PRAZ SUR ARLY : FESTIVAL 2003
UNE MANIFESTATION ARTISTIQUE, UN COUPLE FONDATEUR, UNE CONVIVIALITE
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CINQ QUESTIONS A REMI GERAUDIE
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Jeanine Rivais : Depuis quand peignez-vous ? Et quel a été votre itinéraire, pour en venir à la forme actuelle de votre création ?
Rémi Géraudie : La création nous guette à tous les coins de rues, selon que l’on est ou non sensible. Je crois qu’il faut se mettre jeune à la création. Il y a des tas de gens qui disent : « Je rêve de me mettre à la peinture ou la sculpture », et qui ne s’y mettent jamais. Il n’y avait donc pas de motivation chez eux. Je pense qu’on ne se met pas à la création. On EST dans la création.
J. R. : Je ne suis pas du tout d’accord avec cette affirmation. Il y a des dizaines de cas, dans la mouvance singulière, de gens qui ont commencé très tard, qui ont eu une création météorique, pleine de richesse et tout à fait surprenante, comme Anselme Boix-Vives, M’an Jeanne… Plus près de nous, Michel Smolec. Simplement, trop souvent, leur entourage ne comprend pas leur envie, la motivation n’est pas suffisante pour vaincre le qu’en dira-t-on…
R. G. : Je suis d’accord qu’il peut y avoir des circonstances qui empêchent quelqu’un de créer. Tout le monde n’a pas le courage d’aller contre vents et marées. Cependant, on peut toujours avoir envie de créer, deux bouts de bois, du bricolage, à la maison… On n’est pas obligé de montrer son travail, ni d’exposer pour être dans la création. Mais au-delà de l’artisanat, il peut y avoir une part de création. C’est pourquoi je pense qu’on l’a en soi très tôt. Cela me semble difficile de surgir ainsi, à un moment de sa vie, sans savoir ni pourquoi ni comment. Il est vrai qu’on peut être propulsé par les événements, par quelqu’un d’autre, alors qu’on ignorait jusque là être habité par la créativité.
Pour en revenir à mon cas, j’ai toujours été créatif. Gamin, j’allais dans les carrières chercher de la terre. Je faisais des décors pour les petites pièces de théâtre que nous montions. Et puis, cette création a été ponctuée par des accidents de la vie, par des bons ou des moins bons moments. Et puis ma rencontre avec ma femme qui est elle-même créatrice a été un élément de plus. Il y a une vingtaine d’années que je travaille vraiment, que je m’efforce de travailler à la création pure.
Avant, je n’étais pas créatif au sens où je l’entends maintenant, puisque mon travail était plutôt figuratif. J’ai fait l’Ecole des Beaux-arts. Je ne suis donc pas un Singulier authentique. J’ai découvert la création, c’est-à-dire ce qui venait vraiment de moi, voici seulement une quinzaine d’années.
J. R. : C’est-à-dire que vous avez trouvé une forme d’expression personnelle ?
R. G. : Oui. Autre que le figuratif.
J. R. : Quand vous dites « figuratif », vous voulez dire « classique », ce qui émanait des Beaux-arts ?
R. G. : Oui. Aussi bien en peinture qu’en sculpture. Pour moi, c’est du travail bien fait, de la bonne technique, mais ce n’est pas de la création proprement dite. C’est une application de techniques acquises. Réaliser des choses bien faites, bien « dites », que le spectateur puisse s’approprier très rapidement. Reconnaître immédiatement ce qu’il voit. Alors que la création lui propose une participation de sa part, un engagement, une remise en question de ses propres valeurs dans ce domaine…
J. R. : Et comment avez-vous eu le sentiment de passer de l’un à l’autre, d’une création dirigée par des habitudes scolaires et le moment où vous vous en êtes dégagé pour en venir à une attitude tout à fait libre ?
R. G. : Il fallait absolument que je me débarrasse de tout ce qui m’encombrait. Je n’avais plus aucun plaisir à réaliser des œuvres. Je savais pouvoir faire « bien » si j’en avais envie. Faire de l’académisme pour l’académisme. Mais à la fin, je sombrais dans l’ennui. J’en étais venu à ne plus travailler que de temps en temps.
Alors que c’était tellement plus amusant d’interpréter des choses, les voir autrement, inventer des petites histoires, et les faire découvrir à d’autres différemment. Pour moi, c’est tout cela la création.
