A quand remonte la fascination ? Les restes de Lucy exhumés par les ethnologues sont-ils, en situant là-bas la genèse de l’Humanité, à l’origine de cette osmose psychologique et romantique ? Est-elle liée aux couleurs de la terre, à la fois chaleureuses et dures ; aux primarités et à la sagesse tribales face à la folie et à l’agitation inhumaine de notre civilisation ; à la beauté et l’exotisme de sa statuaire et leur surprenante proximité avec les images inconscientes enfouies en tout être humain ? Le champ des possibilités semble infini à propos de l’impression de totale appartenance à (dépendance de) l’Afrique, ressentie par de nombreux artistes, des femmes en particulier.
Que dire, alors de Cat Péguet, dont l’enfance s’est déroulée dans l’orbe d’un arrière-grand- oncle, véritable légende familiale, qui avait passé la majeure partie de sa vie sur ce mythique continent ; et « empli » sa maison européenne d’objets artisanaux de toutes sortes, de statuettes dédiées à la maternité, à la protection, la malédiction… à la vie et à la mort, en somme… ? Comment l’enfant qui avait grandi dans ce cadre et, dès l’âge de dix ans, fréquenté assidûment le Musée de l’Homme, n’en aurait-elle pas été imprégnée ? Au point que, lorsque est venu le temps d’affirmer sa propre individualité, elle l’ait exprimée en une étonnante combinaison de ces éléments rituels et de sa culture occidentale ? Puisant ses émotions profondes dans ce creuset où s’était nourri son imaginaire. Témoignant de l’inépuisable richesse de ces sources où s’était élaborée sa perception formelle. Puis, en ayant extrait la quintessence, façonnant son œuvre naissante à l’image de cette vie exogène enfouie dans son patrimoine génétique.
Non que ses peintures ou sculptures, humanoïdes ou animalières, « ressemblent » à des peintures ou des statuettes tribales. Mais elles offrent au spectateur un calme et un hiératisme si puissants, qu’elles semblent restituer la vitalité rentrée, la jouissance implicite et la force sous-jacente des créations primitives dont elles sont les héritières. Et les sables, terres de couleurs, cauris… qui les constituent ou les ornent, témoignent du lien très fort qui rattache leur auteur à ces présences tutélaires. Mythes, légendes, petits rites familiaux et quotidiens… intégrés et réinterprétés se bousculent dans les sculptures de Cat Péguet. Auxquels il faut ajouter les mythes, rites et légendes du monde entier qu’elle a recherchés, étonnée des similitudes qu’elle y a rencontrées.
Témoignent de cette récurrence, de ces constantes, les mères portant leur enfant… Et les tortues, garantes de la sagesse universelle, dont la forme ovoïde ramène le visiteur à la naissance du monde. Marquées, les unes et les autres, de caractères immuables, fétichistes peut-être : des pieds humains, gros et lourds, solidement ancrés au sol ; avec des ongles énormes, sexués, et un peu agressifs ; et des cous démesurés, annelés comme ceux des femmes-girafes. Mais surtout, l’artiste a exploré le thème des déesses-mères, fouissant au plus profond de leur sens cosmique. Délaissant l’idée judéo-chrétienne de la Vierge douloureuse, elle les a dotées certes, de cauris-vulves et de seins volumineux, mais elles apparaissent néanmoins beaucoup plus déesses que mères. En fait, au cours de ses lectures, Cat Péguet a « rencontré » tour à tour Lilith, Isis… les femmes-chamans… les femmes-magiciennes… les Parques… les Amazones… toutes émanations rusées, puissantes et guerrières, si capables de « prendre » mentalement qu’elles n’ont pas besoin de bras pour le faire et ressemblent de ce fait à des sortes de cocons ! Elles se dressent, lourdes, statiques et iconiques, appuyées de certitudes. D’autant plus lointaines que, pour corroborer cette distance psychologique et culturelle, Cat Péguet en peint la terre de violines, de bleus froids, de blancs glacés…
Semblables mythologies réinstallées se retrouvent dans les peintures. Mais les déesses-mères y sont, apparemment, plus souvent mères, portant dans leur ventre leur enfant : agrégats de personnages toujours de face, faits de cercles lourds, gigognes mais excentrés, sans aucun angle : encore et toujours œufs en somme. Comme si, bien que nés, ils étaient encore en gestation ! … Mais, paradoxalement, ces œuvres sont chaleureuses et sensuelles, réalisées dans des nuances d’ocres, renforcées de vernis, de collages de menus grigris, d’ajouts de sables, de marc de café, de craies, etc.
Mais aussi impliqué soit-il, dans sa recherche, un artiste peut-il indéfiniment se « protéger » derrière des civilisations/refuges, s’exprimer par le truchement de créations mémorielles ? Il semble, en tout cas, que Cat Péguet ait quasiment achevé cette circumnavigation qui l’avait entraînée au-delà, autour, hors de « sa » vie. Dorénavant, les couleurs osent des harmonies nouvelles ; les thèmes s’humanisent, deviennent narratifs, plus anecdotiques, plus quotidiens : moins fantasmatiques et plus oniriques. Comme si l’artiste pouvait enfin donner libre cours à sa plus intime fantasmagorie. Comme si le cœur, le souvenir avaient remplacé la démarche cultuelle. Ainsi apparaissent désormais sur la toile, des histoires de princesses en leur château ; et des impressions rémanentes de voyages : des villages saisis dans le calme nocturne, à l’heure où les bulbes/bougies reflètent la douce clarté de la lune. Et de vieux papiers, témoignages de vies écoulées naguère (patrons de robes démodées, relations journalistiques de mariages qui ont défrayé de lointaines chroniques…) ont remplacé le sable. Tandis que des personnages légèrement anguleux participent de cette évolution…
Faut-il en conclure que, si Cat Péguet est toujours dans une recherche où ses créatures continueront encore longtemps à évoluer, elle a d’ores et déjà découvert le moyen de les mettre en mouvement, les rendre plus vivantes, plus ludiques parfois ? Qu’elle s’est libérée de ses terrifiantes déesses-mères pour se rapprocher de l’Humain ? Ce faisant, sait-elle qu’elle a en même temps quitté le monde confortable, sécurisant où elle évoluait jusqu’à présent ; pour s’aventurer dans celui de l’incertitude et de l’angoisse créatrice ?
CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.