LE PETIT MUSEE DE LUC MONTEGUDET
(1903-1981)
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Le lendemain, nous avons pris la route de LEPINAS, où nous allions voir les œuvres de deux artistes, père et fils, LUDOVIC MONTEGUDET (1903-1981) et RENE MONTEGUDET. Ce jour-là, nous avons parcouru un véritable labyrinthe, ratant des chemins, revenant sur nos pas (façon de parler, puisque nous étions en voiture !) parce qu'en fait, la maison que nous cherchions n'est pas dans le village, mais dans un hameau à quelques kilomètres, appelé LA TERRADE.
Arrivés là, déception ! Si nous apercevions bien les œuvres du fils sur une butte dans le pré contigu à la maison, impossible de voir celles du père, car personne n'a répondu à notre coup de sonnette ! Alors que nous étions prêts à repartir, sont arrivés … Mme et M. Montégudet. Quel soulagement !
Nous n'avions pas réalisé, avant de parler avec lui, que le fils (qui a maintenant 87 ans) est plus âgé que ne l'était son père au moment où lui était venue l'idée de créer ses sculptures autour de son étang ! Fatigué, il n'autorise plus guère les visiteurs à entrer dans le saint des saints, mais quand nous lui avons raconté que nous venions de l'Yonne pour les voir, il a bien voulu nous ouvrir la porte.
Il nous a parlé de son père, bien sûr ! (Son destin était finalement proche de celui d'Alexis Le Breton qui avait créé la Seigneurie de la Mare au Poivre, en Bretagne !). Une vie de paysan, (alors qu'il rêvait d'être instituteur), un veuvage, une ferme quittée. Et l'ennui d'une retraite solitaire dans une maison isolée.
Et puis, un jour, lui est venue l'idée de réaliser des sculptures et de les installer autour de son étang, sûr que la curiosité attirerait, au weekend, les gens du voisinage avec qui il pourrait bavarder ! Et c'est ce qui s'est produit, puisque cent mille personnes sont venues en dix ans ! Il devait être fier de ce succès, d'autant que Pierre Bonte dont les émissions de télévision sur les richesses des régions faisaient florès à l'époque, était venu le voir et avait présenté "L'étang fleuri" avec un grand enthousiasme.
Le problème, c'est que Luc Montégudet avait conçu ses œuvres avec toutes sortes de matériaux récupérés et qu'elles étaient donc fragiles. A sa mort, son fils qui, lui-même, avait commencé à sculpter, a craint les vols et les dégradations dues aux malfaisants ou à l'érosion ! Il a donc décidé d'enlever les sculptures de l'étang et de les enfermer dans une grange.
Mais il a effectué ce travail avec le plus grand respect. Regroupant les éléments qui constituaient un thème, les entourant de petites bandes de pierres et apportant de la terre à l'intérieur des parterres ainsi formés ; ménageant des allées entre les groupes ; reportant les étiquettes chargées de "raconter" les fantasmagories paternelles…
De sorte qu'il est vraiment émouvant d'entrer dans ce sanctuaire, de suivre pas à pas les preuves de l'érudition de Ludovic Montégudet, de son humour si particulier, noir parfois lorsque Barbe-Bleue planqué derrière la porte en bas de la tour, crie à son épouse : "Descends ou j'y monte" !!!. Car, si certains thèmes sont religieux, (comme "Adam et Eve" nus, le serpent entre eux, Eve tenant sa pomme et le naïf Adam une rose, chacun ayant une feuille de vigne dûment placée !), d'autres sont exotiques (comme ses Indiens emplumés) ; historiques (comme "La hache de Clovis et le Vase de Soissons" ou "Roland à Roncevaux"), mais le plus souvent ils reprennent des fables de La Fontaine ou de son émule JP Clovis Florian !
Et puis, des objets qui lui appartenaient, des souvenirs peut-être, tels "Le vase" ou "la chèvre de Picasso" ; ou faisant partie de son quotidien, comme le diplôme gagné lors du "Concours village que j'aime" dont il fut lauréat pour la Région Limousin ; ou les médailles reçues avec le diplôme d'honneur de quelque autre concours…
Et encore l'arbre, sorte d'arche de Luc, un arbre de vie, d'entente cordiale, de convivialité qu'il a intitulé "La Cohabitation pacifique" ; un chêne parce que sa longévité est garantie, dans le tronc et sur les branches duquel, il avait placé toutes sortes d'animaux.
