Dominique Mahé Des Portes se délecte apparemment de la chaleur de menus moments d’intimité, de petits bonheurs sans prétention, qu’elle fixe comme elle tiendrait un journal, sur des supports de contre-plaqué ? C’est l’impression, en tout cas, que donnent ses peintures « au cours » desquelles le spectateur assiste à la séance d’essayage, rôde dans la savane avec le lion terrible, fait avec le jeune casse-cou de l’équilibre au-dessus de la route, s’indigne contre le vilain chat essayant de manger l’oiseau, s’envole vers l’inconnu sur le balai de la sorcière…
L’une de ses œuvres, intitulée peut-être "Le Jardin d’Eden", pourrait illustrer le plus fou de ses rêves, -car il s’agit bien de rêves tendres et poétiques- l’entraîner en tout cas, le plus loin de son orbe terrestre : Au premier plan, un angelot tout rose, le visage éclairé d’un large sourire, incite quelqu’un d’invisible, à le rejoindre parmi les fleurs multicolores ; tandis qu’au fond, « de l’autre côté du fleuve », un affreux diable en noir et rouge fait rôtir… les méchants, sans doute ? Bien sûr, le visiteur n’en fait pas partie, lui qui aime d’emblée ces charmants contes roses et bleus narrés par Dominique Mahé Des Portes. Et qui, sentant son propre cœur battre à l’unisson de l’artiste, tend la main vers celui que lui offre l’angelot !
Cette même œuvre pourrait, d’ailleurs, résumer la démarche du peintre qui, sans en avoir l’air, oblige l’observateur à une double « lecture » de ses oeuvres : l’apparence immédiate, et ce qu’il « faut mériter » pour entrer de plain-pied dans son monde à la fois ludique et onirique, un tantinet manichéen. « Sautent aux yeux » la tête-soleil d’une diablesse aux seins nus ; un mignon lapin suivant, vers un appétissant champ de cœurs, un parcours fléché ; la sorcière chevauchant sur les nuages au-dessus des têtes de deux enfants… MAIS derrière des barreaux, un jeune homme observe la femme, triste de ne pouvoir la toucher ; un chasseur en filigrane met en joue le lapin ; le paon se pavane… dans une cage ; deux hiboux encadrent la sorcière… Un jeu duel, peut-être un peu provocateur, mais si incontournable qu’en voyant au-dessus de la rivière bondir deux poissons rouges, le spectateur se surprend à chercher le pêcheur ; et ne le trouvant pas, se sent frustré dans l’équilibre instinctif qu’il a établi avec l’artiste !
Fausse naïveté, également, dans la façon de peindre de Dominique Mahé Des Portes. Autodidacte, elle semble, à la façon des artistes de l’Art brut, exécuter de rudimentaires personnages ou animaux ; placer sans intention ici ou là une fleur, un nuage ou un cœur symboliques… MAIS les fonds sont très élaborés ; mille petites touches colorées de teintes douces se conjuguent pour devenir des arbres courbés par le vent ; les aplats de peinture lissés au couteau découpent poétiquement les ocelles du paon, le chat en plein élan est tout à fait réaliste. Bref, chaque tableau est finalement très sophistiqué et parfaitement équilibré ; le sentiment d’équilibre décuplé par le format carré des peintures.
Une œuvre épanouie, en somme, dans laquelle l’artiste emmène le visiteur vers son univers d’amour et d’humour ; au gré de ses fantaisies lyriques et un peu naïves ; de son monde fantasmatique où les gentils le sont vraiment, et les méchants ne le sont pas trop. Ne serait-ce pas là, un monde enchanté, celui que les poètes situent bien loin, au-delà de l’arc-en-ciel ? (Qui, d’ailleurs, irise l’un des « Petits bonheurs » de Dominique Mahé Des Portes) ?
CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.