FAUT-IL DES MURS POUR FAIRE UNE MAISON ?
ALIX LERASLE, poétesse
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Bien que jeune poétesse, Alix Lerasle est désormais poète absolu. Mais cette définition ne saurait se suffire d'un unique recueil déjà publié qui est en fait un unique poème, même s'il lui a valu le 'Prix de la Vocation". Car en toute certitude, d'autres suivront, qui peut-être lui apporteront des clefs.
En attendant, ce premier opuscule, écrit au plus près du sens originel des mots, au plus intime puisqu’elle y dit souvent “je”, "mon", "ma"…, au plus musical car certains vers chantent, est en soi étonnant ; mais en même temps son titre "Faut-il des murs pour faire une maison ?", est provocant dans son questionnement. Faut-il alors prendre cette expression au sens d'une impossibilité de se sentir bien à l'intérieur d'un lieu qui serait une maison, mais dont les murs ne la protégeraient pas voire l'emprisonneraient ? Mais cette maison évasive, n'est-elle pas elle-même, en fait ? Sa réponse est un peu vague : "Un bol bleu pour mettre / le lait tous les jours / pour faire tremper le pain // une cuisine à carreaux / des traces sur les faïences mates / de doigts beurrés // ailleurs / il y a une chambre/ avec un lit dedans // alors c'est une maison".
Conclusion qu'elle répétera avec des variantes, comme s'il s'agissait-là d'une comptine que chaque mot nouveau ou repris entraînerait vers sa fin. Cette fin où elle se retrouve "dans" une maison, ("J'ai des yeux pour ne pas voir au travers des murs") ; dont elle a bien perçu les murs, mais d'où il lui semble impossible de sortir : 'Des yeux pour glisser ma main le long des murs // des yeux pour chercher / des portes / et des fenêtres / à l'intérieur de la maison // des yeux pour me sortir de là". Confirmant ses états d'âme de poète qui s'accepte mal comme individu : "C'était comment ton nom ?… "nous nos lèvres sont refermées / sur nos mâchoires serrées / sur nos arguments vains / nos arguments de l'intérieur". Ou faut-il comprendre ces lignes comme autant d'obstacles qui s’opposeraient à la formulation de ce qu’elle veut exprimer ? Il semble bien, en effet, vu le mal-être qui exsude de ses vers, qu'en même temps elle lutte pour sortir de cette sorte d'engluement où elle est prisonnière !
Par ailleurs, dira-t-on jamais assez l’importance des blancs dans la poésie ? Tantôt attestation d’absence ; tantôt détente, repos après le dur labeur des mots ; géographie prêtant sa neutralité à toutes les tempêtes, à toutes les plénitudes…
Chez Alix Lerasle, les blancs semblent découper le temps, permettre à la femme-poète d’égrener les moments de sa quête, comme tintent, nettement détachées, les heures aux pendules d’antan. Ces plages vierges dans lesquelles sont disséminés les mots donnent à ses vers déstructurés, à cette écriture fragmentée, faite de mots clos sur eux-mêmes, l’air de cascader jusqu’au bas de la page, égoutter en un leitmotiv les impressions intimes qui ruissellent avec les "souvenirs avalés déglutis / quelque part dans (sa) gorge". Evocations qui semblent prendre toute la place dans la vie de l’auteure ; onduler telles des rêveries s’écoulant sans soubresauts d’un état d’âme à un autre (mais en fait, sont-ils différents ?)
Avant même de se familiariser avec lui, il n’est que de feuilleter ce petit ouvrage, pour "savoir", par cet écoulement de mots page à page, à quel degré infini Alix Lerasle n'en peut mais de ses états d'âme, dont elle dit : "J'ai cherché la maison" (le lecteur avait, lui, le sentiment qu'elle l'avait trouvée) "mes larmes me brouillaient la vue / je ne trouvais que des murs". (Finalement, elle semble avoir une réponse, mais combien insatisfaisante !)
Tout au long de cette sorte d'errance psychologique, le lecteur suit les humeurs de la poétesse ; vit ses moments indifférents (rares), tristes, le bruit ou le silence, les périodes apparemment stériles qui ne sont en fait que de longs moments de gestation, d'attente sourde, suivis de périodes de grande créativité. Se succèdent dans ce récitatif les humeurs d'une femme jeune mais tellement mature, auteure de ce très beau recueil qu'il aura plaisir à lire et méditer, puisque l’absence de ponctuation autre que le point final, suggère qu’il existe bien une suite.
Jeanine RIVAIS