LA FEMME DANS TOUS SES ETATS,
ou ROBERT VASSALO, peintre et sculpteur
**********
La définition originelle du mot Art brut par Jean Dubuffet a-t-elle jamais été, par son caractère idéal, autre chose qu’une utopie ? Et n’a-t-il pas, élargissant un peu sa vision à des créations solitaires, approché de plus près une possibilité tangible ? Dans ce deuxième cas, peut-on raisonnablement penser que 50 ans après, puissent subsister des créateurs tellement proches de cette définition, qu’ils semblent complètement archaïques ?
Tel est pourtant le cas de Robert Vassalo dont, en 1945, la vocation a été générée, croit-il, par la beauté d’un site allemand sur fond de fin de guerre ! Et puis, rentré dans son Maroc natal, il a eu la velléité parfois, de dessiner des paysages. La graine était semée, le goût pour la couleur était né... Petit à petit des idées se sont bousculées en lui, qu’il “fallait” reproduire, faute de quoi il avait “conscience d’un manque” ! N’est-ce pas de cette manière que se sont manifestées les vocations picturales de solitaires tapis au fond de leur jardin de campagne ? En tout cas, ainsi a pris corps celle de Robert Vassalo, parvenu un jour au bout de ses pérégrinations ; “sa maison bien biscornue” construite de ses mains dans un petit village de l’Yonne !
Alors, la retraite venue, il a commencé à se livrer au plaisir de la création pure : un sage qui se défend d’être artiste mais ne pourrait vivre sans peindre ; un solitaire, dont la Fabuloserie expose une grande partie des sculptures qui ornaient son jardin ! Un philosophe, du coup, qui ne veut pas en créer d’autres, “pour ne pas faire inflation” : (ce qui serait dommage, car alors, les passants ne profiteraient plus de ses chiens longilignes assis sur leur train arrière ; de ses jolies femmes aux visages mélancoliques, au cou coquettement orné de rubans de tissu, au corps de ciment travaillé en étages comme les volants d’une robe espagnole ; ni de ses aiglonnes à tête animalière, aux seins lourds et aux ailes éployées...!) Et puis, pour revenir à leur auteur, des rêves plein la tête, lui suggérant qu’un richissime Américain emportera dans son lointain château, la totalité de la collection ; mais tout surpris qu’elle puisse intéresser des étrangers ; et n’imaginant à aucun moment que ses oeuvres -ses peintures qui lui sont si chères - puissent lui rapporter le moindre argent ! Tout fier, par contre, que “ça coûte trois fois rien” ! Prenant un air sagace en consultant l’unique livre de peintures qu’il possède et où sont consignées les cotes d’une vente parisienne de naguère : ne concevant pas que des oeuvres puissent être appréciées autrement que par leur valeur narrative ; sûr de lui, donc, lorsqu’il déclare fermement : “Après tout, Picasso, ce n’est pas mieux que moi ! Et celui-là, tenez, qui ne sait faire que des traits, et qui se vend des millions !” Modeste, pourtant, sans qu’il y ait contradiction, comme s’excusant de ne pouvoir s’empêcher de peindre, puisque "tout se passe dans la tête !” N’envisageant pas d’exposer ses peintures, par contre, “parce qu’il faudrait les encadrer !” Timide, aussi. Content, vraiment, que l’on vienne à lui, parce qu’il est bon de sentir sur soi le regard des autres ; mais bien installé dans sa coquille ! Puéril parfois, “racontant” son histoire en Morse - sa deuxième passion, acquise à 16 ans, lorsqu’il était marin - ; riant de bon cœur de l’air éberlué de son interlocuteur qui, bien sûr, n’y comprend goutte !
Et, dans le garage où ce créateur si convivial a entraîné ses visiteurs survenus inopinément, Robert Vassalo sort les multiples dessins qu’il conserve précieusement dans un coffre à bois ! Des paysages, d’abord, puis des femmes : des femmes dans tous les états possibles, se rendant au marché, à la plage, chapeautées ou en cheveux (toujours longs), provoquant un taureau, caressant un chien... Mais surtout, allongées, lascives et nues, parce qu’”il n’existe rien de plus beau que le corps ou le visage féminin !” A-t-il, ce faisant, le désir de peindre des fantasmes érotiques ? Non, car il a une conception très morale de son approche du nu ! Et s’il est un jour passé du sujet unique à des petites histoires peintes, c’est parce que “ce n’était pas raisonnable de dessiner ces femmes toutes seules au milieu du papier !”
Ainsi, avec humour, Robert Vassalo commente-t-il ses oeuvres très colorées, très expressives ! A la fois multiples et uniques dans leur répétitivité ! Identifiables au premier regard parce que d’un style très personnel ! Fleurant bon la campagne, mais impossibles à situer dans le temps ou dans l’espace, du fait de leurs vêtements sans âge, résolument hors de toutes les modes ! Fraîches, comme émergeant d’un conte ! Naïves et piquantes ! Riches de bonhomie ! Passant d’anatomies pulpeuses aux “petits bateaux qui vont sur l’eau” ; de seins énormes aux tétins provocants à de sages mères de familles allaitant chastement leur enfant !
L’amour, l’amitié, la gentillesse... tout est là, sur ces feuilles de papiers entassées ; la gaieté aussi, même si parfois passe dans les yeux de l’artiste - car il en est bien un !- une ombre de nostalgie, à l’idée que toutes ces manifestations quotidiennes d’une volonté - d’un besoin - de tromper sa solitude, embellir sa vie, soient vouées presque sûrement à la destruction et à l’oubli !
Jeanine Rivais.
Ce texte a été écrit en octobre 1998, suite à une longue visite de Jeanine Rivais et Michel Smolec, chez Robert Vassalo.
Robert Vassalo nous a quittés le 8 janvier 2010.