VISITE DE MASGOT, VILLAGE DE FRANCOIS MICHAUD
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Premier jour, nous voilà au village de MASGOT (prononcer Mago) sur la commune de Fransèches, appelé “Le Village sculpté” ; les sculptures étant l'oeuvre de FRANCOIS MICHAUD (1810-1890), totalement autodidacte.
Seul, le temps n'est pas de la partie ; après le grand soleil des jours précédents, il tombe une espèce de crachin très froid ! Mais le village, lui, correspond en tous points à ce qui nous avait été promis.
Entrant dans le village, nous sommes accueillis par quatre sculptures : des femmes en pied, appuyées à un mur. Il semble s'agir des quatre saisons ? La première ayant, sur la poitrine une branche qui porte des sortes de boutons ; la robe de la seconde étant ornée d'entrelacs floraux ; celle de la troisième étant ornée de grappes de raisins, la saison des fruits donc ; et la quatrième étant emmitouflée dans une sorte de châle et serrant ses bras autour de sa poitrine. Mais peut-être n'est-ce là que subjection ? En tout cas, ces quatre femmes sont magnifiques, finement ouvragées, à tel point que le visiteur peut se demander si elles sont bien en granit ? Et si elles sont bien l'œuvre de François Michaud ?
Il est à noter que ces quatre sculptures ne sont évoquées ni dans le “Gazouillis...”, ni sur le site de Masgot. Déjà, elles ne semblent pas en granit. Plutôt en calcaire, peut-être, vu leur couleur légèrement beige Et, tellement différentes des suivantes ! Visuellement, il semble impossible qu'elles soient de François Michaud ? Un éclaircissement serait utile !
Renseignements pris, personne n'est très sûr ; mais ce seraient les oeuvres d'artistes locaux venus en résidence à Masgot. Et, d'après les réflexions du cousin de François Michaud, Monsieur René Montégudet que nous avons visité le lendemain à Lepinas, il ne saurait, en effet, s'agir d'oeuvres de François.
Elles seraient donc, en somme, les annonciatrices de l'oeuvre authentique !
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Nous voilà sur la place. Il nous faut demander à un sans-gêne qui s'est installé devant l'enfilade de sculptures de bien vouloir déplacer sa voiture ! Ces oeuvres sont complètement différentes des premières. Et le fait qu'elles soient manifestement en granit explique peut-être la différence de style ? Là, se succèdent des animaux sauvages ou domestiques : le chien assis sur son derrière, des poissons, la chouette, la souris, la marmotte, le sanglier en plein élan.
Et puis, des gens : deux enfants collés l'un à l'autre, l'un d'eux avec un serpent entre les jambes, un autre très stylisé, portant sa main devant ses yeux.
Et nous arrivons au bout de l'enfilade, à des sculptures tellement usées qu'elles sont sans doute parmi les premières à avoir été réalisées par François Michaud ?
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Quittant la place pour pérégriner dans le village, nous tombons sur un griffon solitaire, au dos couvert d'une sorte de carapace, et aux ailes finement travaillées. Celui-ci encore est-il bien “un Michaud” ? Il semble que non, vu la finesse du travail et la pierre blanche qui ne semble pas être du grès ! Ce serait tout de même dommage que des oeuvres étrangères soient en passe d'envahir un village dont chacun avait préservé l'authenticité depuis cent cinquante ans !!
Commence alors la litanie des oeuvres disséminées au long des rues : ici un poisson, là un visage coiffé d'un turban au-dessus de deux seins arrondis. Et puis, la bouche en coeur criant d'un si grand courroux que les yeux se retrouvent perpendiculaires l'un à l'autre ! Plus loin, un petit bonhomme tout rond sous son crâne couvert de gros rouleaux de cheveux, semble lui aussi passablement hargneux avec ses deux yeux grands ouverts ! Une belle chouette, voilà qui est chouette, avec ses yeux clos et les pointes de ses ailes qui se croisent en bas de son ventre ! Une marmotte, encore !
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Et nous arrivons à la première maison de François Michaud ! La porte est grande ouverte, mais il est impossible de savoir si l'agencement est d'origine (peu probable), ou si tous les objets ont été regroupés là (probable) pour l'étonnement du visiteur ? En tournant dans le sens des aiguilles d'une montre, nous trouvons : une ancienne selle à laver du temps où les femmes allaient à la rivière, et un cuveau, une baratte, un berceau rudimentaire, de la vaisselle en terre, un muret couvert d'objets divers. Au-delà du muret, se trouve un lit d'une place, tout près de la minuscule cheminée. Et en revenant vers la porte, se trouvent à gauche trois chaises sculptées de la devise : "Asseyez-moi auprès de moi". Et sur le mur à gauche de la sortie, des textes anciens parlent de participation à la vie municipale, d'un procès-verbal d'installation d'un maire adjoint, et l'acte de décès de François Michaud.
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En face de la maison, un petit jardin clos de murs surmontés d'une palissage de bois, et dans lequel poussent poireaux et salades, propose plusieurs sculptures : Au-dessus de la porte en bois à claire-voie entourée de deux colonnes entre lesquelles est sculptée une tête moustachue, et aux yeux clos qui pourrait être un autoportrait et tout à fait à gauche, un personnage en buste au costume très décoré, et portant sur la poitrine le Cœur de Jésus. A l'opposé, à l'extrême droite, un petit oratoire fait l'angle. Le long du mur descendant, se succèdent un animal pas très défini, un chien peut-être tenant entre ses pattes un serpent, un personnage assis, l'aigle napoléonienne, une marmotte, un oiseau, une sirène, grande et ouvragée. Sur le mur du fond, un buste au pied duquel une minuscule étagère supporte un pot de terre, comme si ce buste était une sorte de reposoir ?
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Nous reprenons notre périple, passant devant deux œuvres de part et d'autre de l'entrée d'un pré : Un chien, apparemment, et un serpent lové à tête humaine ?
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Plus loin, à l'angle de deux rues, entre un énorme récipient de pierre portant les restes d'une meule de moulin, et un socle dépourvu de sa sculpture, une sorte de vase. Cet intermède, ne semble pas faire partie de la statuaire de François Michaud (sauf peut-être le socle qui aurait pu, naguère, supporter une oeuvre ? ), mais, numéroté sur le circuit, il semble dater de la même période.
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Et nous parvenus à la deuxième maison de François Michaud, beaucoup plus moderne que la première et encore habitée par des descendants de l'artiste. Le mur fermant la courette est surplombé de colonnes torsadées. Nous maudissons le temps de plus en plus gris qui empêche nos photos d'être lumineuses !!
Au-dessus de trois colonnes quelconques, trois sculptures très différentes ornent la barrière de façade : Une femme vêtue comme un homme ; aux fesses bien moulées dans des braies surmontées d'un surcot à large ceinture, laissant pointer deux seins ; coiffée d'un chapeau au-dessous duquel, les cheveux tombent sur les épaules. Finalement, qui que ce soit qu'elle représente, elle est bien masculine !!
Au milieu, Napoléon en pied, les bras croisés dans sa pose favorite. Il semble que, si l'aigle napoléonienne remonte à 1848, après la victoire de Louis-Napoléon aux élections présidentielles, cette sculpture aurait été réalisée peu après la construction de la maison, en 1851 juste avant la proclamation de l'Empire ?
Enfin, sur la troisième colonne, un énorme chien est assis sur son derrière, gueule ouverte et oreilles dressées, semblant regarder les deux protagonistes tournés vers lui !
Sur la façade de la maison, de part et d'autre de la porte, se trouvent deux bustes, l'un d'une Marianne coiffée d'un bonnet phrygien ; possiblement celle qui était à l'origine devant la première maison ; et l'autre un buste de Jules Grévy (qui fut arrêté lors du Coup d'Etat de 1851, sa présence si proche de son bourreau ne manquant pas de sel !!)
Et, au-dessus d'une fenêtre d'angle, en demi-relief, est une petite tête joviale qui conclut notre périple à Masgot.
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Finalement, quittant le village pour revenir à la voiture, nous avons longuement épilogué sur ce village, sur le travail d'un demi-siècle réalisé par ce villageois. Et nous nous sommes demandé s'il y eut des femmes, parmi ses sculptures, car hormis celle de la barrière de la deuxième maison que nous avions d'abord prise pour un homme, malgré ses seins apparents, nous n'en avons vu aucune.
Nous avons en esprit repassé toutes ces sculptures, admirant la persévérance et le talent de François Michaud, et nous avons hésité à le classer dans l'Art naïf, l'Art populaire, ou l'Art brut puisque ce créateur autodidacte appartenait incontestablement à ces bâtisseurs de l'Imaginaire, chers à Dubuffet et autres amateurs.
Et, à la réflexion, repensant à tous ces créateurs considérés comme des originaux voire des fous obligés souvent de travailler en cachette ou sous la risée des gens "normaux", lorsqu'ils décidaient d'embellir leur lieu de vie et de travail, nous nous sommes dit que ce sculpteur, véritable artiste original, et qui a investi tout le village, a eu bien de la chance : il a pu, apparemment sans problème, placer là où il le souhaitait, ses oeuvres qui allaient des animaux (des marmottes à plusieurs reprises) à des personnages conçus depuis le fantasmatique avec la sirène, jusqu'au réel avec Napoléon, Grévy, etc. Et ses œuvres ont été respectées depuis un siècle et demi. Preuve, s'il en était besoin, que les moqueurs qui le traitaient de "faiseur de marmots", devaient être une minorité, puisqu'il fut élu, à partir de 1878 jusqu'à la fin de sa vie, conseiller municipal !
Finalement, nous sommes rentrés heureux de notre découverte… sous la pluie ! Mais nous espérons que les autochtones actuels, qui organisent des stages et des résidences de sculptures, n'auront pas la mauvaise idée de mélanger leurs productions à celles de François Michaud. Ce serait un total manque de respect et un crime de lèse-artiste !
Jeanine RIVAIS
Photographies de Michel Smolec