Jeanine Rivais : Vous êtes inscrit sous ce que je crois être un pseudonyme : « Rem ». Est-ce votre véritable nom, et dans le cas contraire, peut-on le connaître ?
Rem : Non. Je ne veux pas le divulguer.
J.R. : Quand on se fait appeler seulement par un prénom, ou un pseudonyme, surtout aussi court, quelle peut être la raison qui vous fait supprimer son nom de famille ? N’y a-t-il pas là un problème d’identité ?
R : Il y a plusieurs problèmes à la fois, en fait. J’avais trouvé « Rem Aya ». Je trouvais que c’était joli, que cela se dessinait bien. Il y a aussi le fait que j’ai un nom de famille un peu bizarre…
J. R. : Il me semble que votre travail tourne exclusivement autour du thème des dieux et des déesses. A l’échelle mondiale, car certains me semblent plus indiens, d’autres plus africains…
R. : Oui. Je regroupe tous les mystères cachés de différentes civilisations. Il y a toujours des conjonctions, sans qu’il ait jamais été prouvé que des contacts aient existé entre certains continents. Pourtant on retrouve des mystères communs…
J. R. : Vous essayez donc de poser le problème du « pourquoi » et du « comment » ces problèmes peuvent se retrouver ?
R. : Tout tient aussi à l’interprétation que l’on fait de tout ce qu’on trouve dans les livres… Certaines choses sont cachées, et il est impossible de les exprimer avec des mots. Cela peut aller du fétiche africain qui peut sembler malsain, jusqu’aux Pyramides égyptiennes. Et puis, il y a l’aspect religieux qui ajoute l’idée de Bien et de Mal. Donc, quand on se trouve en dehors de cette idée de Bien et de Mal, il se passe autre chose.
J. R. : Si votre travail est manichéen, comment traduisez-vous le Bien et le Mal ?
R. : Il faudrait pour l’expliquer entrer dans des discussions trop profondes ; parce que c’est là qu’on atteint un troisième point qui, justement, est en dehors des mots… C’est donc l’art qui permet d’en parler.
J. R. : Ce qui me semble évident a priori, dans votre travail, c’est le côté « solide » de chaque sculpture. Peut-être est-ce le fait que chacune soit l’image d’un dieu ou d’une déesse qui lui permet d’imposer ainsi sa présence ? En somme cela tiendrait à tout ce qui est en moi, concernant ce thème et que j’apprécierais en fonction de ma subjectivité et de ma culture.
R. : On reste en effet bloqué sur l’idée que ce sont des dieux et des déesses. Mais qu’est-ce qui est caché derrière tout cela ? On veut nous faire croire que c’est l’image de quelque chose de solide…
J. R. : Oui, mais chacun a, mentalement, une image populaire et personnelle. Et, en voyant ces sculptures, elle affleure immédiatement.
R. : Chacun a une tendance à individualiser, personnaliser quelque chose qui est au-delà des mots, donc qui n’est pas personnalisable. Chacun est confronté aux certitudes de gens qui adorent un dieu ou une déesse et qui considèrent de haut les primitifs qui en avaient plusieurs. Sans avoir compris que derrière tout cela, ce n’était pas un dieu, mais un symbole, quelque chose qui s’embellissait des forces…
J. R. : C’était au moins quelque chose à quoi se rattacher. Car c’est la peur qui a fait naître les dieux. La peur de tout ce que ne connaissaient pas les hommes.
R. : C’est un peu l’inverse, justement, que je veux exprimer. J’ai écrit un petit texte à ce sujet :
« Derrière le masque, derrière le ciment de l’Histoire, des yeux nous parlent du monde :
Tout est parfait, justifié, vrai.
N’empêche le parfum.
N’empêche l’admiration.
N’empêche le mystère. »
J. R. : Vous sculptez depuis environ deux ans, au cours desquels vous avez trouvé un style. Comment en êtes-vous venu à cette création ?
R. : En fait, on résume ce parcours. Mais c’est encore se mélanger dans les mots. Ce n’est encore qu’un mot, interprétable à volonté. On retrouve ce mot dans les différentes civilisations : c’est le mot « chaman ». Qu’est-ce qu’un chaman ?
