De nombreux artistes hantent, parfois pendant des années, décharges et poubelles à la recherche de vieux objets, usuels ou artisanaux, burinés par les intempéries, patinés par des générations de mains et abandonnés là par des gens négligents ou ingrats. La vétusté et parfois l’originalité de ces choses leur confère un rôle de mémoire. Et, généralement la disparité de leurs trouvailles donne à ces créateurs d’Art-Récup, glaneurs impénitents de morceaux de vies appartenant au passé, l’idée de faire prendre corps à d’étranges personnages liés à leur fantaisie et leurs fantasmes ; ou les transformer en de nouveaux états dont le baroquisme est souvent fascinant : donner en somme à ces objets, par cette création, une seconde vie.
Il semble bien que Dominique Roume qui vit depuis plus de deux décennies dans une exploitation vinicole, ait été un jour rattrapée par cette obsession récupératrice. Mais, totalement imprégnée de tous les aspects de cette —de son-- histoire de vin, elle n’a eu nul besoin de rôder ailleurs que dans la propriété familiale : il lui a suffi de se pencher pour ramasser « ses » propres objets patrimoniaux. D’où une aventure doublement sentimentale entre elle et les objets récupérés. A partir de ce moment, deux chemins l’ont apparemment tentée :
L’un par le truchement des objets proprement dits. Et ce sont, en tableaux muraux (ou sculptures plates ?) d’étranges compositions de piquets d’acacias, de douelles de barriques, de vieilles clefs rouillées évoquant des secrets de chais jalousement gardés… et surtout de milliers de bouchons accolés, serrés entre des pieux de vigne à moitié pourris, ligaturés par du fil de fer ayant probablement soutenu les ceps entre ces échalas ? Cependant, ces assemblages inattendus ne sont pas exempts d’humour ! En effet, sur chaque bouchon (et le spectateur l’imagine penchée, le nez collé pendant des heures sur ces petits morceaux de liège), Dominique Roume a dessiné, très stylisé comme le font les enfants, un nez qui ressemble à un A majuscule ! (Mais, vu la coloration de ces bouchons, ne faut-il pas également envisager qu’elle ait plaisir à en humer les effluves rémanents ?). Ce « A » tordu, parfois enjolivé de deux minuscules yeux ronds comme des billes et d’une bouche en O, est d’ailleurs récurrent dans ses installations de bois : et ce sont alors (à en juger par les écorces, il s’agit de rondins d’acacia ou de charme) petits gnomes menant joyeuses bacchanales devant l’âtre garni de fagots de sarments n’attendant que l’étincelle ; sous l’ombre tutélaire de vieilles « boges »* de jute qui supportent tout un attirail de fossiles, pierres aux formes tarabiscotées, vieilles pièces de monnaie tellement usées qu’elles ont l’air d’avoir séjourné dans la terre, bouteilles anciennes à en juger par le cul visible à travers le verre, brosses de chiendent ayant sans doute récuré nombre de tonneaux, etc. Quel que soit l’âge de Dominique Roume, elle semble bien avoir gardé son âme d’enfant, car au-delà du plaisir émouvant de la récupération, ses œuvres ont l’air d’exposer comme un privilège, comme une confidence, des objets qu’elle aurait exceptionnellement tirés de son jardin secret !
Quant à ses peintures, deuxième chemin pris par cette artiste, elles bouillonnent comme le moût quand il commence à fermenter. Mille bulles crèvent la surface où dominent des rouges carminés (on n’ose écrire… lie de vin !). Et, sur ce fond agité, trônent des verres emplis … de joyeuses têtes de fêtards ! Ou, sur fond de murs noircis par des fumées qui ne vinrent peut-être pas toutes de bougies, s’étalent de très rabelaisiennes trognes de soûlards. Parfois, rêves d’ivrognes peut-être, jaillissent en désordre sur la toile des écritures manuscrites « crû 97 », « et si on faisait un petit bout de chemin ensemble »… Le vin n’entretient-il pas la convivialité ? Mais l’abus d’alcool ne peut-il virer au cauchemar ? C’est ce que semble suggérer une autre toile où, sur fond de graffiti et lambeaux d’affiches, se chevauchent, rouge vif comme le sang, de petits personnages pictographiques qui, suite à ou à cause de multiples dégoulinures, ont l’air de devenir des lettres majuscules à peine déchiffrables, parlant peut-être de « SARAJEVO » ou d’ « ALGERIE » ? Faut-il croire que la dure réalité surgit quand même là où chaque protagoniste mis en bouche par l’artiste a voulu la noyer ? Chacun sait bien que « La vérité est au fond du… verre!»
Tout compte fait, celle de Dominique Roume est peut-être moins ludique qu’il y paraissait lors du clap infernal du premier bouchon qu’elle ait « personnalisé » ?
Une boge : Ce terme absent du dictionnaire est un régionalisme, un mot patois. Il s’agit d’un sac de jute ayant naguère contenu de la nourriture pour les brebis qu’élevait également le vigneron ; et qui servait, au moment de la récolte, à rapporter les pommes de terre.
VOIR AUSSI TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "MEMOIRES DE VIGNE" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA : N° 72 Tome 2 de Février 2003 : Et aussi : http://jeaninerivais.jimdo.com/ RUBRIQUE FESTIVALS RETOUR SUR BANNE 2002.