Ve FESTIVAL D’ART HORS-LES-NORMES DE PRAZ-SUR-ARLY (Haute-Savoie)

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EYMERY SYBILLE

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LES « ATTRAPEURS DE LUMIERE » de SIBYLLE EYMERY, sculpteur

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Les pieds solidement ancrés dans la terre, la tête minuscule nichée entre les deux bras en invocation, l’homme est-il cet être suspendu entre deux lieux peut-être, entre deux vies sûrement ? C’est ce que semble penser Sibylle Eymery, avec ses étranges allochtones humanoïdes ! Autour de cette idée qu’ils portent en eux toute la sagesse du monde, elle a développé une sorte de saga où « vivent » « animaux » et « végétaux ».

C’est que cette ornemaniste autodidacte, « née avec à la main un crayon qu’elle n’a jamais posé », animée d’un besoin viscéral de réfléchir profondément sur le sens de la vie, en est venue à une démarche si particulière que sa création, régie par des règles strictes, est absolument originale. 

Démarche formelle, d’abord, pour une œuvre tantôt en deux dimensions, tantôt dans l’espace sous forme de sculptures à la fois aériennes et paradoxalement massives, les deux modes se conjuguant en parfaite harmonie.

          S’agissant des œuvres qui figurent sur les cimaises, le sculptage sur bois effectué à la gouge avec une précision remarquable et une délicatesse d’orfèvre, génère de légers reliefs et champlevés aux motifs répétitifs ; cloisonnés horizontalement et portant une foule d’individus et de motifs floraux côte à côte ; séparés par des guillochis horizontaux ; coupés perpendiculairement –car aucune oblique, jamais, ne perturbe les symétries et la belle ordonnance linéaire de ces œuvres – par d’autres verticaux qui symbolisent alors un fleuve, voire une route…

          D’ailleurs, le mot « foule » n’est pas approprié, pas plus que le mot « tribu » que préfère l’artiste, ni aucun de leurs synonymes généralement employés pour désigner un grand nombre. Car, si l’un et l’autre impliquent, en effet, l’idée de « nombre » et de civilisation commune (et les personnages de Sibylle Eymery ne sont jamais isolés), ils suggèrent en même temps une liberté de mouvement, une certaine anarchie gestuelle totalement étrangère à la création de cette artiste : ces créatures s’alignent, semblables à des clones dans leurs cloisonnements, avec leurs corps scutiformes pesant lourdement sur leurs jambes courtes et massives, les bras/chandeliers levés tels ceux des atlantes, pour soutenir la voûte sous laquelle ils sont nichés… S’il s’agit de végétaux, ils sont massifs, aux bords lisses, les deux moitiés idéalement semblables à cause des nervures épaisses qui séparent avec une rigueur mathématique les différentes parties du limbe. Et il est remarquable que, obsédée par les rythmes et les géométries absolues, par un sentiment de plénitude, un besoin d’équilibre entre tous les éléments qui l’entourent, Sibylle Eymery, donne à tous exactement la même situation géographique, la même taille, qu’elle introduise poissons, végétaux ou « hommes ». 

          Tous ces archétypes, réalisés autour de formes ovoïdes laissent le visiteur dubitatif, car l’idée qui surgit est celle d’une impossibilité : l’homme déjà né, placé en une attitude ascendante, et cependant encore en gestation ! Parfois même, l’artiste sculpte carrément des œufs flottant dans un liquide qui ne peut être qu’amniotique, et le symbole prend alors toute sa force, car la créatrice les  place dans la plage inférieure, suggérant que toutes les couches développées au-dessus en sont issues !

           Quant aux personnages créés dans l’espace, tous humanoïdes, ils sont à la fois les frères des premiers par leurs corps/terre lourds et ronds, zébrés de « réseaux »/liens/méridiens … Mais, eux,  reposent sur de longues jambes aux pieds tripodes largement écartés comme pour définir a priori l’équilibre qui caractérise ces  êtres libérés de la gangue et leur aptitude à se mouvoir par opposition au statisme des autres. Néanmoins, si le visiteur peut les considérer comme des voyageurs capables de transmettre de leurs doigts/antennes quelque message intersidéral, il est surpris de la disproportion entre ces corps énormes et les têtes microscopiques, comme si la partie pensante était réduite au minimum, et toute l’énergie, toute la dynamique agissante,  concentrée dans les membres et le corps ! Et force lui est de constater que, groupés par cinq ou six (à cause, peut-être de la volonté de l’artiste de les considérer comme une tribu),  tous regardent vers une même direction, mais jamais les uns vers les autres !

          Comment se fait-il, alors, toutes conditions réunies dans l’une et l’autre formes de création, pour que ces géométries définitives donnent une impression de sobriété rébarbative, que les œuvres de Sibylle Eymery dégagent une telle impression de chaleur ? C’est que cette artiste a su trouver, avec ses idéogrammes si particuliers, une image-écriture bien à elle qui « raconte » une histoire, celle de sa quête spirituelle, sans doute plus essentielle encore que la forme ;  et impose à l’esprit la force de son symbole : l’Homme seul au milieu de la nature ; l’Homme égal aux éléments naturels ; l’Homme cloué peut-être au sol par des forces infinies…

          Et pour ce faire, elle a choisi, de peindre ses sculptures avec des couleurs ocre terriennes, des terres de Sienne lumineuses, des roux et des bruns chaleureux qui, mêlés à des huiles, sucs de plantes, vernis, jaunes d’œufs, etc. créent sur les creux et les reliefs, et sur les dépressions et les protubérances des œuvres en ronde bosse, des mats et des brillants qui, tout naturellement, « attrapent » la lumière, la font miroiter comme un signal vers l’extérieur ; et chatoyer en de spectaculaires introversions. Moyennant quoi, l’œil et le cœur se promènent paisiblement sur ces créations, conscients d’un sentiment de calme serein, de la sensation d’être en harmonie avec une autre harmonie : l’équilibre primal du cosmos, exprimé par le talent de Sibylle Eymery !

J. R. 

 

EMERY SYBILLE : TEXTE DE JEANINE RIVAIS :  N° 71 de Janvier 2002, DU BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA, dans le cadre du Ve festival de Praz-sur-Arly. Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS RETOUR SUR PRAZ-SYR-ARLY 2001