Il arrive qu’une découverte culturelle fortuite engendre une vocation. Tel a été le cas de Robert Rocci qui, ayant vu les œuvres des peintres du Fayoum, en est venu à les imiter. Mais un créateur authentique est, tôt ou tard, « obligé » de se libérer de ses modèles sécurisants ! C’est pourquoi l’artiste a bientôt quitté ces rivages restrictifs, frôlé la Renaissance et ses Madones à l’Enfant, abordé une figuration quasi-réaliste ; et, ayant enfin trouvé un style où il était à l’aise, libéré de toutes contraintes picturales traditionnelles, proche des créateurs autodidactes dont il est, et de leur esprit paradoxalement obsessionnel et vagabond, il peint depuis lors avec humour, des sujets sérieux… Toutefois, la stylisation extrême des personnages, leurs grands yeux aux regards fixes et la représentation des visages toujours de face, suggèrent qu’après tout, et sans doute inconsciemment, le Fayoum a laissé des traces…
Néanmoins, sous ses dehors gais et volontiers ironiques, Robert Rocci est un peintre inquiet. S’il revendique la spontanéité du geste, il est incapable de se sécuriser par un graphisme définitif : les personnages sont linéarisés tantôt au moyen de fins contours noirs, tantôt lourdement posés à coups de traces épaisses du pinceau chargé de matière, etc. Il travaille par contre sans relâche sur les couleurs, mélange des pigments, nourrit le bois avec de la cire afin de créer des transparences et des glacis… s’embarque en des couches successives jusqu’à parvenir à un équilibre, qu’il détruit aussitôt en provoquant des accidents ; et le voilà cherchant de nouveau, comme ces ethnographes qui tentent vainement de décrypter des alphabets dont la clef leur échappe sans cesse. Toujours insatisfait, fouissant comme eux derrière l’apparence pour y trouver du sens : voulant, en somme, à tout prix, déchiffrer sa Pierre de Rosette ! A ce degré d’exigence, il va de soi que ses tableaux sont en perpétuelle gestation, et qu’aucun n’est jamais « terminé » !
Et il faut avouer que la peinture de Robert Rocci n’est pas facile à « lire » ! Car si, dans son cadre floral stylisé à l’extrême, réduit à une tête chevauchant une moto, irrévérencieux avec sa langue tirée et son képi crânement posé de guingois sur sa tête, le personnage d’A Monsieur Cheval facteur d’idée, est «évident » ; les autres œuvres doivent être « décryptées » (Pénélope.com, La Joconde un peu plus tard…) : et une première remarque s’impose, c’est que les créatures de Robert Rocci sont presque toutes privées de mains, et que, lorsqu’il en dessine, elles sont isolées, comme si elles étaient conservées dans des bocaux. Ce qui amène la seconde remarque, la rigueur géographique avec laquelle sont disposés les éléments de chaque tableau ; comme si, soucieux d’ordre, le peintre avait besoin de « tiroirs », de « placards » remplis de pictogrammes ou d’objets qui génèrent le cadre dans lequel sont installés les personnages (des bols, par exemple, lorsqu’il évoque l’époque où Mendès-France voulait que chaque enfant boive du lait à la récréation du matin). Ces personnages, à leur tour, sont souvent compartimentés (J’ai fini…), les seins dans une case, le ventre dans une seconde et les pieds dans la troisième ! Peut-être faut-il même remarquer que la signature du peintre est à étages (les deux « c » de Rocci superposés), ce qui en dit long sur la façon dont il aime jouer des apparences !
Ainsi, refusant toute histoire linéaire afin de ne pas tomber dans l’illustration, Robert Rocci met-il en scène des petits morceaux de vie. Il oblige, ce faisant, le spectateur à percer les rébus dont il couvre les cimaises. A chacun d’y trouver subjectivement sa propre histoire, de deviner par exemple, si l’ « enfant » (Bella grappa) est dans le ventre de sa mère ou simplement tatoué sur sa peau ; si la femme aux yeux pétillants (Pénélope.com) est assise dans un fauteuil ou si son anatomie est biscornue, et où est son deuxième pied, etc...
Quant au peintre, comme les enfants lorsque leur dessin leur semble assez beau pour être quitté, et sachant que lui y reviendra un jour, où il y passera de nouveau de longues heures, il est heureux, momentanément, de dire cette phrase à la fois de soulagement et de plaisir : « J’ai
fini » !
CE TEXTE A ETE ECRIT APRES LE DU FESTIVAL DE BANNE 2003, dans le petit village de BANNE, en Ardèche.