PRAZ SUR ARLY : FESTIVAL 2003

UNE MANIFESTATION ARTISTIQUE, UN COUPLE FONDATEUR, UNE CONVIVIALITE

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ENTRETIEN AVEC LOUIS ET PAULETTE CHABAUD

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Paulette Chabaud
Paulette Chabaud

          Jeanine Rivais : Nous voici au 6e Festival d’Art singulier de Praz-sur-Arly. Dernier festival ? Ou bien faut-il espérer que vous allez continuer ? 

          Paulette Chabaud : Si nous restons tous les deux, si nous ne parvenons pas à trouver du sang neuf, ce sera le dernier. Parce qu’à deux, nous n’avancerons pas. Il nous faut de l’aide, surtout il faut des gens nouveaux. 

 

          J. R. : Vous aviez jusqu’à maintenant une équipe performante. Pourquoi certains ont-ils démissionné ? Parce qu’était trop lourd ?…

        P. C. : Non. Pour des raisons personnelles, des changements de travail.

          Louis Chabaud : En fait, nous avons toujours mené le bateau à trois. A trois, avec Laurence qui tenait les comptes, gérait la trésorerie, c’était tenable. Nous travaillions dans une ambiance excellente. Et il y avait deux jeunes filles, Françoise et Valérie, qui faisaient le travail de secrétariat. Mais maintenant qu’elles ne peuvent plus nous aider, que faire ? A la maison, nous n’avons même pas d’ordinateur, pas d’imprimante. Pour faire le courrier, il faut aller à l’Office du Tourisme et tout cela est bien compliqué ! C’est un bateau trop dur à mener à deux.

 

          J. R. : Vous décidez, pour les raisons que vous venez d’énoncer, d’arrêter votre festival biennal que vous avez créé voici neuf ans. Malgré les regrets unanimes, l’heure est donc aux bilans. Dans quel esprit aviez-vous créé ce festival ? 

          L. C. : La réponse est facile. Cette décision est partie d’une anecdote. J’étais parti pour trois jours chez Jean-Paul Baudouin. Il logeait et nourrissait les artistes qui n’avaient que quelques sous à verser. J’avais trouvé cette réunion d’artistes formidable ! A mon retour à Praz-sur-Arly, je suis allé trouver le Maire. Je lui ai raconté ce que je venais de vivre, et j’ai ajouté que j’aimerais bien organiser une semblable expérience, avec des conditions identiques pour les artistes. Il a été intéressé, puis n’en a plus parlé. Deux mois après, nous étions en mai et j’avais envisagé de faire le festival en juillet, il me dit : « C’est une bonne idée, vas-y, tu as carte blanche ! ». J’ai rappelé que je voulais loger et nourrir les artistes, et il m’a accordé une subvention de 15 000F. Nous avons eu une affiche, un carton d’invitation, et nous avons reçu les artistes comme je le souhaitais. Mais tout a dû être préparé en un mois. J’ai installé un « bureau » dans l’Office du Tourisme, et tout s’est passé par téléphone. Voilà comment est né le festival.

 

J. R. : Quelle définition vouliez-vous en donner ?

L. C. : Nous l’avons nommé « Festival d’Art hors-les-normes ». J’avais vu ce nom à la Fabuloserie. J’ai téléphoné à Caroline Bourbonnais pour lui demander l’autorisation de l’employer. 

Le mot « hors-les-normes » désignait pour moi des artistes que j’aimais ; qui ne sont pas tous dans les Singuliers, mais qui voulaient tous « dire quelque chose ».

Louis Chabaud
Louis Chabaud

J. R. : Au cours de ces neuf années, comment avez-vous eu l’impression que ce Festival ait évolué, par rapport à l’Art singulier, et par rapport à l’Art contemporain ?

L. C. : Pour moi, c’est de l’Art contemporain. Il n’a pas évolué au cours de ces années, c’est toujours la même faune d’artistes qui sont invités. 

P. C. : Moi, je suis assez contente du festival, dans la mesure où nous avons fait découvrir un nombre important d’artistes. Pour certains, ce festival a été l’occasion de leur première exposition. Et maintenant, ils sont accueillis dans d’autres lieux. Je suis très fière de cette réalisation. 

 

J. R. : Est-ce important pour vous de vous dire qu’ils sont entrés dans des circuits un peu officiels ; ou au contraire qu’ils sont restés dans des circuits marginaux ? 

