Emile Crociani
Emile Crociani

          Tout art, à l’origine, est naïf, puisqu’il est supposé mettre à jour une intimité de l’individu ; une préoccupation personnelle, dans une formulation forcément très subjective. Ainsi pourrait-on dire que les peintures rupestres sont des peintures naïves. Et cette affirmation serait proche de la définition originelle ; laquelle désigne une production picturale, sculpturale ou architecturale, élaborée par une personne qui, généralement, n’a pas reçu de formation préalable. Car la plupart des artistes naïfs sont des autodidactes, même si certains d’entre eux ont "appris à dessiner" dans des écoles des Beaux-arts. 

Jean-Albert Geisel
Jean-Albert Geisel

          Divers vocables ont été proposés pour évoquer cette mouvance : l’un d’eux, l’Art insitic (ou inné) avait, aux Triennales de Bratislava, dans les années 60, été préféré au terme " Art naïf " auquel s’attache bien souvent une connotation péjorative : dérivé du latin, le mot " insit ", qui aurait eu le mérite d’être beaucoup plus neutre, signifie " naïf, ingénu ". Il aurait donc été un parfait substitut. Mais l’expression déjà très répandue dès le XIXe siècle, a persisté. L’"Art naïf" a fait front également aux suggestions d’Art instinctif et de néoprimitivisme ; s’est dégagé du label de Peintres du dimanche ; Peintres inexpérimentés ; de ceux plus ciblés de Peintres du Cœur Sacré ; Maîtres populaires de la Réalité ; et autres Primitifs modernes ; Peintres de l’Instinct ; etc. On a même imaginé un moment, retenir pour l’Art naïf tous les vocables réservés à l’Art populaire et surtout à l’Art brut ; même si, à l’inverse de cette tendance, les peintres naïfs vivent résolument dans le monde. Finalement, "Art naïf" est " proche de "nativus" qui signifie "naissance", "éclosion" ; c’est donc un art de fraîcheur, de poésie, une création  spontanée ".(¹)

 

Pascal Verbena
Pascal Verbena

          Aujourd’hui, l’expression "Art naïf" est devenue définitivement culturelle, bien que désignant une production très diversifiée qui gravite autour de l’imagerie populaire ; avec pour matériaux préférentiels, outre la toile, la ferronnerie, le bois, la broderie, la dentelle, etc.

     Est-ce cette faculté de donner du monde une vision multiforme, passéiste, souvent nostalgique et figée en une sorte d’immutabilité ; cette référence à des sources bibliques, mythologiques, exotiques, légendaires, oniriques, parfois surréalistes… qui ont attiré Anatole Jakovsky, surnommé "Le Prince des Naïfs" ; l’ont amené à défendre pendant des décennies ces artistes singuliers avant la lettre, et à constituer une remarquable collection, essentiellement de peintures  ? Anatole Jakovsky qui, plus heureux que Jean Dubuffet, a légué cette collection de mille tableaux d’une centaine d’artistes et provenant de vingt-huit pays,  au patrimoine national français, par le truchement de la ville de Nice, où il l’a installée dans un site magnifique, un beau château restauré naguère par le parfumeur François Coty ?

 

Ivan Generalic
Ivan Generalic

          A l’été 2000, le Musée Anatole Jakovsky de Nice proposait comme à l’accoutumée une partie de sa collection permanente : les créateurs que l’on pourrait appeler "les classiques", Bauchant, Bombois, Vivin, Séraphine, Caillaud … et les Yougoslaves comme Generalic apportant toute la saveur de leur fraîcheur paysanne, un peu exotique.

 

    Et une exposition temporaire, intitulée Les Magiciens de la Mer était également proposée. Les œuvres présentées, peut-être pas toutes "naïves", provenaient de soixante-quinze prêteurs, musées ou particuliers. Peut-être dans ce dernier cas, certaines subjectivités expliquaient-elles quelques "présences" pas forcément indispensables ! Mais, dans l’ensemble, aucun hiatus ; nombre d’œuvres pourraient appartenir à la collection permanente ; et cette exposition d’un très bon niveau déclinait avec bonheur les multiples approches artistiques de l’eau : outre les peintures, le visiteur traversait une flottille de bateaux faits de boîtes de conserves ; sculptures de bois flottés ou céramiques peintes ; galets et coquillages peints ; algues collées, etc. Et même une création éphémère, faite de sable, énorme visage aux dents de pierres, dont la face hilare un peu croulante, commençait à rappeler…. qu’autant en emportera l’eau ! Sans oublier les réalisations des enfants qui s’étaient associés à la fête ; et dont les joyeux baigneurs d’origines inter-cosmiques les plus diverses, peuplaient de leurs fantaisies les cimaises.

 

Joël Negri
Joël Negri

Un petit musée très convivial ; une surprenante exposition ; un parcours réalisé avec sensibilité ; à voir par toute personne désireuse d’échapper aux piailleries de… la plage et de la mer… (véritables) ; ou des rues bondées et surchauffées ; et s’offrir en esprit une délicieuse "croisière". A voir, tout simplement, sans besoin de prétexte ! 

Jeanine RIVAIS

 

(¹) Louis Deydier, Musée de Nice.

 

Musée international d’Art naïf Anatole Jakovsky : Château Sainte-Hélène Avenue Val Marie, 06200 NICE. Les Magiciens de la Mer : jusqu’au 8 octobre 2000. 

 

CE TEXTE A ETE ECRIT EN 2000 APRES LA VISITE AU MUSEE JAKOVSKY ET PUBLIE DANS LE N° 69 DE JANVIER 2001 DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA.