VICTOR ARTIEDA POETE
Qu’est-ce que Victor Artieda a conservé de ses racines équatoriennes ? En procédant comme il l’a fait dans son poème “je n’ai pas...”, le lecteur pourrait affirmer que cette oeuvre n’évoque, contrairement aux diverses tendances de la poésie sud-américaine, ni la tradition, ni le folklore, ni la dure réalité de la colonisation puis de la dictature qui marquèrent si récemment encore, ce continent. Aucun réalisme social, donc chez ce peintre-poète vivant en France depuis plusieurs décennies.
Peut-être, pourtant, quelques réminiscences jalonnent-elles son écriture, comme dans le recueil intitulé “A qui de droit”, où il écrit :
“Un homme de couleur
Est entré jadis,
Personne n’a rien dit...
Seule sa pensée travaille
Répudier, Répudier
Refuser, exterminer,
Et les faire sauter...”
Mais rien n’affirme ni n’infirme qu’il puisse s’agir ici des soubresauts d’une imprégnation de son ancien monde ! Et lorsqu’il déclare : Le paradoxe de mon âme / N’est pas encore résolu”, il semble bien s’agir exclusivement de lui, de sa volonté un peu mystique, d’élargir à l’échelle du monde, son oeuvre paradoxalement si intimiste !
Car, sans graves lamentations, sans élans ni colères spectaculaires, sans même de profondes mélancolies, Victor Artieda évoque des amours impossibles (Je n’ai pas de fleurs à vous offrir), terminées peut-être (Et je ne suis plus / Le petit point /De votre coeur). Cette manière si personnelle de s’adresser à la personne aimée sur le ton de la conversation, proche du langage parlé, avec une politesse un peu ironique, un humour teinté d’amertume, au lieu d’appauvrir son style, donne à son écriture une grande vivacité, le rend frémissant, transparent : Peut-être aussi, pourrait-on reprendre à son compte la phrase de Lucien-Paul Thomas, tirée de la préface à Lope de Véga : “Les vers qui chantent les amours du poète avec tout ce que celles-ci comportent de tendresse, de regrets, de mélancolie ou d’exaltation, prouvent que le romantisme...” reste bien vivant : car, en définitive, malgré quelques digressions vers d’autres thèmes, l’oeuvre de ce jeune poète est un grand hymne à l’amour : Amour paternel qui l’amène à composer d’un ton primesautier pour sa fille, de jolies comptines où il est question d’un chat
“Qui vient
Tous les matins
Il s’appelle
Soleil, Lune
Rouge, Rocher,
Novembre...”
Ce qui ne l’empêche pas de déplacer le jeu ; passer du “je” au “nous” ; jouer sur les mots avec des paronymes allitératifs comme “nous, nus”... suggérant que cette musicalité, cet air d’intimité ludique pourrait être aussi bien à l’usage des grands que des tout petits !
Amour encore, érotisme et complicité, fulgurance de l’unisson des deux corps
“Tes mains
Sur mon corps
Ont tracé
Des signes de feu...
Je t’ai marquée
De mon empreinte
A mon tour...”
Et parce que ces moments de profonde union sont exprimés sous le sceau d’une grande pudeur, les vers qui impliquent sensualité et extase, tension érotique, sont assourdis, plus subjectifs, plus lyriques.... sans que les mots soient jamais descriptifs, seulement allusifs. Malgré tout, le poète en vient au tutoiement, mais c’est en un balancement continuel entre “je” et “tu”... Des mots comme “amour indompté”, “mon poison”... un peu grandiloquents, sont le paroxysme auquel il consent à s’élever. Seule, la poésie, en fait, réalise le désir. Le poète reste vigilant quant au choix des mots ; et une fois encore, il s’en tire par une pirouette :
“Pour que tu saches
Un jour
Que j’ai pu
Exister.
E=MC2.”
Amoureux, donc, Victor Artieda ! Mais jamais tout à fait heureux, car incapable d’indifférence à ce qui se passe autour de lui. Et, s’il hésite à confier ses émotions personnelles, parfois (ses) “pensées se forment / Comme des brebis de sacrifice...” ; comme s’il se sentait coupable du malheur universel, celui des enfants en particulier qui “jouent... dans le mal-être du monde” ; comme s’il vivait les peurs ataviques de “la nuit éphémère”, “des croyances antiques”... “de chemins sans destins...”.
Comme si sa poésie écrite en vers libres, avec ses images nombreuses, ses raccourcis et ses suggestions, ses infinitifs martelant ses désarrois..., sincère, profonde, opposait aux moments de plénitude, de grandes zones d’ombres... N’est-ce pas là la démarche, la préoccupation de nombre de poètes européens ? Et Victor Artieda, créateur volontairement déraciné, qui s’est “désaccoutumé des coutumes”, n’extériorise-t-il pas désormais la même sensation de froid face à l’hostilité du milieu qu’il a adopté, les mêmes frustrations affectives ; les mêmes enthousiasmes ; les mêmes forces et faiblesses ; les mêmes incertitudes psychologiques, exprimées avec les mots d’un même langage, mais façonnés “ autrement” : bref, n’est-il pas devenu un poète profondément occidental ? N’est-il pas déjà un poète profondément original ?
Jeanine Rivais.
VICTOR ARTIEDA : Philosophie et Arts plastiques, Université de Maracaïbo (Vénézuela). Licence d’espagnol et d’Arts plastiques “Graphica” (1981). Nombreux diplômes. Nombreux prix. Docteur Honoris Causa de Salsomaggiore (1985). Fondateur de la revue “Idéart”(1988).
Bibliographie : “A qui de droit”, poésie et gravure (1988). “Nuit éphémère” (1995). “Néant d’un Dieu de sang” (1995).
Peinture : Oeuvres dans de nombreux musées d’Amérique du Sud, France, Norvège, Allemagne,
CE TEXTE A ETE ECRIT EN 1999. VOIR AUSSI "VICTOR ARTIEDA PEINTRE" : Rubrique RETOUR SUR UN QUART DE SIECTE D'ECRITURE