » de trop ; ou encore l’indifférence, etc. Tandis que de lourds cheveux frisés forment une coiffe de lumière qui donne à ces visages un remarquable relief. Car si les personnages de Mizoni sont de nul lieu et de nul temps, ils sont incontestablement humanoïdes, extrêmement « présents » malgré leur incomplétude ; rarement solitaires ; le plus souvent groupés en des trilogies qui sans doute ramènent psychologiquement l’artiste à des histoires personnelles très fortes. 

          Mais finalement, quelle que soit leur « destination », grâce à son savoir-peindre, son imaginaire qui lui permet de « dire » sans réalisme voire avec du non-dit… ces personnages sont, par le mélange d’éphémère et de durable qu’ils véhiculent, par l’éternité des sentiments qu’ils expriment ; par leur totale adéquation entre création, réalité et fiction, porteurs d’un message universel d’une poésie puissante !

VOIR AUSSI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "MIZONI ET LA NAISSANCE DU MONDE" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA : N° 72 Tome 2 de Février 2003  : Et aussi : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2002 et 2003.