Dans son musée. Luis Marcel a décidé de permettre à certains artistes de créer des ESPACES. Le jour de l’ouverture, trois d’entre eux étaient installés : ceux de Jacques Braunstein, Jean-Pierre Chauvaud, Josette Rispal.
Dans des conceptions très différentes, chacun a confié à L'Art en Marche un ensemble important de ses œuvres, organisées de façon significative.
RENE MÜNCH, peintre et dessinateur
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Jeanine Rivais : René Münch, les titres de vos œuvres sont écrits en allemand, Die Toteninsel, Bacon’s Grah... Et votre nom est homonyme d’un artiste célèbre ! Quelle est votre relation à l’Allemagne, puisque vous parlez sans aucun accent ; et au peintre expressionniste Edvard Münch ?
René Münch : Aucune en ce qui concerne la deuxième partie de votre question. Par contre, je suis d’origine rhénane ; et j’ai découvert en progressant dans mon travail, que j’avais des liens très forts avec cette école. En réfléchissant plus longuement, je me suis souvenu que j’avais fait quatre ans d’école allemande sous l’Occupation, pendant l’annexion de cette région. Et j’ai retrouvé la mémoire de livres de lecture, de livres de religion avec des gravures de Durer. Je pense que cela m’a profondément influencé.
J. R. : Lorsque vous parlez de “cette école”, que voulez-vous dire ?
R. M. : Je parle de l’Ecole Rhénane de la fin du Moyen-âge, dont Schoengauer est le représentant, jusqu’à Dürer et Grünewaldt, en passant par Ratgeb. Je suis l’héritier aussi d’une certaine lumière spécifique à l’Alsace et aux pays nordiques.
J.R. : Et, comment rattachez-vous votre travail très structuré, très géométrique, avec de magnifiques clairs-obscurs, à une école du Moyen-âge ?
R. M. : Elle ne s’y rattache pas directement, mais il y a une influence dans les contrastes très forts du noir et du blanc, et dans ceux de mes peintures qui proposent des verts très vifs, des bleus forts... J’aime les contrastes forts, les valeurs qui s’opposent.
J. R. : Vous n’avez, dans ce musée, que deux dessins en noir et blanc ; que l’on pourrait appeler des "Paysages intérieurs", absolument vides de vie à tel point que l'on s'imagine suivant un travelling de la caméra dans un film d'angoisse. Vous arrive-t-il d'ajouter des personnages, d’"habiter” vos mondes ?
R. M. : Actuellement, les personnages arrivent, mais dans cette série, non ! Je ne saurai pas vous dire pourquoi ? A moins qu’une fois encore, ce soit le poids des souvenirs ? J’ai beaucoup exploré les souterrains de Hartmannswillerkopf (ou Vieil Armand) que je fréquentais enfant : c’est une montagne qui a subi un siège de quatre ans, pendant la guerre 14-18. Elle est devenue un vrai gruyère, parce que les Allemands y avaient creusé des galeries très profondes, avec des dortoirs à cent mètres, au fond de labyrinthes comparables à des couloirs de mines. C'est cette exploration restée très vive dans ma mémoire, avec le silence oppressant qui régnait dans ces lieux, que je restitue dans mes œuvres.
J. R. : Vous êtes donc l’un des “inaugurateurs" du musée de Luis Marcel : comment, selon vous, votre œuvre très réfléchie, très intellectualisée, qui semble par conséquent répondre à tous les canons de la création picturale conventionnelle, appartient-elle à l’Art singulier ?
R. M. : Elle lui est liée du fait qu’elle est une création obsessionnelle. Luis le répète sans cesse. Il l’a dit publiquement lors d’une exposition organisée à Lapalisse, et qui était un peu prémonitoire de ce qui allait se passer dans ce musée. Il disait que ce n’était bien sûr pas de l’Art brut, mais que cela pouvait se rattacher à l’Art singulier parce qu'il y a toujours dans mon travail cette démarche obsessionnelle que l’on retrouve chez tous les artistes présents en ce lieu !
J. R. : Puisque vous êtes positif quant à votre sentiment d'"appartenir” à l’Art en Marche ; et que vous savez à quelles tendances vous ne vous rattachez pas, comment définiriez-vous votre travail par rapport à la singularité de tout ce qui nous entoure ?
R. M. : Peut-être n’est-ce pas évident ! Mais je crois avoir une façon singulière de travailler : je travaille par thèmes successifs. J’envisage mon travail comme une découverte, comme une balade au cours de laquelle je découvre des choses qui mûrissent et un jour explosent. Je procède ainsi par longues séries étalées sur plusieurs années.
A un moment donné, je suis las de ce travail répétitif : il me faut trouver une porte de sortie vers un autre thème. C’est ce qui se passe actuellement où, après une grande exposition à l’Auditorium de Lyon, je me suis remis au travail et j’ai commencé à faire des “portraits”. Ainsi, l’être “humain” est-il enfin entré dans ma peinture !
J. R. : A quelle période de votre création avez-vous connu Luis Marcel ?
R- M. : Je l’ai connu en 1988, à une époque où je faisais des dessins qu’il avait remarqués à une foire d'Art contemporain. Lui-même, à ce moment-là, n’était pas encore entré dans le monde de l’Art singulier ! Il n'exposait pas encore Chichorro. Je crois pouvoir affirmer que je suis l’un des plus anciens de ce lieu !
J. R. : On peut donc conclure que vous êtes un Singulier heureux ?
R. M. : Oui ! Heureux d’avoir participé à la mise sur pied de cette structure !
CET ENTRETIEN A ETE REALISE EN 1998, LE JOUR DE L'INAUGURATION DU MUSEE DE L'ART EN MARCHE DE LUIS MARCEL, A LAPALISSE.
ET PUBLIE DANS LE N° 62 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.