Jeanine Rivais : Voulez-vous nous dire qui vous êtes, et depuis combien de temps vous peignez et sculptez, puisque apparemment vous menez les deux de front?
Christa Neul : Je suis d’origine allemande. J’ai été longtemps enseignante, je travaillais avec des enfants. Mais maintenant j’ai arrêté et je me consacre à ma peinture et ma sculpture. Je travaille sur des objets que je trouve, des pierres en particulier.
J. R. : Quelle que soit la formulation de votre travail, il semble que seul le visage vous intéresse, le travail sur le visage… puisque aucun de vos personnages n’est en pied.
C. N. : Oui, je m’intéresse à l’expression des yeux. La gestuelle des corps exprimerait autre chose que ce que je recherche. Je crois que le visage concentre toutes les émotions et n’a pas besoin du corps.
J. R. : Il me semble que vous donnez malgré tout à vos personnages une connotation allogène. Lorsque vous leur enfoncez des clous dans la tête, il s’agit bien sûr de leur créer des cheveux. Mais ce faisant, vous les rapprochez des sculptures primitives, en particulier des statuettes maléfiques africaines.
C. N. : En effet, je suis allée une fois à une exposition à Londres, et j’ai pensé à faire ce rapprochement avec mon travail. J’ai pensé aussi au « piercing », à ces tatouages que se font sur le corps certaines personnes.
J. R. : En même temps, votre personnage est parfois aussi hiératique qu’un Bouddha. Cela veut-il dire que vos sculptures sont des réminiscences de voyages ?
C. N. : J’ai trouvé les pierres. Elles avaient déjà des accidents qui m’ont paru intéressants. Je les ai donc repris pour en venir aux personnages que vous voyez.
J. R. : Vos autres sculptures sont-elles en bois ou en papier ?
C. N. : Certaines sont en bois, d’autres en papier. Le travail est donc tout à fait différent.
J. R. : Qu’est-ce qui vous attire dans cette confrontation avec la pierre ? Est-ce pour vous une gageure, une sorte de provocation qui consiste à lui dire : « Je vois déjà toutes sortes d’expressions en toi. Mais je vais en tirer autre chose » ?
C. N. : Oui. C’est à peu près cela. Il y aussi le fait que ces pierres sont très vieilles et que j’ai conscience qu’elles vivront longtemps après les gens qui les voient. Je sais que le fait que je sois intervenue sur elles va raccourcir leur durée de vie. J’ai le sentiment de les fragiliser, d’accélérer le temps.
J. R. : Donc, à la pérennité de la pierre, vous ajoutez « votre » pérennité.
C. N. : Tout à fait.
J. R. : Mais vous avez néanmoins une autre formulation, dans laquelle vous créez vous-même vos personnages. Vous travaillez en papier encollé. Vous intervenez donc de bout en bout. Quelle est pour vous la différence de sensation entre ramasser et caresser une pierre qui, par définition est un matériau très dur ; et tremper vos mains dans du papier gluant pour en tirer un personnage qui soit « votre » création ?
C. N. : Il y a en moi beaucoup d’impatience. Quand je travaille sur la pierre, j’ai envie d’aller très vite. Il en va de même lorsque j’interviens sur un morceau de bois que j’ai trouvé dans la forêt. Ce qui est impossible avec le papier.
J. R. : Mais vos personnages en papier semblent beaucoup plus naïfs que ceux tirés de la pierre. Est-ce parce que la pierre vous en impose ? Que vous sentez ne pas pouvoir avoir l’esprit léger en travaillant sur elle ?
C. N. : Oui. Le travail est beaucoup plus dur. Il nécessite beaucoup plus de force. Le travail sur le papier est davantage une détente.
J. R. : Venons-en à ces énormes têtes en bois. Elles sont taillées directement dans le tronc ? Elles semblent relever d’un travail beaucoup plus gestuel, plus rapide que le travail de la pierre.
C. N. : Oui. Je les taille à la tronçonneuse.
J. R. : Vous les avez laissées volontairement couleur du bois fraîchement coupé, qui n’a pas encore eu le temps de se patiner. Et vous les avez outrancièrement maquillées. Pourquoi ?
C. N. : J’ai pensé que traiter ainsi la bouche et les yeux les rendrait plus expressifs.
J. R. : Passons aux peintures qui sont de grands portraits, dont l’un d’ailleurs, vous ressemble terriblement. Vous les avez traitées comme des photos qui seraient mal cadrées. C’est-à-dire que vos personnages d’ailleurs très réalistes et occupent une grande partie du support, sont en fait dans un coin. Vous en avez coupé une partie verticale, simplement pour donner à d’autres personnages beaucoup plus fictionnels, à peine visibles au fond de la toile, une place plus importante. Pourquoi cette composition inattendue ?
C. N. : Ce sont des émotions, des pensées, des conflits, tantôt extérieurs aux personnages, tantôt intimes, et qu’ils projettent autour d’eux.
J. R. : Vous avez par contre d’autres petits portraits qui semblent des portraits d’humeurs. Les uns ont de gros yeux exorbités, d’autres de grosses lèvres aux commissures très basses. Ils ont l’air jetés très rapidement sur le papier.
C. N. : Je peins ceux-là la nuit. Ce sont davantage des impulsions, des sentiments cycliques. Ils sont beaucoup plus spontanés que les grands tableaux.
Quels que soient les formes de ces tableaux, ils expriment toujours des sentiments forts et certains sont très manichéens, ils expriment pour moi le blanc et le noir !
CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche