Jeanine Rivais : Parlez-nous de vous, de votre travail…
Laoutec : J’ai commencé à travailler en 1995, un peu par dépit parce que j’étais en train de tourner un court-métrage et je m’étais fait voler tout le matériel, ce qui m’a causé beaucoup de problèmes. Un jour, j’ai vu un peintre dont l’œuvre m’a impressionné. Et je me suis dit : « Voilà une solution ! »…
J.R. : Vos antécédents de cinéastes expliqueraient donc pourquoi vous avez découpé votre travail séquence par séquence?
L. : Peut-être, oui. De façon inconsciente, sans doute. Et la taille de mes œuvres s’explique par le fait que chez moi je ne dispose que d’un tout petit espace.
J.R. : Regardons donc vos personnages : la plupart sont seuls, dans un lieu petit et clos.
L. : Au départ, je faisais des choses plus instinctives, plus spontanées… Plus silhouettées, aussi… Parce que j’ai commencé vraiment à zéro. J’ai dû tout apprendre…
J’ai commencé par des grosses têtes du genre un peu dérisoire comme « la tête à Toto ». Ajoutons que, petit, j’ai beaucoup visité la Grotte de Lascaux parce que mes parents s’occupaient cause des problèmes de pollution de Lascaux IV. Je crois donc que mon travail est issu des deux : cette ambiance dont j’étais imprégné enfant, qui est imposante même si à cet âge on cherche plutôt le beau caillou que la sculpture ou la peinture. Ensuite, je suis revenu à l’écriture, d’où les carnets où je raconte des histoires…
J.R. : Puisque le monde du spectacle semble être « votre » réalité, pouvez-vous expliquer à quel moment vous la quittez pour entrer dans le monde fantasmatique ?
L. : Ce tableau est mal choisi, parce que c’est une illustration de « Porte des Lilas », un film où Georges Brassens voit un client qui vole le vin en arrière-plan, tandis que le patron jette partout des regards suspicieux. Je suis donc parti de cette idée-là et je l’ai développée.
J.R. : Oui, mais tout de même, dans un coin, vous avez peint un diable ? Affirmez-vous que malgré tout, dans votre tête, ce sont des scènes du film ?
L. : Celle-là, oui. Avec les différents moments de la journée, celui de l’apéritif, etc.
J.R. : Si vos œuvres sont dans des rouges, elles sont lie-de-vin ; si elles sont dans des bleus, vous ajoutez des violines, etc. Pourquoi toutes ces « scènes » sont-elles tellement sombres ? Est-ce pour traduire l’ambiance de cabaret, où l’on ne voit rien à cause des lumières bleues perdues dans la fumée ?
L. : Cela s’impose à moi. Je commence seulement à maîtriser ce qui se passe sur la feuille. Je commence aussi à travailler par thèmes.
J.R. : Vous avez évolué de la musique à l’écriture, au cinéma et à la peinture. Dans ce dernier domaine, vous êtes donc complètement autodidacte, et vous semblez préoccupé par la domination de la toile sur votre volonté ? Pourtant, votre maîtrise des mises en scène est évidente.
L. : Cela fait partie des choses que j’ai acquises. Mais je suis incapable de faire un portrait.
J.R. : Un portrait ressemblant, peut-être pas. Mais tout de même, tel personnage a bien l’air d’un archevêque, tel autre d’un monstre. Par moments, vous êtes presque réaliste ; à d’autres vous êtes en plein fantasme. Et, si je vous pose la question, vous n’avez pas le sentiment de fantasmer.
L. : Si, bien sûr, mais j’ignore complètement d’où proviennent ces fantasmes. Je me laisse porter, en fait parce que je n’ai pas les moyens de « diriger » mes pensées.
J. R. : Ce qui me semble paradoxal, c’est que parlant du monde du spectacle, du monde du « paraître », votre manière sombre de le peindre fait de vos lieux des huis clos. En fait, vos personnages semblent toujours en représentation par rapport à un public. Et, malgré cela, ils sont incapables d’échapper à cet enfermement ? Etes-vous d’accord avec cette impression ?
L. : Oui. Mais je ne saurais pas l’analyser. Mes personnages arrivent, ils me plaisent ainsi. Quand j’ai commencé à peindre, j’étais très surpris : j’avais fait beaucoup de batterie pendant des années ; et l’impact sur les gens était immédiat. Quand je me suis trouvé tout à coup devant une feuille, je me suis aperçu qu’en fait, le peintre n’est jamais seul. Qu’il découvre des aspects de lui-même qu’il ignorait. Et qu’il pense inconsciemment à l’impact futur de son œuvre sur le public. Car ce qu’il crée, c’est l’âme, c’est la parole, la solitude aussi.
J. R. : Je crois que vous traduisez tout cela par l’impression d’enfermement évoquée tout à l’heure. Et que, en dehors des couleurs, elle tient au fait que vous n’ayez sur vos toiles, aucun horizon, aucune profondeur. Vous placez le personnage, le rideau derrière. Et vous n’avez aucun « champ ».
L. : Oui, c’est bien ainsi que je le ressens.
Mais je voudrais aussi parler de mon travail d’écriture. J’ai écrit plusieurs textes de théâtre lorsque j’ai exposé à la Halle Saint-Pierre. J’ai aussi composé un recueil de poésie. Et puis des textes qui se rattachent à l’actualité. Des petits contes. Ce n’est pas tout à fait la même réflexion. Pourtant, parfois, ils sont en relation. J’écris à la main., il y a donc quelque chose de graphique qui s’imprime à travers mon travail. Un dessin va souvent donner une nouvelle orientation au texte.
J. R. : Vous voulez dire que ces choses aléatoires, non signifiantes qui cachent votre texte, peuvent en même temps lui servir de jalons ?
L. : Oui. Si je ne sais pas vraiment où je veux aller avec mon texte, les dessins me permettent de renouveler la trame, aller plus loin…
J. R. : En somme, ces lignes, ces arabesques seraient vos hésitations littéraires ?
L. : Voilà. Bien sûr, après, je retravaille le tout pour donner une image plus construite, qui soit en rapport avec le texte. Vous voyez que tout se complète.
CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.