P. C. : Nous avons choisi des artistes qui sont entrés dans le circuit singulier. C’est surtout Louis qui a fait des choix. Nous recevions des dossiers, et nous choisissions sur des coups de cœur. Mais toujours dans la mouvance singulière. Nous cherchions des artistes qui avaient un langage particulier, leur propre langage. 

 

J. R. : Quel est, selon vous, le bilan artistique de neuf ans de festival ?

L. C. : J’ai toujours été satisfait de constater que les œuvres répondaient parfaitement à ce qu’avaient promis les dossiers. Les visiteurs nous ont chaque fois répété que c’était meilleur que la fois précédente. L’expérience a été formidable. Pour moi, le bilan est fort, très fort ; en convivialité, en reconnaissance… Beaucoup de gens, en France et à l’étranger, parlent de ce festival. Il est maintenant connu partout. Malgré que nous n’ayons pas de salles agencées. Que nous devions nous débrouiller avec un bric-à-brac de salles…

P. C. : Nous avons été parmi les premiers à prendre une telle responsabilité. D’autres ensuite, ont repris notre formule. Ce qui est rassurant. Car, même si nous nous arrêtons, il restera pour les artistes singuliers, des lieux où continuer à exposer. Nous avons lancé une idée, et c’est ce qui est important.

 

J. R. : J’ai bien souvent assisté à des festivals où le directeur est une entité, jamais visible. De grosses machines anonymes, se répétant au fil des années. D’autres où se développent des problèmes et des règlements de compte lourds à supporter. D’autres encore où règne la plus grande anarchie, parce que les organisateurs cherchent la renommée, mais ne supportent pas les contraintes qui accompagnent leur manifestation… Il y aurait bien d’autres cas de figures.  Votre festival est le jour et la nuit par rapport à ces situations. Subséquemment,  qu’estimez-vous lui avoir, moralement, donné ? Cette convivialité qui s’est instaurée dans ce village et que célèbrent, qu’affirment tous les participants, n’appartient sans doute pas à la génération spontanée ? 

P. C. : C’était en effet notre volonté que le festival soit un lieu d’amitié et de convivialité. Il nous donne du travail, mais c’est vraiment notre récompense d’être au milieu des artistes. Si nous sommes obligés de nous arrêter, ce sera la mort dans l’âme.

Je dis « si », parce que je crois que tout le monde se sent concerné par cette éventualité. Je sens des choses qui bougent au niveau de la municipalité. Ou du département. Et surtout, de la propre volonté des artistes qui nous disent de continuer absolument ! Ils proposent de venir nous aider, mais ils ne veulent surtout pas que nous arrêtions. Pourtant, si nous ne trouvons pas de solution, si nous ne pouvons pas l’agrandir, le transformer, il faudra bien en venir là. Mais jusqu’au bout, nous chercherons à éviter cela.

 

J. R. : Il ne s’agit pas maintenant, de « vous jeter de la pommade ». Mais je viens de rencontrer tous les artistes, et leur unanimité est saisissante : Vous avez réussi une expérience unique, dans le monde singulier assurément ; dans le monde contemporain sûrement : impliquer tout un village dans votre festival. Depuis la Municipalité qui a donné une subvention et prêté les locaux ; aux restaurants qui accueillent les festivaliers ; aux organismes et aux particuliers qui prêtent des chambres ; aux enfants qui réalisent des œuvres et exposent parmi les adultes ; à l’Office du Tourisme… j’espère n’oublier personne. Vous avez accueilli gratuitement les exposants pendant toute la durée des festivals, et leurs conjoints pour un coût minime : comment avez-vous réalisé ce tour de force ?

L. C. : Le tour de force est tout simple. En plus des subventions de la Mairie et du Conseil général qui nous suit depuis le début, nous avons des adhérents à notre association. Nous avons quelques sponsors. L’imprimeur tire ses factures au maximum et nous consent des avantages. Nous avons une radio qui ne nous fait pas payer les spots… Et nous écrivons, nous envoyons des « bouées à la mer » pour obtenir un peu d’argent. Comme le festival a lieu tous les deux ans, nous économisons un peu d’argent pour réaliser un catalogue, une affiche, les envois d’invitations, le logement et la nourriture des artistes. Cette année, nous avons fait tout cela avec un budget de 100 000F à peu près. 

