JEAN-JACQUES PETTON

Entretien avec JEANINE RIVAIS

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          Jeanine Rivais : Vous présentez une série de tableaux/casiers, avec des personnages d’une finesse surprenante. Racontez-nous leur histoire.

          Jean-Jacques Petton : J’ai acheté ces casiers aux Puces, et de temps en temps, pour les yeux, j’ai utilisé des petites perles en bois. Mais tout le reste est ramassé sur les plages. 

 

          J. R. : Qu’est-ce qui vous a amené à cette obsession de création à partir de récupérations ? Est-ce à l’origine, une obsession de collectionneur ?

          J.J. P. : Non. Depuis ma jeunesse, j’ai ramassé des choses rejetées par la mer. Lorsque j’étais enfant, ma mère me disait : « Toi qui dessines si bien, voilà que tu ramasses des saloperies pour faire des tableaux avec ! ». J’ai toujours aimé cette recherche de la chose inattendue rejetée par l’eau. 

        J’ai fait des études sérieuses, puisque j’étais architecte, alors je n’avais pas le temps d’utiliser ces trouvailles. Je les ai donc entassées. Dans mon atelier, j’ai trente ans au moins, sinon quarante, de ramassage sur les plages ! J’ai tout de même essayé de les ranger par catégories, les bois colorés, les bois bruts, les coquillages, etc. 

          Je déteste tout ce qui se prend au sérieux. Et cette suffisance des milieux officiels. Au début, quand j’ai voulu exposer, je suis allé comme tout le monde, voir un galeriste. Invariablement, il me répondait « Revenez dans trois semaines » ! Et finalement, quand j’en ai eu assez et que j’ai commencé à me fâcher, il a conclu en me rendant le dossier « Monsieur, vous n’êtes pas dans l’esprit ! » Sans entrer dans les détails locaux, je vous dirai que, maintenant, quand je rencontre ce personnage, il me dit « Si c’était aujourd’hui, je vous prendrais tout de suite ! » Ce qui montre bien le manque de curiosité de tous ces gens des circuits classiques, et leur façon de prendre le vent. J’ai écrit plusieurs articles en ce sens, dont l’un que j’ai appelé « Nombriliste conceptuel sous pression » et un autre « Grenouille conceptuelle qui enfle, qui enfle, qui enfle ».

 

          J. R. : Nous avons devant nous un tableau qui est un « Autoportrait ». De quels matériaux est-il fait ? 

          J.J. P. : J’ai utilisé des morceaux de pierres, de petits galets, etc. Vous savez, je rapporte chez moi tout ce que je trouve. Souvent, je le traîne dans des filets pendant des kilomètres !

 

          J. R. : Ce qui est surprenant, et amusant, dans cette obsession qui est la vôtre, et dans cette saga d’êtres minuscules, c’est la multiplicité des petits sexes qui « ornent » vos sujets ! D’où vous vient ce goût de l’infiniment petit, précieux, fignolé ?

          J.J. P. : Ce sont des petites pointes de tapissier que je plante dans le mastic. Et les corps sont des mélanges de mastic, de colle et de sable. 

 

          J. R. : Mais vous y avez ajouté divers petits matériaux : nous sommes donc dans la trouvaille aléatoire, et en même temps dans l’ordre incontournable.

          J.J. P. : Mes personnages sont à l’image de la vie : chacun oscille entre l’un et l’autre. Vous savez, quand je crée, j’essaie d’oublier ma culture, et je ne veux surtout pas réfléchir pendant la réalisation. J’agis selon mon humeur, selon l’impulsion du moment. Je ne calcule pas, je ne réfléchis pas ! Je ne cherche surtout pas à plaire…

 

          J. R. :, Si on les regarde un par un, pas un seul de vos personnages ne semble joyeux, ils crient tous !

          J.J. P. : Je vais vous faire une confidence : J’ai été militaire, j’ai fait Saint-Cyr. Et, bien sûr, pour mes camarades de promotion, j’ai vraiment mal tourné ! Eh bien, la série que vous voyez là, ce sont eux devant la France d’aujourd’hui ! J’ai appelé ce tableau « Les Gueulards », parce que ce sont les aigris, ceux qui râlent ! Beaucoup de mes tableaux ont été réalisés sur des coups de colère. J’ai réalisé beaucoup d’oeuvres contre la pollution maritime ; contre la pollution militaire et religieuse, ce qui m’a valu bien des soucis. Et puis, de temps en temps, je m’en prends à moi, parce que j’aime bien l’autodérision. J’aime créer des oeuvres rigolotes… 

 

          J. R. : Il est vrai que vos oeuvres sont très ludiques. On y sent un détachement, la certitude que vous ne vous prenez pas au sérieux. 

          J.J. P. : Oui. J’essaie d’avoir une retraite la plus amusante possible. Pendant des années, je n’ai jamais rien vendu, sauf à mes copains. Jusqu’au moment où le Directeur du Musée de Brest a découvert mes œuvres, et m’a exposé au Quartz de Brest. Et me voilà maintenant dans la mouvance singulière.

 

CET ENTRETIEN A ETE REALISE LORS DE L'EXPOSITION "LE PRINTEMPS DES SINGULIERS" EN 2003, à l'ESPACE SAINT-MARTIN, 199 BIS RUE SAINT-MARTIN 75003 PARIS.