C’est bien de forêt qu’il s’agit, lorsque apparaît la statuaire de Pierre Merlier, peuplée d’individus couchés par endroits comme des arbres foudroyés ; tanguant dangereusement au-dessus d’un moutonnement de créatures côte à côte, enchevêtrées, enlacées, attendant nul ne sait quoi, ou positionnées en des attroupements anonymes, des couplages désabusés ou au contraire violents. A peine retouchées, parfois, issues de formes sylvestres pré-existantes ; tronçonnées le plus souvent, puis façonnées à la gouge, en un patient travail de lissage ou de burinage, jusqu’à devenir forcément humanoïdes ; qui plus est, jusqu’à exprimer toutes les passions humaines : des émanations des sept péchés capitaux, en somme! Tellement symbiotes qu’elles semblent indissociables!
Car Pierre Merlier est un véritable orfèvre du bois ; sachant le caresser, le modeler jusqu’à y évoquer les brillances et les ombres d’un décolleté, les mamelons d’une cuisse cellulitique, y générer une pilosité factice, faire saillir ou ployer une épaule, accentuer exagérément la chute d’une paire de fesses... aller jusqu’au bout de la laideur, à coups de nez énormes, de commissures de lèvres affaissées, de seins flasques, de moues et de rictus exacerbés! Augmenter cette disgrâce physique en peignant à même le bois, des vêtements informes, des chapeaux disgracieux, des chaussures éculées. Et puis des lèvres rouge-sang, d’énormes lunettes opaques ou des yeux vides et mornes, tantôt quasi-clos, tantôt noirs et immenses ; encore plus saisissants sur les oeuvres quadrifaces où le visiteur qui les contourne a l’impression d’être suivi par une multitude de regards torves...
Car la définition première de l’oeuvre de Pierre Merlier est la satire, la dénonciation d’une société moutonnière et veule ; sans imagination et sans panache ; l’autre pôle de cette création étant l’érotisme. Et nombre de personnages exhibent leur sexe, se caressent dans les postures les plus scabreuses, copulent avec la brutalité d’animaux sauvages, dans une obscénité naturelle qui laisse pantois le moins prude des spectateurs!
Un travail où l’artiste donne le meilleur et le pire de lui-même, à l’écart de toutes les modes, intemporel malgré sa connotation archaïque...
CE TEXTE A ETE ECRIT APRES L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.