Loren dans ses oeuvres !
Loren dans ses oeuvres !

J. R. : Quelles conclusions tirez-vous de ces quelques jours passés tous les deux ans au milieu de ce monde singulier un peu turbulent en tenant compte de tout cet environnement que nous venons d’évoquer ? 

L. C. : La convivialité est née de la présence des artistes qui se sentent bien du fait qu’ils n’ont aucun souci d’intendance. Nous avons, de plus, depuis quelques années, la présence de Didier Chenu qui nous fait une cuisine très agréable, ce qui, bien sûr, améliore l’ambiance. Il nous a rendu des services énormes. Tous les artistes participent à l’accrochage et créent en chaque lieu d’exposition, une harmonie et une entente remarquables. Tout cela contribue à la convivialité. Nous buvons l’apéro et nous bavardons, sur le terre-plein  devant mon atelier. Nous allons tous ensemble au restaurant...

P. C. : Il est exact que les artistes nous épaulent bien. Nous nous reposons sur eux. Avec la dispersion des lieux d’exposition, nous ne pourrions pas courir de l’un à l’autre pour nous assurer que tout va bien. 

 

J. R. : Nous y avons fait allusion à plusieurs reprises, mais je voudrais que vous résumiez les raisons qui vous poussent à interrompre cette manifestation. Pourtant, elle draine une foule de visiteurs considérable.

L. C. : Nous nous retrouvons tous les deux. Comme nous l’avons déjà dit, plusieurs personnes nous ont quittés pour des raisons personnelles, des problèmes dans leur vie. 

Et c’est comme vouloir gérer le France avec deux matelots. C’est trop dur, trop lourd. Ne serait-ce que pour aller dans les villes avoisinantes coller des affiches. 

 

J. R. : Parlons du public qui fréquente ce festival. Lui, au moins, est assidu ?

L. C. : Nous avons en effet un grand nombre d’habitués, même si, cette année, à cause des dates et de la conjoncture, nous avons eu moins de monde. 

P. C. : Il y a beaucoup moins de vacanciers dans la région. C’est anecdotique, mais sur Megève, les boîtes de nuit ferment avant une heure du matin ! 

 

J. R. : Hurlerons-nous avec les loups, en impliquant les 35 heures qui ont modifié les formules de vacances ?

P. C. : Je crois vraiment que oui !

 

J. R. : Créer un festival, lorsque l’on est soi-même artiste, c’est décider de sacrifier des heures, voire des jours. Faire passer son propre travail au second plan, et consacrer à d’autres une précieuse énergie. En même temps, il y a le plaisir d’avoir su ou d’avoir pu prendre une telle responsabilité. L’oubli de soi et le plaisir de la responsabilité par rapport à d’autres. 

Dans le cas où vous seriez effectivement obligés d’arrêter ce festival, pensez-vous être capables, sans états d’âme, de revenir uniquement à votre seule création ? Vous avez eu une attitude altruiste, alors que les artistes sont, par définition, tellement égoïstes : sera-t-il facile de revenir à votre atelier tous les matins, sans la perspective de ce festival bisannuel ? 

Ou bien, quels seraient vos éventuels projets ?

L. C. : La question contient toute la réponse. Il est sûr qu’il faut oublier sa propre création pour se consacrer à toutes les obligations qu’implique une telle organisation. Je répète que c’est très lourd. Mais tellement gratifiant !

P. C. : Oui, tout est dans la question. Mais comme je le disais, ce sacrifice reçoit sa récompense : côtoyer les artistes. C’est une expérience infiniment riche !

Je cherche en effet des solutions. Mais pour le moment, rien de concret n’existe encore.

L. C. : Il est certain que cela va être très dur pour moi. J’ai créé ce festival sur un coup de cœur. Il va être très difficile de voir tout cet amour partir en fumée. Mais le problème est que nous n’avons pas le choix de faire autrement ! 

 

J. R. : Y a-t-il des questions que vous auriez aimé que je vous pose et que j’ai oubliées ?

L. C. : Non. Je crois que nous avons fait le tour de tous les aspects de ce festival.

P. C. : Non. Nous avons dit l’essentiel. Il reste à espérer que tout s’arrange, et que nous nous retrouvions ici dans deux ans.

 

Entretien réalisé à Praz-sur-Arly, le 2 août 2003.