Jeanine Rivais : Depuis plusieurs années que je connais votre travail, je vois toujours des personnages en déséquilibre. Ils ont toujours un élément de travers : la tête, une oreille, une jambe… Pourquoi n’arrivent-ils pas à trouver un équilibre ? Sont-ils des équilibristes professionnels ? Ou bien y a-t-il quelque chose qui cloche, dans leur mental ?
Consuelo de Mont Marin : Juste une petite phrase : « La vie n’est que mouvement. Quand il s’arrête, c’est qu’on est mort ».
J. R. : La phrase est-elle de vous ? Ou bien est-ce une citation ? Et comment en êtes-vous venue à cette conclusion ?
CDMM. : Je pense réellement que la vie est un mouvement permanent, tant au niveau du corps que de la pensée. Que si notre pensée bouge, la société bouge, l’économie est florissante, l’Europe se crée… C’est une perpétuelle mutation…
J. R. : Mais ceci est votre discours. Ceci n’est pas dans vos sculptures. Le propre de vos œuvres, justement, c’est d’être absolument intemporelles, sans aucune connotation sociale, les vêtements étant hors de tous temps, de toute géographie.
Je pose ma question autrement : Puisqu’il n’y a ni le temps, ni la société, ni la géographie dans vos œuvres, comment en êtes-vous venue à ces personnages hors de tout contexte ?
CDMM. : Ce que je peux répondre, par rapport à moi-même, pour me resituer dans cette histoire qui, forcément, me relie aux sculptures dans leur mouvement, dans leur état de chute, de présence, j’allais dire d’éternité, c’est que j’ai depuis toujours un besoin de mouvement. Je prends des cours de chant, et le professeur me dit : « Tu as fait des progrès, tu bouges moins qu’avant ! ». J’ai toujours eu besoin de bouger, de m’échapper pour toutes sortes de raisons. J’aime le mouvement, et cette réflexion sur la verticalité. Il y a souvent dans mes sculptures une sorte de structure, avec un corps qui pourrait être déjanté, parce qu’il y aussi la raison ou la folie. Où est la limite de l’un et de l’autre ? Je pense qu’il n’y en a pas. Il y a, dans notre société, des codes que l’on ne donne pas à l’individu, alors qu’ils le rendraient libre de son existence. Moi, j’ai besoin de cette liberté, besoin de comprendre, que l’on m’explique les choses. Ai-je répondu à votre question ?
J. R. : Oui. Mais il y a tout de même un autre problème : leurs vêtements sont atemporels, mais ils existent. Or, dans cette série que vous avez voulue masculine, les sexes sont très évidents. Ce vêtement « est »-il donc l’anatomie de vos personnages ? Sinon, pourquoi ce besoin de les vêtir et d’exhiber leurs sexes ?
CDMM. : Chez les Chinois, on dit que le sexe « est la porte de la vie ». Ce qui veut tout dire ! La sexualité est la création du monde, l’aspect vital de l’individu. Je ne l’explique pas vraiment. L’envie de procéder de cette manière me vient spontanément.
Quant aux personnages avec des chaises, c’était une série volontaire de culbutes. Des personnages qui chahutent jusqu’à ce que la structure se démonte et se mette en pièces.
J. R. : Par ailleurs, les corps de vos personnages sont disproportionnés… Ils ont tous des mains énormes par rapport à leurs corps. Quels que soient leur anatomie, leur forme ou leurs déséquilibres, les mains sont toujours énormes.
CDMM. : Les mains symbolisent l’action, les pieds la sensibilité. J’ai passé ma vie dans l’action, même si maintenant je me calme un peu. Disproportionnés ! Je dirai que c’est un jugement de valeur ! Disproportionnés par rapport à quoi ?
J. R. : Par rapport aux canons humains. Incontestablement, vos personnages sont des humains, et leur anatomie est… disons bouleversée !
CDMM. : Cette question me plaît bien. Parce qu’en fait, c’est une préoccupation majeure que j’ai depuis toujours sur l’esthétisme. Etre joli, séduire… En même temps, je mène une lutte permanente entre l’esthétique de la femme séduisante mais vide… Il y a chez moi une intention de penser que la femme ne soit pas qu’un sujet ; qu’elle soit vraiment une femme active. Je pense qu’elle a un rôle majeur à jouer, mais qu’on le lui présente comme mineur !
J. R. : Oui, mais avec cette série, nous sommes dans un monde masculin.
CDMM. : Oui, en effet. On m’a reproché il y a quelques années, de ne faire que des femmes. Et là, je n’ai même pas réfléchi à la situation « nouvelle » : elle est sortie entre mes mains. Et « voici que la femme créa l’homme ! ».
J’aime bien cette phrase ! Puisque, en effet, c’est bien la femme/mère qui crée l’individu, masculin ou féminin.
J. R. : Je voudrais aussi évoquer le fait que d’habitude, vous utilisez des socles commerciaux très anonymes. Or, cette fois-ci, vous avez éprouvé le besoin d’ajouter beaucoup d’éléments en bois. Des bois qui ont une usure. Quel est le rapport entre ces bois et ces personnages ? Ou bien avez-vous procédé ainsi pour vous rattacher à l’Art-Récup’ ?
CDMM. : De temps en temps je pars dans la montagne, parce que la nature est ma ressource première. Cette récupération fait partie de mes balades au bord de la mer ou en montagne. Depuis toujours, j’ai adoré regarder par terre. J’ai des centaines de photos de matières…
J. R. : On pourrait donc dire que ces bois ajoutés récemment « sont » des itinéraires ?
CDMM. : Oui. Des rencontres sur des itinéraires. Et ils deviennent partie intégrante de l’œuvre et deviennent un cheminement qui est ma vie. C’est un peu difficile à mettre en mot, mais ce rapport est d’autant plus vrai que j’ai de plus en plus conscience d’aimer la nature. Elle est tellement nécessaire dans ma vie que si je ne marche pas périodiquement dans la nature, je ne vais pas bien du tout !
CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.