RECUPERATION ART-PASSION POUR JAKELINE VAN ACKER
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Depuis la plus lointaine nuit des temps, les hommes ont exploité les ressources qu'ils pouvaient récupérer dans l'orbe de leur espace de vie ! Selon ces ressources, leur créativité et subséquemment les traces qu'ils ont laissées ont été "différentes" : De l'Homme paléolithique pétrissant la glaise ; aux Chinois niellant le jade ; aux Romains sculptant les marbres les plus fins, ou aux Africains évoquant leurs dieux par le truchement des bois les plus raffinés… tous ont ramassé, cueilli, creusé, prélevé des matériaux pour embellir leur existence. Jusqu'à notre époque où ils ont été confrontés à une profusion de produits, une surconsommation d'objets trop brièvement aimés, trop vite repoussés, abandonnés parce que jugés désuets.
C'est alors que quelques individus sont entrés en scène et ont commencé à s'approprier ces matériaux que d'autres avaient rejetés ! Non pour le plaisir d’entasser, posséder ces objets hétéroclites, mais pour celui de les toucher, les rapprocher dans des promiscuités ou des accordailles inattendues ; rattacher peut-être à chacun des souvenirs plus ou moins lointains ; créer en fonction de la définition qu’ils ont conservée ou au contraire déjà perdue, de nouveaux objets complètement différents de leur sens originel. Construire, donc, en les mêlant sans heurtement, et à mesure des adjonctions, des œuvres prenant sens et humanité. Ainsi ont-ils donné vie à ce qui est devenu familièrement l'"Art-Récup'" !
Bien sûr, dès l'origine, des préférences sont apparues, les uns créant des machines, d'autres des animaux, d'autres encore des êtres humanoïdes... Comme la plupart d'entre eux, Jakeline Van Acker
a conquis une maîtrise des matériaux disparates qu'elle utilise, une façon bien à elle de les "rapprocher" ; donnant paradoxalement après un travail laborieux, le sentiment d'une création
spontanée. Laquelle est devenue passion irrépressible, un peu onirique, un peu rétro, toujours harmonieuse et chaleureuse, originale et personnalisée !
Par ailleurs, quelles que soient les variantes, il est dans ses œuvres, une récurrence qui corrobore cette originalité et la place en marge des récupérateurs d'objets utilitaires issus pour la
plupart d'un monde industriel aujourd'hui obsolète. Car ses compositions suggèrent que cette artiste a sans doute vécu –voire vit encore- à la campagne, vu la nature des matériaux utilisés dont
le point commun est qu'elle les a dénichés forcément en milieu rural : Des épluchures à perte de vue ; des os de poulets (ce qui laisse penser que la famille collabore à cette récupération en
dégustant très –trop ?- souvent ce volatile !) Et puis, suggérant quelque mercerie villageoise antédiluvienne, des kilomètres de fils, de boutons, d'épingles à nourrices… Enfin, sans doute
quelque chai accueillant, vu les quantités de bouchons qui se présentent aux yeux du visiteur ! Et pourquoi pas des promenades en forêt, lui prodiguant des branchages sur lesquels elle installe
ses créations ?
Et cette vie récupérée au gré de son inspiration, l’artiste la range sagement dans des casiers, comme des classeurs qu’elle assortirait par couleurs, par allure générale, par connotations
spécifiques. Il y eut avant elle Simone Le carré-Galimard qui avait rempli de ses trouvailles les plus inattendues, tous les tiroirs des quatre étages de sa maison. Il y eut aussi Raymond Dreux
dont le monde de l'Art hors-les-normes admire encore les créations faites d'épluchures séchées…
Et Jakeline Van Acker, que fait-elle des siennes ? A vrai dire, il semble que son parti-pris soit de n'en pas avoir ! De ne se cantonner à aucune catégorie
d'œuvres, de sorte que le visiteur va tour à tour en contempler de très différentes, mais ne présentant néanmoins aucun hiatus lorsqu'elle les dispose côte à côte : Ainsi, son moine vêtu d'un
capuchon fait de bouchons, les grains de son immense rosaire de bois évidé et ses mains de cordages tressés, n'est-il pas à l'aise près de son oiseau aux pieds bottés, aux ailes d'os, à la queue
/grattoir et au bec/roulette ? Ou son petit personnage/tortue ligaturé sur une longue branche blanchie par le temps, au-dessus duquel stagne un nuage constitué d'une quantité de châtaignes ne se
sent-il pas proche de celui dont l'anatomie comporte une énorme tête au-dessus de jambes trop grêles ?… On pourrait à l'infini énumérer son camion de boutons nacrés, son château-fort
d'allumettes, sa maison ambulante constituée de milliers d'épingles de sûreté, etc.
Dans ce parcours, une évidence apparaît. Avec ses tout petits moyens, l'artiste cherche toujours à surprendre ; "aller ailleurs", et pas simplement raconter la réalité. Procédant au fil de ses fantasmagories, ou en fonction du temps qui passe… elle s'est créé un monde où "le rêve est la forme sous laquelle toute créature vivante possède le droit au génie, à ses imaginations bizarres, à ses magnifiques extravagances" (¹) ; et ce qu'elle crée est beau, surprenant et fascinant, fallacieux et bien réel !
Jeanine RIVAIS
(¹) Jean Cocteau
CE TEXTE A ETE ECRIT EN NOVEMBRE 2015, A LA SUITE DE LA VIe BIENNALE HORS-LES-NORMES DE LYON.