Ci-gît J. Gaudry
mis à vie le jour des morts
mis à mort toute sa vie
sans ami mais sans remords
s’est remis de sa mort*
BRILLIEZ POUR LUIRE”
Voilà une bien noire épitaphe pour quelqu’un qui pratiqua toute sa vie à forte dose l’humour de la même couleur !
Les lettres que Jean Gaudry adressa entre 1955 et sa mort à Tristan Maya , en sont une véritable anthologie et un creuset de tous les procédés littéraires --ajoutés au rire jaune !-- qui le font naître : Pris séparément, ils donnent d’abord au lecteur le sentiment de découvrir les exercices de style d’un écrivain à l’esprit potache voire un peu infantile ! Mais lorsqu’il les retrouve appliqués à tout (amitié, amour, mort, tabous... bon mot pour le bon mot...), il finit par se laisser gagner ; rire parfois de bon coeur ; d’autres fois pas du tout ; laisser même échapper un “oh !” un peu choqué devant trop d’irrévérence ! Ainsi croise-t-il jeux de mots dignes de l’Almanach Vermot (Je vous la pince, as, sucre... ; Léans, ville sans or ; il fait extrême manchot...) ; mots-valises (imprimatueries...); contrepèteries (paîtes four le mieux... et surtout Jean Dos gris), dont Jean Gaudry signa plusieurs de ses missives en particulier la dernière, quelques heures avant sa mort ! ) ; dérision (J’avais envie de prendre (ce livre), mais il valait cent balles, et comme je suis anti-militariste...).Lui qui définissait l’humour noir comme un “enfant qui naîtrait d’un Père blanc avec la Mer Moire” ; qui, à la fin de sa vie évoquait “son crabe” que les serpents ne voulaient pas dévorer ; n’hésitait pas à se réjouir ouvertement de la mort de quelqu’un qu’il détestait franchement et lui concocter une épitaphe aussi dure que la sienne : "Breton est enfin mort : Un CADAVRE ! André le chiaceux sachant saucer" ! Tant d’irrespect... emporte toujours le rire, fût-il un peu nerveux !
Tout de même, ces lettres réparties sur plus de trente-cinq ans, sont des gages d’amitié solide (pour Noël Arnaud, les Jakovski, les Maya, etc.) Elles témoignent aussi d’un grand respect à l’égard du Prix de l’Humour noir dont la notoriété est loin d’atteindre celle de nombreux prix littéraires ! Il le brigua, pourtant, avec insistance, pour lui et pour ceux qu’il estimait le mériter (Jean Yanne alors quasi-inconnu, qui fut lauréat ; Simone, “une peintresse belge dont l’oeuvre choqua Tristan Maya qui lui trouvait trop d’Eros”, et qui ne l’obtint pas ; pas plus que Farid Chopel qui était un ami...)
Puisqu’il assista chaque année à l’attribution de ces prix de l’Humour noir, “sa tête” n’est pas “inconnue” à quiconque s’y rend également depuis des décennies ! Mais face à tant de verve, on se demande comment il est possible de n’avoir jamais bavardé avec Jean Gaudry ? A croire qu’il réservait sa vitalité pour ses manifestations littéraires et épistolaires !
Quoi qu’il en soit, il est bien que ce recueil de lettres ravive la mémoire d’un homme, d’un peintre et d’un poète si talentueux ! Que chacun donc, le salue, en serrant sa “main amie” “dans les taux”
... Comme il se doit !
Jeanine RIVAIS
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1998 A L'OCCASION DE LA PUBLICATION DE L'OUVRAGE : "LETTRES A TRISTAN MAYA".
JEAN GAUDRY : “Lettres à Tristan Maya”. Editions Jean Grassin-Paris-Carnac. Diffusion B.P. 75. 56342. CARNAC CEDEX.
TRISTAN MAYA : Ecrivain. Fondateur des Grands Prix de l’Humour noir.
* Photo Jean-François Veillard : Jean Gaudry avec la grande Lulu qui se promenait toujours avec son boa. Notez la photo d'Hitchcock en arrière-plan et l'assassin brandissant son couteau !!