Grâce au soin apporté par le fils, chaque objet est aussi beau qu'à l'origine, parfaitement mis en scène, la relation entre les personnages ou les plantes très bien préservée.
Il y a loin, certes, de la disposition le long des bords de l'Etang fleuri à la grange/musée, mais remercions René, le fils, d'avoir assuré la survie de cette création tellement brute et naïve, et si sympathique, d'avoir permis, en somme, à une création fragile et vouée à la disparition, de devenir pérenne !
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LES CREATIONS DE RENE MONTEGUDET
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De l'"époque" du père qui décède en 1981, à celle du fils, la sensibilité a changé. Le musée créé, René Montégudet a dû lui aussi, trouver le temps long ! Il décide alors à son tour de se mettre à la sculpture. Mais, pour avoir naguère aidé son père à restaurer certaines oeuvres et leur avoir finalement assuré un avenir qu'elles n'auraient pas eu sans lui, René se dit qu'il ne veut en aucun cas réaliser des œuvres "périssables", qu'il lui faut créer solide.
Par ailleurs, en cette fin de XXe siècle, l'art moderne subit de grandes mutations : la mondialisation, les technologies nouvelles entraînent une grande diversité de productions artistiques Sans revenir au réalisme, nombre d'artistes se rapprochent du figuratif.
Même s'il vivait au fond de la Creuse, René était peut-être un peu au fait de ces évolutions ? En tout cas, il savait que pour plaire au grand public, il lui fallait faire ressemblant !
Le voilà donc créant (en ciment et plombant les interstices), un véritable bestiaire. Qu'il installe sur la butte dans le pré contigu à la maison. Des animaux domestiques ou exotiques, plus vrais que vrais.
Posés chacun sur l'un des énormes rochers de grès qui dépassent sur cette butte. Isolés du sol, donc ne risquant pas de pourrir. Conçus, d'ailleurs en ciment qui est imputrescible.
Chaque animal peaufiné. Sur chaque pelage, ou corps écailleux, la main sent le passage de la truelle qui l'a rendu lisse et les peintures confortent la ressemblance avec les "vrais" animaux !
Tous ces animaux ont été conçus avec beaucoup de talent, et avec une grande connaissance de leurs qualités particulières : le crocodile toutes dents dehors, bien appuyé sur des deux pattes avant, prêt à bondir sur sa proie ; le loup face au cochon (un verrat même, à en juger par son anatomie), chacun essayant d'effrayer l'autre ; l'aigle, les ailes encore éployées, se posant sur son nid ; le renard, jambes pliées et tête tendue pour ne pas être vu. Et puis, le kangourou, la tête du petit dépassant de sa poche ; le singe mangeant sa banane ; et la chèvre bondissant sur son rocher!
La double question qui se pose, est, d'abord : pourquoi ces bêtes-là, plutôt que d'autres qui auraient pu être aussi pittoresques que celles-là ? Peut-être parce que, vivant à la campagne, il connaissait bien les prédateurs (même le cochon n'est pas indemne de soupçon, étant omnivore et les films noirs regorgent de gangsters se débarrassant de leurs ennemis en les jetant aux cochons !! Et chacun connaît le caractère rebelle de la chèvre pour qui la prochaine colline est toujours la plus verte) !
La seconde question étant : pourquoi René Montégudet a-t-il cessé de sculpter ? Qui reste sans réponse, sauf peut-être le passage inexorable du temps ?
Ces deux questions auraient pu recevoir des réponses, puisque l'auteur de ces œuvres était venu nous retrouver dans le pré ! Mais la nuit commençait à tomber (et par le temps gris qui a fait que nos photos sont toutes très mauvaises, elle est tombée tôt et vite) et la dernière image, celle où il se trouve avec Michel Smolec est presque illisible !
Tout de même, merci à lui, pour sa gentillesse ! Pour le plaisir qu'il nous a donné, en nous permettant d'entrer dans son musée. Et pour la surprise éprouvée, en passant de longs moments avec ces deux oeuvres tellement différentes. JR
Photos Michel Smolec