J. R. : Quelle définition donnez-vous de votre travail ?
R. G. : C’est difficile de donner une définition de sa propre création. J’aime infiniment ce que je fais, mais je me dis toujours « Peut mieux faire ».
En fait, je suis incapable de définir mon travail puisque je ne réfléchis pas, je le fais au coup par coup, c’est une aventure. Rétrospectivement, je ne peux pas faire une analyse de quelque chose que je n’ai pas prémédité. Aujourd’hui, c’est comme ça, demain ce sera autre chose… C’est un jeu dans lequel je mets en avant le hasard, l’accident. Et je m’adapte à la situation, et non l’inverse. Je ne « drive » pas, je subis et j’interprète ce que je subis. Je travaille donc désormais dans un esprit de liberté totale.
Tout à l’heure, quelqu’un parlait de récup’. Je ne m’inscris pas trop dans cette démarche. Elle ne me paraît pas essentielle. Lorsqu’on voit ce que j’ai fait, on ne retrouve pas, la plupart du temps, ce que j’ai récupéré. Mon support essentiel est la peinture et la toile. Je crois que cela me permet de m’échapper plus facilement qu’avec un pinceau ou un crayon. Pour moi, la récup’ est un prétexte qui me sert de support mais ce n’est surtout pas la récup’ pour la récup’ !
J. R. : Comment vous situez-vous par rapport à de l’Art singulier ? Et quelle définition en donnez-vous ?
R. G. : Je ne suis pas singulier. Si je me base sur diverses définitions, en écartant l’Art brut. Si je dois me rattacher à quelque chose, c’est plutôt au groupe Cobra. D’ailleurs, on ne me situe pas forcément dans l’Art singulier. Louis Chabaud ne n’y situe pas. Sans doute aime-t-il bien ce que je fais, et sans doute y a-t-il un cousinage entre les deux mouvances, mais s’il me met dans l’Art singulier, il ne le pense pas vraiment, et moi non plus.
J. R. : Dans ces conditions, quelle définition donnez-vous du Festival de Praz-sur-Arly ?
R. G. : Pour moi, il est super. Et en plus, j’aime les choix qu’il a faits. Il y a un ou deux Singuliers, mais la qualité de ce qu’il a choisi me convient tout à fait. En plus du festival lui-même, qui est une fête, avec une ambiance rare, des gens rares, simples. Nous sommes choyés, cocoonés, je sais que ce n’est pas le cas partout.
J. R. : Quelqu’un a écrit que la création artistique est une mise en forme de sa douleur. Votre création est-elle conforme à cette définition ? Ou bien, n’est-elle, au contraire, que pur plaisir ?
R. G. : Non, non ! Elle n’est que pur plaisir. Il n’y a aucune douleur dans ma création. J’ai d’ailleurs écrit des textes en ce sens. Pour moi, il faut que la création soit libératoire et esthétique. Surgit en nous une petite chose dont il nous faut nous libérer pour que cela nous fasse du bien. J’ajoute à cela un esthétisme, mon esthétisme. Il faut que, pour mon œil, ce que je crée reste joli. Pas forcément agressif, pas forcément tendre : que cela soit beau, selon mes critères de beauté. Mais surtout, je le répète, libératoire. Mais jamais je « n’enfante dans la douleur » ! Je prends tout dans la joie !
J. R. : Quels sont vos projets ?
R. G. : Continuer ! Avancer toujours dans ce monde créatif, avec bien sûr parfois, des petits pas en arrière. Mais aussi des pas en avant dont je prends conscience en faisant, pour me rassurer et mesurer le chemin parcouru, des petites choses qui « ressemblent » ou en me livrant à un jeu d’adresse qui me ramène à la période classique de mes débuts ! Et puis, repartir dans mon délire créatif !
Entretien réalisé le 28 juillet 2003.
GERAUDIE REMI : TEXTE DE JEANINE RIVAIS : "LES ETRANGES ALLOCHTONES DE REMI GERAUDIE" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 72 Tome 2 de JANVIER 2003.
VOIR AUSSI : "CINQ QUESTIONS A…" : BULLETIN DE L'ASSOCIATION LES AMIS DE FRANCOIS OZENDA N° 75 Tome 1 d'AVRIL 2004.
Et http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique FESTIVALS : RETOUR SUR PRAZ-SUR-ARLY 2003.
Et aussi : http://jeaninerivais.jimdo.com/ Rubrique RETOUR(S) SUR UN QUART DE SIECLE D'ECRITURE(S).