Dans les années 80, où l'Art officiel dit contemporain devenait froid et intellectuel, quiconque cherchait dans la création le cœur et les tripes de l'artiste et s'intéressait aux arts marginaux, connaissait "forcément" l'Oeil-de-Bœuf, la galerie de Cérès Franco, sise rue Quincampoix à Paris. Cérès Franco s’entourait d’œuvres figuratives créées par des artistes alors à leurs balbutiements. Qu’elle fut, subséquemment, seule à défendre pendant de longues années : Peintures de la Nouvelle Figuration, comme celles de Grinberg. Elaborées par des gens eux-mêmes à l’origine de mouvements contestataires, comme Lucebert ou Corneille, du Groupe Cobra. Violentes et proches de l’Expressionnisme, comme celles de Rustin. Tragiques du mal-être existentiel de leurs auteurs, comme celles de Macréau et Nitkowski. Et puis, d’autres nées de créateurs autodidactes, spontanés, comme Jaber, Chaïbia, Eli Heil… restituant de façon très émotionnelle sur la toile, leurs fantasmes les plus intimes. Des Primitifs découverts dans des îles lointaines. Et, exemples par excellence de l’Art populaire, des ex-voto, figurines très colorées, ou au contraire d’une remarquable sobriété…
Les années ont passé. La galerie a fermé. Cérès Franco se retrouva détentrice de milliers d'œuvres collectées (¹), entreposées à Lagrasse, dans l'Aude. Pour lesquelles, il fallait absolument trouver un lieu définitif. Après plusieurs années de recherches, de donations acceptées puis rendues au gré des élections, Dominique Polad Hardouin, la fille de Cérès, leur trouva un lieu idéal, à Montolieu dans l'Aude, dans une ancienne coopérative aménagée : "La Coopérative-musée Cérès Franco" était née. Hélas, Dominique nous a quittés en 2020. Les petits-enfants encore en âge de travailler ne pouvaient assumer des relations quotidiennes avec leur grand-mère elle-même fatiguée. Cérès abordait alors ses quatre-vingt-quinze ans. La voilà pensionnaire de la résidence Edenis de la Pastellière à Toulouse.
Croire que Cérès allait désormais se contenter d'une vie végétative aurait été bien naïf. Découvrant dans une revue des œuvres du peintre Serge-David Angeloff dont quelques-unes illustraient déjà sa Collection, elle convainquit les autorités de l'Ehpad d'organiser une exposition dans leurs murs. Apparemment, l'idée fut largement adoptée, parce qu'une belle salle devint lieu d'exposition, claire, conviviale, les œuvres bien mises en valeur, le public autorisé à venir en visite.
Jeanine RIVAIS
(¹) VOIR AUSSI : CERES FRANCO : TEXTES de ET ENTRETIENS avec Jeanine Rivais : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique : Retour sur un quart de siècle d'écriture :
"L'Itinéraire exemplaire de Cérès Franco, galeriste" // Cérès Franco : les 70 ans d'une dame à l'itinéraire artistique exemplaire" 1996 // " Propos à bâtons rompus, entre Cérès Franco et Jeanine Rivais" // "Cérès Franco : Art contemporain : dialogue autour d'une vocation" // "Carte blanche à Cérès Franco à la Grande maison de Bures-sur-Yvette" // "La Collection Cérès Franco à Miramas" // Cérès Franco : dix ans à Lagrasse et ex-voto" // "Cérès Franco : Inauguration des nouveaux locaux du Musée de Cérès Franco à Lagrasse (Aude) et Art naïf" // "Cérès Franco brève biographie" // "Cérès Franco : Désirs bruts aux Ulis ".
(²) Résumé de la Coopérative-Musée Cérès Franco.
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DERNIERE MINUTE
Mon amie Cérès Franco, née en 1926 au Brésil, nous a quittés mardi 16 novembre à 95 ans, à l'Ehpad Edenis de la Pastellière, à Toulouse. Toute sa vie, elle a été une découvreuse de talents, une femme de convictions, à la personnalité et aux engagements profonds et sincères. Elle est morte heureuse, assurément, sachant que les plus de mille-sept-cents œuvres de sa collection étaient désormais à l'abri dans son musée de Montolieu. Qu'elle repose en paix, aux côtés de ses deux enfants qu'elle a tant pleurés. J.R.