Jeanine Rivais : Comment en êtes-vous venu à cette forme d’art, à cette sorte de création complètement empreinte de mythologie ?
Dominique Bajard : J’ai étudié aux Beaux-Arts où j’ai appris le modelage et la sculpture. J’ai été potier pendant cinq ans. Puis, j’ai commencé à faire des sculptures, les premiers visages. Mais je les reliais à des architectures. J’étais allé en Italie où j’avais côtoyé la mythologie romaine. Les premiers visages que j’ai montrés étaient donc présentés sur des morceaux de « ruines »… Petit à petit, j’en suis venu au corps. Car il se crée une sorte de vie entre la terre et le corps.
Il y a quelques années, j’ai commencé à travailler sur les taureaux. J’ai relié ce travail à l’idée du minotaure, à la suite des lectures des Métamorphoses d’Ovide… D’où mon travail actuel sur la métamorphose, sur les choses qui se transforment.
J. R. : Pourquoi ce besoin de se raccrocher à la mythologie ? Il y a bien d’autres thèmes qui auraient pu parler de métamorphoses!
D. B. : Parce que c’est une histoire qui est permanente. Quand on lit "Les Métamorphoses", il y a tout ce qui compose l’humanité ; tout ce qui fait que l’humanité existe : il y a la naissance, la mort, les amours… Tout cela relié à des choses qui viennent du fond de la mémoire ; et qui sont toujours aussi actuelles. En même temps, il y a cette métamorphose qui est en chacun de nous ; qui met en évidence le côté bestial…
J. R. : Il me semble qu’il y a toujours, dans vos œuvres, une disproportion entre la vache et l’homme. Où la tête de la vache est tellement énorme par rapport au personnage. Est-ce vos peurs ataviques que vous avez essayé de traduire ?
D. B. : Depuis le début, j’ai travaillé sur des personnages juchés sur des architectures, sur des structures. Il y avait donc une certaine disproportion entre le personnage et cette structure, une échelle telle que ce petit personnage donnait une autre dimension à l’œuvre. J’ai conservé ce rapport avec les animaux, parce que cette disproportion permet de partir dans l’imaginaire. Et puis, la bête qui est tellement plus grande, donne un sentiment de violence, génère des fantasmes.
J. R. : Vous parlez d’Ovide. Dans cette mythologie, avez-vous choisi uniquement l’idée du minotaure, ou avez-vous également choisi d’autres thèmes ?
D. B. : Il y a le mythe de Daphné qui m’intéresse aussi, cette jeune fille touchée par Jupiter et qui se transforme en buisson. Une sorte de vision liée à la nature, puisque je vis à la campagne, et j’ai autour de chez moi la présence constante de cette nature et de cette espèce de force impressionnante liée à la vache ! On retrouve d’ailleurs le taureau dans Les Métamorphoses, dans des aventures autres que celle du Minotaure. Il y a Europe, etc.
J. R. : Qu’est-ce qu’un farfalla ?
D. B. : Ce mot signifie « papillon » en italien. J’ai travaillé à une époque sur les anges (d’où un lien avec les ailes), puis sur les femmes/oiseaux…
J. R. : Justement, cette femme/oiseau est la seule à être sexuée. Elle a des seins très remarquables et un sexe. Pour les autres, même quand le minotaure emporte sa victime, on n’a pas le sentiment que celle-ci ait un sexe. Par contre, parfois le taureau est puissamment sexué, comme dans l’œuvre que vous avez intitulée «Homme taureau bicéphale». Pourquoi à certains moments avez-vous besoin d’exprimer l’idée de sexe, et pas à d’autres ?
D. B. : J’aime bien représenter la femme dans tout ce qu’elle est, avec toutes ses rondeurs. Je ne pourrais jamais représenter une femme trop maigre. Pour parler des choses qui « se regardent », j’ai travaillé sur le temps, sur des Janus, parce que c’est le passé et le présent. Pour mes femmes, il en va de même. Elles regardent le temps qui avance. Je parle aussi du voyage dans le temps. Il y a toujours une sorte de va-et-vient vers le passé où l’avenir.
J. R. : Toute cette mythologie nous remmène en effet bien loin dans le passé. A partir de là, c’est par la technique que vous traduisez le passage, l’usure du temps ? Comme si on avait exhumé toutes ces sculptures ; qu’on les ait trouvées dans le sol, et qu’elles aient rouillé, qu’elles se soient corrodées ?
D. B. : Oui. Il y a toujours en arrière-plan, l’idée de fouilles archéologiques, ce qui fait que j’aime particulièrement le raku qui donne une patine aux œuvres et traduit bien cette notion du temps ; Souvent même, je creuse une fosse pour y poser mes sculptures au moment où je les sors incandescentes du four, et c’est là que je les enfume. Je les sors des cendres, d’où cette notion qu’elles sont arrachées au temps.
J. R. : Est-ce la raison pour laquelle presque toutes vos sculptures sont travaillées de telle sorte que la terre ait l’air d’être du métal ?
D. B. : Il y en a quelques petites en bronze. Pour les autres, elles ressemblent en effet à du métal, mais c’est tout de même et avant tout un travail céramique.
Je voudrais ajouter que pour les grandes sculptures, je travaille toujours sur des structures, car j’aime bien que l’on sente qu’il y a un vide à l’intérieur, que je crée une enveloppe. En fait, je façonne des bandes de terre souples, comme si je fabriquais une charpente. Puis je les couvre de morceaux de terre que je jette au sol, de façon à faire des lambeaux minces comme des peaux. Après, je couvre le tout avec des engobes d’autres terres, des terres blanches par exemple. Je les fais décanter pour avoir la fine fleur de la terre. J’ajoute des colorants… C’est ainsi que j’obtiens toutes les nuances que vous voyez.
De plus en plus, enfermé tout l’hiver dans mon atelier, je travaille vers une plus grande sobriété, c’est la période où je rêve, où mes fantasmes me permettent de créer ces sculptures. Et puis, quand vient le printemps, j’allume mes feux…
CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.