Françoise Chauveau appartient à ces artistes qui, ayant compris la vanité de peindre avec application de sages paysages, sont partis un jour en quête d’eux-mêmes. Récusant une civilisation trop brutale et des influences culturelles trop prégnantes, ils s’enfoncent alors de plus en plus loin vers les origines de l’homme ; traduisant ce « retour » à des valeurs primales par une peinture de plus en plus semblable aux créations obsessionnelles de l’Art brut.
D’ailleurs, les deux mots, « nomadisme » et « quotidien », qu’a choisis cette artiste pour définir ses œuvres actuelles, corroborent cette quête : le voyage vers les hommes primitifs et leur errance ; l’individu dans les menues préoccupations journalières qui lui procurent du bien-être tout en laissant à son esprit le loisir de vagabonder.
Pourtant, rien de réaliste ni d’ethnologique, dans ces tableaux où elle met en scène, ici des couples en train de s’embrasser autour d’une table ; là une ménagère revenant du marché ; ailleurs des Touaregs sous leurs voiles, etc. Même cette connotation narrative n’apparaît pas à l’évidence : les visages supposés de profil, soudés en un baiser, présentent en fait une unique face aux yeux fixés sur le visiteur ; et sur la « table », les « assiettes » pourraient constituer les divers éléments de leurs corps…la tomate semble accrochée à la branche/bras de la ménagère ; et le panier a l’air, au bout de l’autre main, d’un beau fruit à la coque brune. Pas de définition sociale, non plus, dans l’œuvre de Françoise Chauveau ; ni de contexte susceptible d’introduire une indication de temps ou de lieu ; pas même une terre sur laquelle reposeraient fonctionnellement des objets usuels reconnaissables, ou les pieds (lorsqu’ils en ont) des personnages, seuls finalement à occuper la toile : des petits êtres, donc, hors du temps, hors des lieux habituels de vie, hors de toutes modes ; placés au centre de traînées ou de flaques blanches et jaunes, de coulées rouge sang terminées par une croix, symbole génétique féminin (cette croix + revient d’ailleurs de façon récurrente, impliquant peut-être une relation difficile de l’artiste à ce sexe, à tout le moins une préoccupation le concernant ?) ; placés aussi, comme en lévitation, dans des plages bleues, aquatiques, qui emmènent le spectateur vers de très psychanalytiques liquides amniotiques : Tous « espaces » au sein desquels Françoise Chauveau protégerait ses créatures.
Car elles sont là, dans ces milieux privilégiés ; tantôt à l’état d’œufs, petits monticules placés à l’avant-plan du tableau ; tantôt bonshommes-têtards à la tête énorme et aux minuscules membres inférieurs directement reliés au cou ; tantôt « complets », mais pas encore « déliés », jambes serrées et bras pendants le long du corps, comme craignant de s’élancer vers l’extérieur ; tantôt épanouis, bouche ouverte en un sourire, leurs gros yeux ronds fixés sur le visiteur, lui faisant avec une espièglerie enfantine un large pied de nez ; tantôt enfin, adultes, vaquant à leurs occupations …
Tout ce petit monde aux diverses étapes de son évolution semble sur chaque œuvre cohabiter dans la paix et la plus parfaite harmonie. Car, si Françoise Chauveau emploie des couleurs très vives fréquemment maculées de bruns ou de demi-teintes qui les font paraître encore plus éclatantes, aucune agressivité, aucune violence ne se dégagent de ses œuvres. Peut-être ce paradoxe tient-il au fait que, malgré l’anarchie apparente des taches informelles, elles sont très structurées, très équilibrées, raccordées souvent autant que séparées par ces croix évoquées plus haut. Comme si l’artiste, en les posant sur la toile, réfléchissait avec philosophie à la façon dont l’homme devient « grand » ; jouait de ses questionnements voire de ses déchirements ; soudait sereinement les « couples » qui en sont les protagonistes et les maillons incontournables de cette gestation ; résolvait par des juxtapositions présence/absence le problème d’un éventuel troisième personnage toujours déstabilisateur ; explorait hardiment le monde de ses grands traits de pinceaux larges et assurés ! …
Une œuvre originale, conviviale, curieuse, interrogative et exploratoire : vivante en somme!
CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.