PIERRE JONQUIERES

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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PIERRE JONQUIERES, lithographe.

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          Jeanine Rivais : Pierre Jonquières, vous êtes lithographe. Ma première question est : comment vous rattachez-vous à l’Art singulier ?

          Pierre Jonquières : Comme n’importe qui. Tout dépend de ce qu’on fait comme genre de travail. Moi, je commets des petites choses sans aucune importance, quand l’envie m’en prend, soit pour explorer une technique nouvelle, chercher des procédés nouveaux, ou tout simplement pour m’amuser.

 

          J. R. : Je dirai donc que vous êtes mon premier lithographe singulier ! 

           P. J. : Cela ne m’étonne pas. Il n’y a déjà pas beaucoup de lithographes. Alors, Singuliers ! Peut-on dire que ce travail soit Singulier ? Non, si ce n’est que certaines de ces lithographies se veulent amusantes et hors des sentiers battus. Mais je n’ai aucune prétention artistique.

 

          J. R. :Voulez-vous expliquer sommairement comment vous travaillez : qu’est-ce qu’une lithographie ?

          P. J. : « Litho » signifie « pierre » ; et « graphie » signifie « écriture ». Il s’agit donc de dessiner, peindre sur une pierre, en comprenant bien qu’il ne s’agit nullement de gravure. La pierre n’est pas entaillée, elle est simplement effleurée par le crayon, la plume ou le pinceau. On dessine sur une pierre préalablement polie. Ou grainée, pour lui donner un peu la surface d’un papier à dessin, par exemple. La surface polie se prête davantage au travail à la plume ; alors que la pierre grenue convient mieux au travail au crayon. Les outils utilisés sont les mêmes que celui du dessinateur. A la différence près que l’encre utilisée et qui ressemble à de l’encre de Chine, est en fait non pas aqueuse mais grasse. Les crayons sont des crayons gras comparables aux crayons de maquillage, c’est-à-dire qu’ils contiennent du suif, de la cire d’abeille et du noir de fumée. On dessine sur cette pierre de façon libre, comme sur toute autre surface, d’autant que l’on peut, sur la pierre, faire des choses impossibles sur le papier ou sur la toile : des grattages, des morsures. Le principe lithographique peut se borner à ceci : déposer du gras sur une pierre calcaire, ou empêcher le gras de se déposer sur cette même pierre. A la différence du marbre, la pierre lithographique n’a pas de défauts, pas de traces de métaux, pas de failles, de rayures, craquelures, fossiles, etc. Rien que du carbonate de calcium à 98%. C’est un calcaire qui s’est fait dans les mers chaudes, en fonction de conditions climatiques très précises. Il y a donc peu de lieux d’où l’on peut extraire ces pierres. Il y a encore, nous concernant, une carrière désaffectée, mais qui pourrait éventuellement être utilisée, à Gornies, à côté du Vigan. On extrait cette pierre, le marbrier la dresse, et on la livre en formats compatibles avec les formats de papiers. L’épaisseur de la pierre est d’environ 6 à 10 cm pour résister à la pression de la presse au moment du tirage. Sur cette pierre va être dessiné, comme indiqué plus haut, le dessin souhaité. 

 

(Suit une longue série d’explications techniques, astuces, procédés d’atelier, sur la réalisation de ce dessin, sur l’estampe…).

 

          J. R. : Tout de même, lithographies, estampes, etc. entrent dans ce que l’on appelle des multiples. Est-ce pour vous la même chose, de vendre un objet qui a été reproduit parfois à des centaines d’exemplaires, parfois même post mortem comme dans le cas de Dali ; ou de vendre une œuvre unique avec laquelle vous vous êtes soudain trouvé en communauté ?

          P. J. : Ne parlons pas des choses qui fâchent ! Il faut bien se mettre en tête que l’estampe n’est pas le parent pauvre de la toile, de la peinture à l’huile, etc… C’est quelque chose de tout à fait particulier qui permet d’exprimer des sentiments très forts. On obtiendra par l’estampe des résultats que l’on ne peut absolument pas traduire par la peinture quelle qu’elle soit. La nature des encres employées, les matités, les transparences sont totalement différentes. Si Rembrandt, Goya… ont travaillé l’eau-forte ou la lithographie, c’était bien pour exprimer avec ces procédés ce qu’ils ne pouvaient exprimer par la peinture ! On n’imagine pas Les Caprices de Goya autrement qu’en eau-forte. Il n’y a pas de hiérarchie entre les différents procédés. En revanche, ces multiples sont moins chers que les œuvres uniques. Et surtout, on peut modifier les épreuves, de façon à avoir chaque fois des tirages différents.

 

          J. R. : Je voudrais en venir à vos œuvres…

          P. J. : Oh ! Mes œuvres ! C’est secondaire ! 

      Le fait de numéroter les tirages n’ajoute strictement rien à la valeur des œuvres qui, d’ailleurs sont la plupart du temps, tirées devant l’artiste. Personnellement, dans mon atelier, je m’attache à livrer avec chaque lithographie tirée, un achevé d’imprimer qui précise les dates, le nom de la personne qui a dessiné sur la pierre, celle qui a fait le tirage ; le nombre de pierres, de passages, etc. De cette façon, même si je tirais des estampes d’interprétation, les gens les achèteraient en connaissance de cause.

 

          J. R. : Parlons tout de même de ces deux lithographies qui sont devant nous. Les avez-vous placées là pour la technique, ou pour l’humour ? C’est un autoportrait. On pourrait dire réaliste, puisque l’on reconnaît bien vos traits. Mais peut-on penser que ce portrait se situe en pleine psychanalyse, que nous sommes à l’intérieur, dans la partie sombre de vous-même ?

          P. J. : Elles sont là pour l’humour, bien entendu ! 

Rien de profond, là-dedans ! Il faut lire ce qui les accompagne. C’est en fait un autoportrait en triptyque : L’adolescence, Epoque du Pliocène, Ce ne sont que des vestiges. Ce ne sont que des têtes de mort, vaguement fossiles ! Seule l’époque intermédiaire permet de reconnaître à peu près l’individu. La dernière est la « prochaine époque avant liquidation totale »… C’est de l’humour, absolument rien d’autre. Je ne sais même plus trop pourquoi j’avais fait cette série ? Ah si : Je me souviens qu’en rangeant des dossiers, j’étais tombé sur des radioscopies qui m’avaient donné envie de la faire ! Mais il n’y a absolument rien à chercher dans ce que je fais, aucune volonté, aucun message à transmettre. Simplement, il y a par moments des envies de faire un dessin, mettre sur la pierre une idée qui me passe par la tête. Mais surtout, ne cherchez pas plus loin ! Et je ne me considère en aucune façon comme un artiste. C’est seulement pour le plaisir, pour l’amour de cette relation au matériau…

 

          J. R. : « De la belle ouvrage », comme dit l’expression populaire ?

          P. J. : Ah oui, quand même ! Plus que n’importe quoi d’autre !  

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.