Jeanine Rivais : Parlez-nous un peu de vous, puisque je découvre votre travail ?
Marie-Sophie André : Je suis originaire de Bordeaux. Ma mère est tombée amoureuse des céramistes de la Borne**. Cela m’a donné envie d’être moi-même céramiste. J’ai fait mes premières armes au lycée où nous avions un vrai four. J’ai cessé quelque temps, pour me consacrer à la peinture et aux décors de spectacles. Je me suis remise à la céramique depuis une quinzaine d’années.
J. R. : Ces blocs presque abstraits que vous accrochez aux murs, sont-ils des peintures ou des sculptures plates ?
M-S. A. : Ce sont des peintures.
J. R. : Des jeux rythmiques, en fait ?
M-S. A. : Voilà. C’est peint avec des terres de couleurs, du sable, de la colle…
J. R. : Ce qui me semble presque obsessionnel, c’est votre rapport à la Vierge ?
M-S. A. : Aux Vierges, aux Mères à l’Enfant. Il est vrai que depuis mon enfance, ce sujet me passionne. Il semble que la maternité, pour moi, soit un sujet essentiel et existentiel. Les anges, également.
J. R. : Mais, ce qui est curieux, c’est que presque toutes vos sculptures sont creuses. Peut-on dire que le ventre est vide « parce que » l’enfant est né ? Ou parce que l’enfant est complètement indépendant de ce ventre creux ?
M-S. A. : Je ne me suis jamais posé la question ! Mais certaines ne sont pas creuses. Je pars parfois de briques. Et dans ce cas, elles sont pleines.
J. R. : Oui. Mais je ne parlais pas de celles qui sont en fait de la récup’. Je parle de celles que vous avez composées…
M-S. A. : Elles sont faites également à partir de deux tuiles/canal, de vieilles tuiles. Je pars presque toujours de matériaux préexistants. J’aime bien récupérer de vieilles tuiles, des vieux objets comme des pots de fleurs cassés, etc. Même mes peintures sont toujours faites à partir de vieux bois, de vieux châssis que je trouve. Et les sculptures sont composées à partir de tessons, etc.
J. R. : Pourquoi est-ce essentiel pour vous d’avoir cette démarche ? D’habitude, les créateurs d’Art-Récup’ tiennent à ce que l’on voie bien les éléments qu’ils ont récupérés. Tandis que vous, vous reliez des objets préexistants, vous les peignez… de sorte qu’à la fin on ne les voit plus. Pourquoi cette démarche contradictoire de choisir « et » cacher ?
M-S. A. : Je ne sais pas si c’est un choix délibéré ? Mais je crois que c’est ma façon de m’approprier complètement cet objet préexistant.
J. R. : Une autre différence me semble évidente : la plupart de vos confrères vont choisir soit des éléments très neufs (bois, cailloux…) pour leur donner une vie, leur créer une histoire ; soit (le plus souvent) des objets très abîmés, (bois flottés, bois partiellement pourris…) pour leur donner une seconde vie et bien mettre en évidence l’usure du temps. Or, vous, vous peignez ces objets récupérés de sorte qu’à un moment leur existence propre, leur histoire personnelle n’apparaissent plus.
M-S. A. : Il me semble qu’elle apparaît toujours, mais peut-être de façon moins évidente. Il est vrai que ce que je rajoute peut avoir l’air aussi ancien que ce que j’ai récupéré.
J. R. : Oui, mais excusez-moi d’insister, pourquoi, après avoir revendiqué ces objets en tant qu’ « objets anciens », « cachez »-vous leur caractère propre ? On pourrait imaginer que vous gardiez en évidence l’originalité de vos découvertes, que vous les prolongiez par des ajouts personnels.
M-S. A. : Je ne réfléchis pas trop à ces problèmes, parce que je travaille de façon très instinctive. Je ne sais jamais où je vais. Il y a même des sculptures anciennes que je complète périodiquement, au gré de mes humeurs. Parfois, j’ai des regrets, mais la plupart du temps j’accepte ce qui me vient spontanément.