J. R. : Je n’ai pas de réponse à cette question.
Nous avons parlé de la lourdeur, de la certitude de chaque sculpture, et nous avions abordé la sophistication du travail. Ce côté sophistiqué est-il seulement esthétique ? Ou bien essaie-t-il de traduire la dualité de ces « dieux » ou de ces « déesses » ?
R. : Tout cela est bien compliqué. Mais je ne suis pas le chaman, je suis l’artiste. Donc, je rajoute la partie artistique dont le chaman n’a peut-être pas besoin. Ma préférence va aux fétiches africains qui n’ont rien de particulièrement attirant, car leur but est ailleurs. Peut-être cet ajout du côté attrayant est-il une sorte d’hommage, un geste de remerciement…
J. R. : Comment en êtes-vous venu à cette ligne de réflexion ? Comment est né en vous le problème de traduire ce chamanisme ?
R. : Il y a par exemple quatre totems qui symbolisent des portes. J’étais à un moment donné en face de ces portes…
J. R. : Et vous essayiez de les ouvrir ?
R. : Oui. J’ai un fonctionnement de recherche, de compréhension qui passe d’une idée à l’autre. Comme tout est lié, parvenu à un certain stade de compréhension, je choisis une certaine voie. Mais arrivé à un certain endroit, je reviens en arrière pour avoir un nouveau point de référence qui, ensuite, me permet de comprendre les choses autrement. Par exemple, la religion catholique, etc.
J. R. : Y a-t-il un problème que vous auriez souhaité aborder et dont nous n’avons pas parlé ?
R. : J’aimerais parler des problèmes de patines…
J. R. : Ce sont donc des problèmes techniques ? Vous semblez particulièrement tracassé par l’idée que le spectateur puisse ne pas se rendre compte du travail effectué sur vos sculptures ? Pourquoi ? C’est en fait la troisième fois que vous abordez ce problème.
R. : Parce qu’on peut avoir l’illusion qu’elles sont sombres et un peu grises. Alors qu’il n’en est rien.
J. R. : Mais est-ce vraiment essentiel de distinguer chaque élément de l’apparence ? Chacun va s’arrêter devant vos œuvres le temps qu’il va vouloir. Libre à lui de regarder en détail ou de repartir avec une impression générale.
R. : Justement, j’ai beaucoup travaillé les détails. Et j’ai peur que ce travail ne se perde, que les gens n’en perçoivent pas la qualité.
Pour résumer, je pense que nous sommes aujourd’hui, dans notre civilisation, placés face à la nécessité de nous ouvrir à d’autres choses, sinon nous allons au crash. Et j’ai envie de donner un aperçu de ces ailleurs, donner aux gens, même s’ils sont peu nombreux à le capter, la certitude qu’il existe autre chose.
J. R. : Peut-on dire alors qu’il s’agit d’un travail militant ?
R. : Par force, oui.
J. R. : Et c’est parce que tout cela bouillonne en vous, que vous ne parlez presque pas ?
R. : C’est que, parvenu à un certain stade, j’ai la volonté de passer le message à d’autres. La nécessité de me brancher sur des valeurs spirituelles. Jusqu’à me rendre compte que sous leurs différences, toutes les religions parlent en fait de la même chose.
J. R. : Je suis bien contente que vous ayez accepté de parler un peu de votre travail. Votre attitude, pour moi, se situait jusque-là, presque au niveau de l’autisme.
R. : Oui, un peu.
J. R. : Et comme nombre de créateurs, ce que vous ne pouvez pas exprimer par des mots, vous êtes en train de l’exprimer par vos œuvres. Je crois que c’est la raison pour laquelle vous tenez tellement à ce que l’on remarque tout ce travail délicat que vous avez posé dessus ?
R. : Oui. Il y a l’importance du temps passé sur la sculpture qui me fait dire que plus on y met de son temps, plus on y met de son énergie. Quelque chose de soi, que l’on met dedans, qui est important.
CET ENTRETIEN A ETE REALISE A SAINT-GALMIER EN 2005, LORS DU FESTIVAL DES CERAMIQUES INSOLITES.