ART CRU MUSÉUM et ATELIERS DE L'ART CRU** "A la casse" !!
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Vouloir un jour ouvrir un musée, c’est d’un seul coup changer sa propre définition : c’est passer de l’état de simple individu soucieux de préserver un bien personnel, à celui de protecteur d’un patrimoine pictural, artisanal, littéraire, etc. dont on devient le garant ; de celui d’artiste d’une création individuelle à celui de montreur des créations d’autrui ; de galeriste supposé tirer profit des oeuvres sur lesquelles il a pris des risques, à celui de dispensateur d’une forme culturelle très spécifique ; de celui encore de collectionneur fier de posséder des oeuvres acquises par coups de coeur ou reçues comme gages d’amitié, à celui d’altruiste soudain désireux d’en faire bénéficier des inconnus. C’est, surtout, passer de l’attitude d’un “musicien” jouant d’un seul instrument, à celle de “chef d’orchestre” assumant désormais tous les rôles d’une partition, pour les coordonner, les faire jouer d’une seule voix cohérente, en amplifier l’évidence jusqu’à les rendre incontournables en pressentant que l’exécution du “morceau” ne sera de sitôt parfaite, que les apprentissages ne se feront pas dans la brièveté, que l’harmonisation ne sera ni facile ni définitive. Une telle décision est donc un engagement solennel “pour la vie” : quiconque la prend change aussi sa réflexion, passant de l’appréciation d’une collection “enrichie” pièce à pièce, à celle protéiforme, d’acquisitions groupées ; à la nécessité d’assumer des donations sollicitées ou inattendues ; d’organiser des animations qui le rendent comptable face à des artistes et un public. Le voilà, dès les premiers instants, soumis à l’obligation de rogner sur ses heures libres ; grouper ses énergies ; enrichir les cimaises ou les vitrines de nouvelles oeuvres, tout en canalisant ses choix liés, dans la multiplicité, à la tonalité de départ et au titre définitionnel du lieu ; exiger de soi une absolue indépendance et une impartialité jamais démentie ! Tâche particulièrement ingrate, donc, par les luttes intestines et les tiraillements auxquels sera forcément confronté le “conservateur” en herbe doté soudain d’un “pouvoir” ; les déviances par lesquelles il sera tenté : Exigence de qualité risquant au fil des années de s’émousser voire de se démentir ; disparition de l’objectivité, parfois, enfouie sous les laudes ; de la sincérité, enfin, susceptible de s’effacer devant l’envie de notoriété et de prestige du musée ! Toutes ces conditions morales, éthiques... supposées réunies ; et la conscience des risques encourus bien présente, semblable choix est un acte de confiance et d’amour : confiance dans la valeur spirituelle des oeuvres exposées, leur originalité, leur force de symbole. Même si chez d’autres, elles n’auraient éveillé aucun écho, à un moment donné elles ont déclenché dans la tête et le coeur du découvreur, un choc émotionnel si fort qu’il lui a “fallu” les acquérir, les toucher, les mettre en valeur dans sa maison... Décider de les soumettre à des regards extérieurs, change à la fois ce rapport et l’envergure des oeuvres : elles ne se situent plus dans une intimité ; elles deviennent de la culture.
Tout cela, Guy Lafargue l'avait certainement en tête, lorsqu'il a décidé de regrouper sa collection et créer l'ART CRU MUSEUM entre les murs d'un ancien chai, sur les quais de Bordeaux. Mais, même si, rebelle aux codes et aux dictats, il devinait que son parcours ne serait pas tapissé de roses, avait-il bien présente à l'esprit la conscience des risques encourus ? Sans doute pas ! Avec tout le cœur mis à l'ouvrage, comment aurait-il pu prévoir que la finance prévaudrait, l'obligeant, après plusieurs crises graves, à "envoyer son musée à la casse" ; voir détruire des œuvres géantes, essentielles ; mettre en vente celles qui lui tenaient le plus à cœur ?
Que vont désormais devenir toutes ces œuvres, entassées depuis des mois dans un garde-meubles, dont il ne peut même plus payer le loyer ? Quelle désolation ! Que de regrets de ne pouvoir financièrement l'aider, sauvegarder ces peintures, sculptures, dessins… qui étaient devenus des "amis" pour tous ceux à qui reste précieuse la notion d'Art brut, d'Art singulier, d'Art cru !!
Mes très amicales pensées vont vers Guy Lafargue, vers son courage, son acharnement, même si tout cela est voué à la disparition ! Et, assurément, quiconque a visité son musée, n'oubliera rien de tout ce chemin terminé, hélas, en impasse !
Jeanine RIVAIS
TEXTE ECRIT LE 1ER AVRIL 2019.
VOIR AUSSI : Entretien de Jeanine Rivais avec Guy LAFARGUE: http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique COLLECTIONS.