L'ETRANGE LAPINODROME DE MAZURIE
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Depuis la nuit des temps, l’homme a tenté de reproduire les animaux qui s’éveillaient en lui dès que sa raison sommeillait et qui hantaient ses rêves les plus fous. Et, au fil des âges, dans toutes les formes d’art, les créatures fabuleuses ont été une puissante source d’inspiration. C’est pourquoi le spectateur se serait attendu, en venant visiter le bestiaire de Mazurié, à rencontrer licornes, dragons, loups-garous et autres vouivres ou salamandres… Auxquels elle aurait pu, selon sa subjectivité, prêter tour à tour des caractères rassurants ou amusants, leur imputer inquiétude ou malheur …
Mais non, ces êtres fantasmagoriques n’appartiennent pas à l’univers de l’artiste. Il ne s’agit pas non plus d’animaux domestiques tels ceux qui, dans la Rome antique, étaient des commensaux à égalité avec la famille, et se retrouvaient parfumés et couverts de bijoux. Ni de ceux qui font l’objet de cette espèce d’attachement parfois idolâtre qu’adoptent nombre de contemporains à l’égard de leurs compagnons.
Rien de tout cela : Des lapins ! Des lapins à perte de vue ! Un bestiaire commun, donc, presque quotidien, pacifique. Un étrange lapinodrome constitué d’animaux bien connus des humains, leurs
sources de vie, parfois. Placés côte à côte, en un amusant salmigondis où, s’ils sont immédiatement reconnaissables, ils n’en sont pas moins étranges. Car tout en étant assurément lagomorphes,
ils sont presque tous humanoïdes ! Deux oreilles cassées pleurant à chaudes larmes ; une seule, remplacée par un chapeau haut-de-forme ; l'animal/individu très sagement assis à table, broutant
une fleur, vêtu d'une veste cossue couleur… carotte, etc. ! Le côté itératif des dissemblances avec LE laporidé/modèle, la récurrence des étrangetés, des altérations de la réalité génèrent
l’étonnement ; plongent le visiteur dans la perplexité ; éveillent son sens de l’humour, l’entraînent dans un schéma ludique et fantasque, humoristique aussi, auquel il ne s’attendait pas !
Ainsi, la démarche zoomorphique de Mazurié faite de glanes diverses qui font d'elle une créatrice d'Art-Récup', a-t-elle généré une sorte d’ethnographie personnelle insolite ! S’il est vrai, comme le pensent les philosophes, que chaque individu possède en lui son propre bestiaire avec son animal de prédilection, voilà l’artiste, perdue dans la multitude de ses créations laporidées! Et s’il est vrai, également, que toute oeuvre a une valeur identitaire, alors, rions avec elle qui, dans son inconscient, croque ici une carotte, batifole dans l'herbe de la garenne couverte de rosée…
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN JUILLET 2015, APRES LE FESTIVAL DE MONTPELLIER, "SINGULIEREMENT VOTRE".