J. R. : Il me semble que l’on peut distinguer deux démarches, dans la série que vous présentez : les unes extrêmement sophistiquées, décorées : on imagine les heures passées à ajouter ici une petite rose, là un petit détail… Et au contraire, les autres très gestuelles, où la peinture a été jetée sur le matériau. Pourquoi ces deux démarches un peu antithétiques ?
M-S. A. : Non, je ne les crois pas antithétiques. C’est selon que je suis dans une énergie rapide, ou que j’ai envie de m’égarer dans la matière, dans le temps…
J. R. : Je vois une tête qui me fait penser à un roi, et nous ramène à l’histoire de la Vierge, la fuite de la Vierge… Est-ce parce qu’à un moment, vous avez voulu suivre picturalement la « mythologie religieuse », si j’ose dire ; ajouter des épisodes à l’histoire de la Vierge que nous avons évoquée plus haut ?
M-S. A. : J’ai travaillé sur le thème de la Vierge de façon tellement spontanée, qu’au fond je n’y pense même pas ! Par contre, les reines et rois avec des couronnes m’ont amenée à travailler un moment sur le thème de la Reine de Saba. J’y avais déjà travaillé en peinture, et je l’ai transposé en céramique. Ces reines antiques m’ont toujours passionnée. C’est une vraie démarche, même si, le temps aidant, c’est devenu aussi spontané que le reste.
J. R. : Dans vos personnages, le visage est toujours réaliste, même s’il est presque toujours plat par rapport au corps qui est tubulaire, bien qu’en creux. Comme si le corps ne vous avait pas vraiment intéressée. Comme s’il n’était qu’un moyen de porter l’enfant et supporter un visage. Etes-vous d’accord ?
M-S. A. : Oui, sans doute. Il est vrai que dans ma peinture aussi, je fais beaucoup de portraits. J’ai toujours été intéressée par le visage, les yeux. Peut-être les yeux sont-ils aussi un peu obsessionnels depuis ma petite enfance ?
J. R. : Voulez-vous parler de quelque chose que nous n’avons pas évoqué ?
M-S. A. : J’aimerais préciser que j’ai besoin de travailler avec des terres que je ramasse. Certes, j’utilise des terres industrielles, mais surtout des terres que je trouve dans la nature, que je mélange, du kaolin. Je fais des mixtures. J’aime beaucoup ce côté expérimentation. Mais c’est aussi une étape très spontanée. Je ne marque jamais mes dosages, quelquefois c’est bien, d’autres fois moins, mais toujours aléatoire.
J. R. : Ce qui sous-entend que vous cuisez la sculpture brute et qu’ensuite seulement vous les peignez ?
M-S. A. : Non. C’est de l’émaillage. Je les recuis ensuite. Certaines sculptures ont une dizaine de cuissons. Je rajoute aussi des petits bouts de verre que je trouve au bord de la mer. Comme il a été salé, il ne fond pas. Il garde une certaine consistance. D’autre fois, le verre trouvé ailleurs fond et me sert de soudure. J’aime beaucoup ce genre d’expériences. J’aime combiner des parties mates et brillantes. Il y a un émail noir-métal que j’ai découvert et que j’aime beaucoup : Il donne un aspect très brillant et cela me plaît.
J. R. : Tout de même, parfois, vous créez un monde un peu plus inquiétant, comme cette reine qui tient un diable et un bouc. Est-ce pour ajouter une touche d’humour ? Ou pour indiquer qu’une femme, même reine, peut accoucher de monstres ?
M-S. A. : Ce sont deux petits diables. Je les trouve bien gentils ! C’était une idée de Charité. Habituellement, les Charités ont deux enfants. Qui ne sont pas des petits diables. Ma Charité est encore plus grande, puisqu’elle a adopté ces petits diables !
** Henrichemont La Borne (Cher). Village de potiers.
CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.