“Touche à tout” de talent, Roger Van Gindertael fut peintre, affichiste et dessinateur, journaliste, critique d’art, écrivain, illustrateur de livres policiers, poète, etc.

Poète, ses textes lyriques et témoignant d’un esprit brûlant de vie et de romantisme, passent tour à tour de l’optimisme à la tristesse, de l’enchantement à la désillusion. 

Illustrateur de romans policiers, il mêle aux intrigues et au suspense, un humour et une fausse naïveté que l’on retrouve à cette époque-là dans les journaux populaires comme Détective ou Le Hérisson, avec des dessins finement tramés et grisés qui font penser aux petits matins sombres où, dans des coins mal famés, tout peut arriver...

Dessinateur, Roger Van Gindertael le devient, poussé par son frère cadet, Emile, alias Jean Milo, lui-même artiste fort original. Une fois qu’il a pris conscience de l’impact offert par ce moyen d’expression, c’est une véritable déferlante de caricatures idéologico-politiques, croquis d’audience, autoportraits et portraits pris sur le vif, tracés d’un trait incisif et alerte, d’une grande expressivité et manifestant une forte dose d’humour acerbe. Plus de cinq cents dessins illustreront son cheminement : tantôt, ils se font géométries attestant que l’artiste connaît les œuvres de Fernand Léger, Braque ou Picasso et que, tout en les “accompagnant” dans la révolution picturale qu’ils sont en train de développer, il est capable de faire œuvre personnelle. Tantôt, ils s’alourdissent dans la moiteur des draps où un couple enlacé prouve que son crayon peut aussi aborder hardiment l’érotisme. Parfois encore, ils s’épaississent en de tristes scènes de guerre : mère affligée, pieds nus dans des décombres, tenant, telle une Piéta, sur son pauvre corps tassé, celui de son enfant mort : L’artiste dénonçant les horreurs de son temps ! 

          Peintre, Roger Van Gindertael applique sans concession cette idée qui lui semble primordiale : “...Le rôle de la peinture est toujours d’exprimer la poésie profonde de tous les spectacles du monde, ressentie (souvent inconsciemment) par un homme ; cette poésie qui, lorsqu’elle a passé du monde au tableau (par quelle mystérieuse alchimie ?), fait de celui-ci une sorte de miracle...”. Prolixe, là aussi, il travaille néanmoins longuement ses toiles, y campe un dessin incontestable à partir duquel la peinture assure les contrastes de forme et de couleur, au service de la “description” de l’objet ou du personnage, placés en avant-plan, et confortant la “solidité” plastique de l’œuvre. Ainsi mis  en scène, comme une caméra serait pointée sur lui, ce premier plan dégage paix et sérénité, intimité et convivialité : ici, une femme nue, hanche généreuse, profil grec et regard rêveur, jambe familièrement repliée sur l’autre cuisse voilée d’un drapé bleuté ; là, des Joueurs de boules, un Port et son univers familier, La fenêtre du marin où sont assis une femme qui observe la rue, et un gros homme qui fume en regardant un petit bateau ; ailleurs, deux hommes, de part et d’autre d’un mur de rondins, scène de village  à la fois lourde et raide comme le pas des Flamands vaquant à leurs occupations. Au centre, une Gloriette verte, inattendue, côtoie une toiture rouge sculptée..., etc.  Des œuvres dans lesquelles rien n’est laissé au hasard ; où chaque élément semble “voulu”, calculé, générant un paysage strict, mais fort et généreux. Au fil des années, cette raideur, sans tout à fait disparaître, ira s’adoucissant, se teintera de tendresse (comme, en 1941, pour ce mousse aux vêtements rapiécés, debout, mélancolique, sur un quai anonyme, les yeux fixés vers quel horizon ? Ou, la même année, ces deux chevaux, dont l’un caracole, tandis que l’autre, narine frémissante, renifle le mirage de la lune !)... Le peintre semble parvenu à une très grande maturité où forme, couleur, espace enfin conjugués, ne suggèrent plus, comme il le souhaitait, qu’harmonie et poésie. 

    Que se passe-t-il alors dans sa vie picturale ou privée qui, en 1945, l’amène soudainement à arrêter définitivement la peinture, pour ne plus se consacrer qu’à l’écriture ? Peut-on penser que la mort de son épouse joue un rôle dans cette décision ? A-t-il le sentiment que son exploration est terminée et qu’il ne peut plus que se répéter ? Dans ce cas, comment, lui si intransigeant, qui a dit un jour, à l’apogée de sa carrière : “L’art ne peut être que le fruit de l’action anarchique d’un individu”, pourrait-il accepter la médiocrité d’un compromis avec lui-même ?

      Critique d’art, ses écrits jalonnent l’évolution de la peinture française et belge, de 1922 à 1975 : un regard attentif et dépourvu de préjugés sur les artistes qui l’ont faite. Des centaines de textes, de monographies et préfaces l’illustreront, au fil des décennies, basés sur une autre profession de foi : “Pourquoi ne l’avouerais-je pas ? Ma méthode habituelle de “critique” ressemble assez à une instruction judiciaire qui découvre et étudie d’abord les indices matériels, fait la part de la psychologie et même celle de la physiologie, mais évite consciencieusement les idées préconçues qui feraient présumer coupable ou innocent. A moins d’un flagrant délit, je me refuse généralement le droit au verdict” (¹). Articles et livres attestent de sa fidélité à cette sorte de déontologie que s’est imposée Roger van Gindertael. Il publie, entre autres, en 1925 : La jeune peinture belge ; en 1952 : Témoignages pour l’Art abstrait ; en 1953 : Jean Milo ; en 1950, 58, 60, 66, Nicolas De Staël ; en 1967 : Modigliani et Montparnasse ; en 1975 : James Ensor.., etc. Après, le silence.

  Grand artiste, (presque ignoré en France, mais très connu en Belgique), Roger Van Gindertael l’a été, incontestablement. Intègre et chercheur infatigable également. L’hommage que souhaite pour lui son fils, en cette année du centenaire de sa naissance, est d’autant plus émouvant. Surtout que, très secret, il avait entassé, enroulé... des trésors de documents qui sont demeurés en l’état jusqu’à sa mort. Depuis, chaque paquet déficelé, chaque rouleau ouvert, chaque toile répertoriée... apportent un nouvel éclairage sur ce créateur, témoin et protagoniste de plus d’un demi-siècle d’histoire picturale.

Jeanine RIVAIS

 

 

**Il s’installe en France en 1922 ; doit repartir en 1929, au moment de la crise ; revient définitivement en 1940, fuyant l’invasion hitlérienne.

(¹) “Jean Milo”.

 

Pour tous renseignements, s’adresser au fils de l’artiste : Alain Van Gindertael, 17 Villa des Iris. 92220. BAGNEUX. Tel : 01.46.65.85.74.

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1993.