NECROLOGIE
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Bon vent, Pierre Merlier ! Bon voyage vers les étoiles !
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LA FORET HUMAINE DE PIERRE MERLIER, sculpteur.
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Lorsque Shakespeare mettait en marche la forêt de Birnam, il n'aurait pu rêver plus fidèle émule que Pierre Merlier qui, depuis bien des années, peuple son environnement de ses personnages de bois !
Et c'est bien de forêt qu'il s'agit, peuplée d'individus couchés par endroits comme des arbres foudroyés ; tanguant dangereusement au-dessus d'un moutonnement de créatures côte-à-côte, enchevêtrées, enlacées, attendant nul ne sait quoi, ou positionnées dans des attroupements anonymes, des couplages désabusés ou au contraire violents. A peine retouchées, parfois, issues de formes sylvestres préexistantes ; tronçonnées le plus souvent, puis façonnées à la gouge, en un patient travail de lissage ou de burinage, jusqu'à devenir forcément humanoïdes ; qui plus est, jusqu'à exprimer toutes les passions humaines : des émanations des sept péchés capitaux, en somme ! Tellement symbiotes qu'elles semblent indissociables ! Et lorsque l'artiste en prélève quelques-unes pour les exposer hors de leur milieu naturel, elles ont l'air perdues comme des moutons séparés du troupeau ; privées de la puissance évocatrice qui frappe le visiteur se frayant un passage dans leur microcosme grouillant !
Ainsi, Pierre Merlier est-il devenu un véritable orfèvre du bois ; sachant le caresser, en explorer les blessures naturelles, le modeler jusqu'à y évoquer les brillances et les ombres d'un décolleté, les mamelons d'une cuisse cellulitique, y générer une pilosité factice, faire saillir ou ployer une épaule, accentuer exagérément la chute d'une paire de fesses... Détruire toujours, enlaidir ; aller jusqu'au bout de la laideur, à coups de nez énormes, de commissures de lèvres affaissées, de seins flasques, de moues et de rictus exacerbés ! Augmenter encore cette disgrâce physique en peignant à même le bois, des vêtements informes, des chapeaux disgracieux et ringards, des chaussures éculées. Et puis des lèvres rouge-sang, d'énormes lunettes opaques ou des yeux vides et mornes, tantôt quasi-clos, tantôt noirs et immenses ; déformés en tout cas, surtout dans les sculptures polymorphes dont les poitrines et les ventres génèrent des têtes ou des visages, jusqu'à être constituées de plusieurs "étages" ; et encore plus les yeux des œuvres quadrifaces où le visiteur qui les contourne a l'impression d'être suivi par une multitude de regards torves...
Car la définition première de l'oeuvre de Pierre Merlier est la satire, la dénonciation d'une société moutonnière et veule ; sans imagination et sans panache ! Satire pouvant aller de la simple moquerie lorsqu'il peint une très emblématique écharpe tricolore autour de la silhouette ventripotente d'un "maire" ; à la plus noire dérision lorsqu'il sculpte en cul-de-jatte Otto Dix qui dénonça si farouchement la guerre !
Et puis, antithèse des danseurs immobiles et des penseurs aux pieds plombés, l'autre pôle de cette création est l'érotisme ; nombre de personnages exhibant leur sexe, se caressant dans les postures les plus scabreuses, copulant avec la brutalité d'animaux sauvages, dans une obscénité naturelle qui laisse pantois le moins prude des spectateurs !
D'une rare violence, et d'une totale originalité, l'oeuvre de Pierre Merlier est résolument hors-les-normes ; d'un réalisme cru illustrant des fantasmes sans douceur ; cruelle par ses détails impitoyables et ses descriptions circonstanciées d'une réalité sordide... Fascinante en même temps, du fait de l'accumulation de tant de noirceur psychologique. Un travail où l'artiste donne le meilleur et le pire de lui-même, à l'écart de toutes les modes, intemporel malgré sa connotation archaïque...
Qui a dit que les bois étaient peuplés de gentils sylvains à l'humeur folâtre. Morbide et dérisoire, moutonnant à l'infini, la forêt humaine de Pierre Merlier suggère plutôt un sabbat de sorcières !...
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT EN 1997.
VOIR AUSSI "RETOUR SUR LE PRINTEMPS DES SINGULIERS 2003".